Pendant que les églises peinent à attirer les fidèles ne serait-ce qu'une fois par semaine, certains font des pieds et des mains pour y vivre 365 jours par an. Un choix ambitieux: transformer un lieu de culte en résidence privée n'est jamais une mince affaire, mais le résultat peut être grandiose. Et inévitablement unique.

Nathalie Marcotte est certainement l'une des rares personnes à se réjouir de voir que des photos de l'intérieur de sa maison circulent sur l'internet.

Depuis ce jour, les passants ont enfin cessé de venir sonner à sa porte pour lui demander s'ils pouvaient visiter sa demeure, s'il y avait des cadavres enterrés dans son sous-sol, s'ils pouvaient louer sa maison pour célébrer leur mariage... «J'ai même déjà trouvé un inconnu dans mon salon, qui trouvait ça normal d'être venu voir comment on l'avait rénové!», s'étonne encore la mère de famille. Nathalie Marcotte n'est pourtant pas une vedette du petit écran dont on voudrait tout connaître de la vie privée, mais ceci explique cela: elle habite dans une église et ça, ça attire bien des curieux.

Et c'est compréhensible. Après tout, c'est l'originalité des lieux qui les a poussés, son mari et elle, à acheter cette église adventiste de Danville quand les fidèles y sont devenus trop peu nombreux. Son mari a eu un tel coup de foudre en la voyant qu'il lui a déclaré: «Ce sera cette maison ou rien d'autre.»

«Nous avons toujours aimé les maisons anciennes, elles ont beaucoup de charme», dit-elle, debout dans son salon paré d'un splendide vitrail datant de 1903. «Je n'aurais jamais pu construire une maison aussi grande: je peux recevoir 20 personnes à souper sans aucun problème», renchérit-elle. La cour est grande - non, il n'y a pas de cimetière - et le petit dernier a même eu le luxe d'avoir sa chambre aménagée dans le clocher. Parfait pour un amateur de l'observation des étoiles.

Des dizaines de conversions

Avec la désaffection des Québécois pour la religion et la fusion de plusieurs courants religieux (méthodiste, unitarien, entre autres), quelque 270 lieux de culte de la province ont été abandonnés, désertés, démolis ou vendus pour être transformés en salles communautaires, en gymnases, en résidences d'été, en petites maisons ou en condos, explique Luc Noppen, directeur de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain de l'UQAM, qui recense et étudie chacune des transactions concernant une église au Québec.

«Les petites églises ont une belle taille pour faire une maison individuelle, cela séduit beaucoup de gens, mais attention: c'est une opération périlleuse. Il faut avoir les moyens de ses rêves», prévient le professeur qui a vu beaucoup d'«histoires d'horreur», d'églises mal rénovées ou d'acheteurs ruinés parce qu'ils avaient mal planifié l'ampleur des travaux.

Heureusement, Harmony Hubert était prête lorsqu'elle a fait l'acquisition avec son mari d'une grande église catholique aux Coteaux, près de Salaberry-de-Valleyfield. Quand les religieux leur font une première offre à 250 000$, le couple a refusé catégoriquement ce qui, à d'autres, aurait pu sembler une excellente affaire pour une résidence de 4600 pi2. Trois ans plus tard, ils ne la paieront que 35 000$, mais n'estiment pas avoir fait l'aubaine du siècle pour autant. «Tout, absolument tout, était à faire», raconte Harmony Hubert, qu'on a peine à croire tant sa maison est accueillante aujourd'hui.

Or, il y a sept mois à peine, son lieu de culte n'était encore qu'une simple coquille vide sans divisions, sans cuisine, sans chambres à coucher ni même de toilettes, à l'exception d'une «bécosse» dans la cour arrière, près du cimetière.

L'électricité et la plomberie ne valaient plus rien, plusieurs fenêtres étaient cassées, le système de chauffage était désuet et la décoration d'un goût discutable: murs et plafonds peints en violet, rose, «bleu Vierge Marie», beige et or, recouverts d'une épaisse couche de poussière et de toiles d'araignées. «Ma fille était un peu découragée quand on lui a fait visiter la première fois!», dit Harmony Hubert.

