Écologique jusqu'au bout du toit, capable de se chauffer elle-même grâce au soleil, la maison Kénogami fait la démonstration que la frugalité énergétique se conjugue fort bien avec le froid souvent glacial du climat boréal. Tour du propriétaire.

«Il faut construire des bâtiments capables d'abriter la vie même lorsque déconnectés des services publics, soutient Alain Hamel, propriétaire et promoteur de la maison Kénogami, toujours à l'affût des meilleures pratiques de construction, après 22 ans de carrière comme entrepreneur général. Une maison doit offrir cela, en plus d'être durable et invitante.»

M. Hamel, qui compte déjà plusieurs maisons Leed à son actif, dit s'inspirer largement de l'approche ENDURE, d'Alex Wilson, fondateur du Resilient Design Institute, sur la côte est des États-Unis. L'acronyme signifie: efficace énergétiquement, non toxique, durable, simple d'opération ("user-friendly"), résiliente, ainsi que belle et agréable ("engaging").

Une maison pionnière

La maison de France Picard et d'André Hamel est l'une des premières au Québec à briguer la certification Passive House, laquelle signifie une chute d'environ 90% de la consommation d'énergie, par rapport à nos critères habituels. Elle vise également le label Leed platine.

Infatigable chercheur, M. Hamel a voulu y expérimenter plusieurs éléments novateurs, dont un prototype de batterie thermique (

Des murs en observation

À l'intérieur des murs, des capteurs de température et d'humidité, dans l'isolant et sur le bois, permettront de valider - ou d'invalider! - la justesse de la conception. «Si on a bien suivi la recette du mur, on ne devrait pas y trouver de condensation», précise Alain Hamel. Les données seront relevées par des étudiants de la chaire TERRE (Technologie des énergies renouvelables et du rendement énergétique), attachée au cégep de Jonquière. Les stagiaires prendront également des données sur la batterie thermiques et sur les modules photovoltaïques.

Les fenêtres: un hic!

Le cadre des fenêtres de la maison Kénogami, en fibre de verre, entoure un triple vitrage. Celles de la face sud présentent un coefficient de gain solaire plus élevé, afin de laisser entrer la chaleur de l'astre du jour. «J'aurais pu choisir des fenêtres certifiées Passive House, comme il en existe aux États-Unis, relate Alain Hamel. Elles sont 45 à 50% plus chères, et elles simplifient grandement la vie à ceux qui visent la certification. Mais je voulais des fenêtres canadiennes, en accord avec la notion écologique d'achat local.»

«Ce choix nous a valu quelques cheveux blancs, confie l'ingénieur Denis Boyer, qui a dû modéliser sur ordinateur chaque élément du cadre et des vitres. Le fournisseur de fenêtres était réticent à nous donner les spécifications techniques.»

«Ceux qui se lancent dans l'aventure Passive House doivent savoir qu'il faut acheter des fenêtres certifiées, si on ne veut pas devenir fou, conclut Alain Hamel, des suites de l'expérience. L'échangeur d'air doit également être certifié Passive House.»

Qualité de l'air

Pour assurer un air renouvelé aux occupants, la norme Passive House requiert un ventilateur récupérateur d'énergie (VRE). Cet échangeur n'utilise pas le mode «recirculation de l'air», contrairement aux ventilateurs récupérateurs de chaleur (VRC), qui, par temps froid, ne laissent pas entrer l'air neuf, afin d'éviter la formation de givre sur leur noyau. Le VRE utilise plutôt un système de préchauffage de l'air.

Du béton écologique

Les planchers radiants sont en béton poli écologique, contenant 30% de moins de ciment Portland (polluant à produire) et agrémenté de pépites de roche et de morceaux de verre trempé recyclés (Béton Multi Surfaces).

Les seuils sous les portes et sous les fenêtres sont eux aussi en béton, et muni d'un fil chauffant sur mesure, qui prévient la condensation et la formation de glace.

Le bois de la maison, du pin pour la structure et du mélèze pour le recouvrement, provient de la proche ville de La Baie (entreprise SMDT).

On prend sa douche à l'eau de pluie, eau utilisée également pour les toilettes et l'irrigation extérieure. On boit l'eau d'un puits artésien.

