Il était une fois... la rue du Souvenir, que l'on commença à tracer à l'automne 1893, dans l'ancien domaine des Sulpiciens, au moment où naissait l'hôpital Royal Victoria (1893), le Conseil des femmes de Montréal (1893) et où avait lieu la première finale de la Coupe Stanley (1894). La petite rue ne tarda pas à se border de maisons attachées, de style architectural Second Empire, que prisait la riche bourgeoisie commerçante de l'époque.

Un bond dans le temps, et nous voici en 1949: la grand-mère de François-Pierre Gingras, propriétaire actuel, fait l'acquisition de la chic résidence, au prix de... 7900$! D'un héritage à l'autre, la propriété familiale finit par échoir à François-Pierre en 2009. M. Gingras et sa femme, Susan McDougall, en font leur pied-à-terre montréalais. À ce moment, seul le revêtement de pierre subsiste de la façade originale, dénaturée au fil des rénovations. Fort heureusement, M. Gingras possède de vieilles photos, montrant les visages successifs de cette maison qu'il fréquente depuis presque 60 ans.

Petit projet devenu grand

L'aventure commence, pour M. Gingras et sa compagne, avec la découverte d'une saillie endommagée, au-dessus d'une fenêtre de l'étage. Un entrepreneur consulté n'y va pas par quatre chemins: «Je peux remplacer le bardeau d'asphalte, mais ce sera à refaire dans cinq ans, car le cuivre, en dessous, chauffe. Vous devriez plutôt refaire la finition de cuivre.» Un spécialiste du cuivre, à son tour mandé sur les lieux, affirme qu'on ne peut guère refaire le cuivre sans remettre aussi l'ardoise qui le côtoyait à l'origine.

L'entrepreneur général, enfin, choisi pour son expertise en restauration du patrimoine, trouve que les rénovations ne prendront leur sens que si on restaure la façade au complet, y compris les fines boiseries victoriennes d'origine. «Heureusement, fait-il valoir, il existe un programme de subventions...»

«C'est ainsi que je suis passé d'un projet de 5000$ à une entreprise de 140 000$, résume M. Gingras. Nous n'avions pas l'argent, mais ma femme, qui a toujours aimé les choses du passé, m'a fortement encouragé à faire la restauration. «La maison en vaut la peine», disait-elle.»

La Ville qualifie en effet les bâtiments de cette rue comme «l'une des plus belles enfilades de maisons victoriennes contiguës, à l'extérieur du Royaume-Uni». L'architecte Thomas Fontaine, de l'arrondissement de Ville-Marie, explique ainsi cette préservation: «Ce secteur exceptionnel a sans doute été protégé par sa situation géographique, dans une enclave entre le boulevard René-Lévesque et la falaise Saint-Jacques. De plus, le couvert végétal y est important, laissé par des institutions religieuses et autres.»

Les travaux de restauration se sont déroulés de novembre 2010 à février 2012, sous la direction de l'entrepreneur général Daniel Béland (Rénovation du Plateau, Montréal). Sur la facture totale de 140 000$, le programme d'aide à la restauration patrimoniale (Ville de Montréal et ministère de la Culture, programme maintenant terminé) a couvert 30% des 125 000$ admissibles.

Architectes et artisans

M. Gingras attribue le succès de son entreprise non seulement aux judicieux conseils des architectes de son arrondissement, mais aussi à «ces artisans extraordinaires» qui perpétuent les façons de faire ancestrales: couverture d'ardoise et de cuivre étamé, fonte pour les garde-corps, vitraux, ébénisterie comme de la dentelle...

Ils ont été 4417 à voter pour la maison de coup de coeur du public de l'OPAM cette année, dont les activités sont organisées par la Ville de Montréal et la Fondation Héritage Montréal. «Le choix du public est d'autant plus heureux, souligne Anne-Sophie Harrois, des communications de l'arrondissement de Ville-Marie, que la maison primée se trouve dans le quartier des Grands Jardins, qui fait l'objet d'un plan particulier d'urbanisme visant à protéger son caractère patrimonial.»

Susan McDougall s'est réjouie de voir ses efforts couronnés lorsque la maison Gingras a été choisie parmi les cinq maisons finalistes des prix émérites 2012. Victime d'un AVC le 28 octobre dernier, elle n'aura malheureusement pas vu la propriété remporter l'adhésion du public.