Le plus grand investissement du couple a été l'installation d'un système de géothermie pour réduire la facture de chauffage, qui s'élevait à près de 35 000$ par année! «Si j'ai un conseil à donner aux gens qui achètent une église: abaissez les frais de base, sinon vous ne serez jamais capables de tenir», dit-elle.

L'immense rez-de-chaussée est resté principalement à aire ouverte. Ici, le plafond a plus de 40 pieds de hauteur et la salle de bains fait, à elle seule, la taille de certains studios montréalais. Exit les couleurs pastel, on est ici dans une maison moderne et lumineuse. Tout a été repeint en blanc et gris pâle. Les planchers en lattes fines ont été décapés et teints charbon clair.

Rivalisant d'ingéniosité pour limiter les coûts, Harmony et son mari sont passés maîtres dans l'art de la récupération, au cours des derniers mois. Les lattes du plancher du balcon intérieur ont été enlevées une à une pour colmater les trous dans celui du choeur. Les poutrelles en bois massif - vieilles de 130 ans! - ont été transformées en superbe îlot de cuisine. L'escalier en colimaçon est celui d'un duplex de la rue Saint-André, à Montréal, acheté d'occasion sur le site kijiji.ca. Les deux confessionnaux ont été repeints en vert sombre et ne reçoivent plus les péchés des autres, mais les guitares de monsieur ou du linge de maison et des produits de beauté. La transformation est éblouissante.

Le problème de l'absence totale d'intimité a été contourné sans dénaturer l'esprit des lieux en concentrant les pièces fermées à l'étage du balcon. La fillette y a une jolie chambre où règne le rose vif. Elle adore sa maison maintenant.

Artisans

Si Harmony Hubert s'est beaucoup engagée dans les travaux - «J'ai posé au moins 4000 pieds de moulures», dit-elle -, trouver les artisans compétents n'a pas été de tout repos. Plusieurs ont été effrayés par l'ampleur des travaux. L'un d'eux a fait demi-tour avant même d'entrer en voyant la taille de la maison, d'autres ont gonflé des devis pour être sûrs de ne pas obtenir un contrat aussi complexe en apparence. Elle remercie encore celui qui a accepté d'installer des luminaires à 40 pieds de haut!

«Il faut s'attendre à ce que tout doive être fait sur mesure», complète Nathalie Marcotte. Les fenêtres en ogive n'ont rien de standard, pas plus que les portes de 12 pieds de hauteur de l'entrée ou l'escalier menant au clocher. Donc, il faut s'attendre à investir beaucoup de temps et d'argent.

C'est sans doute parce que plusieurs acheteurs s'y préparent mal que le taux de roulement des églises est si élevé et qu'on en trouve régulièrement sur le marché, note Luc Noppen. Nathalie Marcotte et son mari se sont résolus à mettre en vente leur maison de la rue Crown à Danville pour se rapprocher de l'école secondaire de leurs trois enfants, à près d'une heure de route. «Je ne retrouverai jamais une maison comme ça», regrette Nathalie Marcotte.

On peut difficilement la contredire.

____________________________________________________

En quelques chiffres

> 270

270 lieux de culte du Québec avaient été abandonnés, fermés ou convertis en date du 31 mars 2012, soit près de 10% des 2751 édifices de la province recensés par le Conseil du patrimoine religieux du Québec.

> 30

C'est le nombre moyen de lieux de culte convertis chaque année en moyenne depuis 2006. La tendance s'accélère: entre 2001 et 2005, on n'en comptait qu'une vingtaine par année.

> 7%

C'est la proportion des églises vendues qui ont été transformées en résidences privées en 2012. Les autres sont toujours à vendre (8%), ont été abandonnées (16%), démolies (12%), ont été reprises par une autre tradition religieuse (17%) ou ont été transformées en salle culturelle (8%), notamment.

> 2

Deux églises ont été transformées en centre d'escalade au Québec.

> 60

Une soixantaine d'églises avaient déjà changé de vocation en mars dernier sur le territoire de Montréal, sur un total de 468.

Source: Conseil du patrimoine religieux du Québec