Énergie

Les modules photovoltaïques (PV) alimentent l'éclairage et chauffent l'eau, mais servent aussi comme système de renfort, en cas de panne du réseau public. «Nous sommes reliés à Hydro-Québec, explique M. Hamel, mais même lors de fréquentes interruptions, nous pouvons fonctionner normalement, sans l'utilisation d'une génératrice. Les accumulateurs PV pourvoient alors à l'éclairage, au fonctionnement du réfrigérateur, de la pompe à eau, d'une petite chaudière au gaz (à haute efficacité), du micro-ondes, du téléviseur ainsi que d'une prise de courant par pièce (équipée de connexions USB), et de l'accès internet.»

Une équipe exceptionnelle

Des experts chevronnés ont présidé à la naissance de cette maison peu ordinaire. Alors que l'architecte Lucie Langlois (Alias architecture), nouvellement designer certifiée de l'Institut canadien Passive House (CANPHI), a dessiné les plans et pris en charge gracieusement le processus de certification, l'ingénieur Denis Boyer (Écohabitation) a modélisé la performance énergétique. Emmanuel Cosgrove, directeur d'Écohabitation, a vu au suivi de la grille de certification Leed.

Un autre partenaire, le physicien Patrick Déry, du GREB (Groupe de recherche écologique de La Baie) a contribué à l'élaboration du système de chauffage solaire de l'eau. Enfin, Louis Parent (Immotech), a effectué les tests de chantier confirmant la performance de l'enveloppe et du système de ventilation. «J'ai eu la crème», admet M. Hamel, reconnaissant.

La maison Kénogami a coûté grosso modo 700 000$, pour 182 m2 de surface conditionnée (ce qui exclut un grand rangement dans l'entrée, la cuisine d'été et l'abri d'auto).

«Nous avons une maison tellement confortable, on y est tellement bien, confie Alain Hamel. C'est un baume, d'avoir réussi ça, après la tuile qui nous est arrivée.»

> Pour en savoir plus sur la maison Kénogami: www.ecohabitation.com/actualite/nouvelles/hyper-autonome-hyper-eco-energetique-maison-kenogami-bat-records



Le chauffage? Connais pas!

Ambition écologique oblige, l'enveloppe de la maison d'Alain Hamel atteint des sommets en ce qui concerne l'isolation et l'étanchéité. Voici quelques chiffres éloquents, pour ceux qui aiment jongler avec eux.

Isolation

Le facteur d'isolation des murs est de R-85, comparé à R-24,5 exigé par la norme Novoclimat; celui du toit atteint... R-150!!! contre R-41 pour Novoclimat; et celui des planchers se chiffre à R-56, contre R-29,5 pour Novoclimat.

Étanchéité

Sur le plan de l'étanchéité, le test d'infiltrométrie de cette maison performante indique de 0,3 CAH (changements d'air à l'heure), en comparaison à 2,5 CAH comme seuil maximal Novoclimat.

Une maison spartiate

Pour la consommation d'énergie, l'ingénieur Denis Boyer, de Écohabitation, a visé une consommation énergétique de 13 KWh/m2 (surface intérieure habitable) par année. C'est nettement sous la barre des 15 KWh/m2 par année, fixée par Passive House pour qu'une maison soit admissible à la certification.

En guise de repère: une maison Novoclimat unifamiliale, de forme compacte et bien ensoleillée, consommerait 96 KWh/m2 par année, selon les estimations de M. Boyer. «Si une maison ne demandait que 50 KWh/m2 par an, je lui lèverais déjà mon chapeau», commente cet ingénieur, qui croit qu'on pourrait se contenter, au Québec, d'une isolation moins extrême que celle de la norme Passive House.

Le constructeur Alain Hamel, pour sa part, estime que «dans notre contexte économique, 25 à 30 KWh/m2 par an serait bien suffisant.» Mais ce n'est pas l'avis de l'architecte Lucie Langlois, qui soutient qu'une maison qui ne consomme presque pas d'énergie doit demeurer un but accessible à un coût abordable.

Des murs pour l'Arctique

La technique de construction des murs choisie par Alain Hamel pour sa maison, nommée Remote Wall, a été mise au point en Alaska, au Cold Climate Housing Research Center (CCHRC). «Quand on pousse très loin l'efficacité énergétique, on court un risque de condensation dans les murs, explique le constructeur. Dans le but d'éviter cela, le Remote Wall ne place pas le pare-vapeur derrière le gypse, comme il est d'usage, mais bien entre deux couches d'isolant. Dans la maison Kénogami, on a posé un tiers du facteur isolant du côté interne et deux tiers du côté externe.»

La batterie thermique: une «bouillotte» à maison

La batterie thermique, un dispositif déjà largement utilisé dans les fourgons alimentaires ou les camions couchettes, fait ses premiers pas expérimentaux en habitation résidentielle.

«Elle apportera beaucoup de flexibilité dans l'utilisation des énergies renouvelables», soutient l'ingénieur Stéphane Bilodeau, président fondateur de Groupe Énerstat, qui a fourni un prototype de cette batterie à la maison Kénogami.

La batterie Énerstat a pour rôle de récupérer le surplus de chaleur du bâtiment, par une thermopompe, pour le restituer lorsque la maison en a besoin, dans le chauffe-eau ou dans le liquide caloporteur des planchers radiants.

Un peu comme une bouillotte

Qu'est-ce au juste qu'une batterie thermique? C'est une pile qui stocke l'énergie - ou la redonne - sous forme de chaleur, comme une grosse bouillotte. La comparaison s'arrête là, puisque la batterie thermique emmagasine la chaleur en faisant passer un matériau de la phase solide à la phase liquide, et vice-versa.

En comparaison, les batteries électrochimiques (ou accumulateurs), reliées aux modules photovoltaïques, se chargent d'énergie électrique et redonnent de l'électricité.

L'avantage de la batterie thermique? «Elle peut engranger quatre fois plus d'énergie par unité de masse qu'une batterie électrochimique», affirme Stéphane Bilodeau.

Combien?

Une fois sur le marché, la batterie thermique se vendra quelques milliers de dollars, «probablement un peu moins qu'une thermopompe, estime le président de Groupe Énerstat. L'expérience de la maison Kénogami nous permettra, justement, de mieux définir les prix, de même que les dimensions optimales pour l'usage domestique».

Leed ou Passive House?

Laquelle des deux certifications préférer, Leed pour les maisons ou Passive House? «Les deux approches se complètent, si on veut construire écologique», répond le constructeur Alain Hamel, qui a vécu, pour chacune, le test de la réalité.

La consommation d'énergie d'une maison, tout au long de son existence, est considérée comme l'élément le plus lourd de son empreinte écologique. C'est à cet aspect que s'attaque la norme Passive House, en réduisant de 90%, grosso modo, la demande énergétique, et en visant une consommation «nette zéro».

De son côté, la grille de certification Leed, tout en accordant une grande importance au volet énergie (38 points sur un total de 136), tient compte aussi de l'analyse du cycle de vie des matériaux, c'est-à-dire de leur impact sur l'environnement, «du berceau au tombeau». L'approche Leed pondère également l'économie d'eau, la gestion des déchets sur le chantier, la conservation de la couche d'humus du terrain, la santé des occupants, la proximité des services, etc.

Les meilleures pratiques

«Les deux certifications réunissent les meilleures pratiques de construction, fait observer Alain Hamel. On a à la fois la performance énergétique et le meilleur choix de matériaux.»

Comme le logiciel de conception Passive House est optimal pour la performance énergétique, il permet d'acquérir le maximum de points «énergie», sur la grille de certification Leed. En témoigne la maison Kénogami, avec 37 points sur 38, au volet «énergie» de la grille. «Passive House procure également la meilleure qualité d'air intérieur», dit M. Hamel.

M. Hamel ne cache pas que le Québec est «un peu à la traîne», comparé aux autres provinces du Canada et au nord-est des États-Unis. Ce bâtisseur suit de près la vague écologique qui déferle en Amérique, en poursuivant, notamment, un certificat en design durable au Boston Architectural College, et des cours à la Northeast Sustainable Energy Association, pour apprendre des «recettes» de bâtiments «net zéro» (qui ne consomment pas plus d'énergie qu'ils en produisent). «D'ici 10 ans, bâtir «net zéro» sera dans les normes de construction, en Nouvelle-Angleterre», affirme Alain Hamel.