C'est quasiment miraculeux qu'une maison bâtie en 1730, qu'on a à peine rénovée, tienne encore debout. Pourtant, c'est le cas de la maison Drouin, sise dans les limites de Sainte- Famille, à l'île d'Orléans. Malgré des ventres qui rondissent les murs extérieurs, de la pourriture au bas des portes et des fenêtres ainsi que des pierres descellées, du crépi fendillé, la maison Drouin, qui date du régime français, présente un intérêt architectural certain, ne serait-ce qu'à cause des techniques de construction employées par les premiers colons français. Le grenier, la chambre-cabane et le carré de la première maison témoignent de la vie paysanne aux XVIIIe et XIXe siècles.

Mais l'exiguïté des pièces est frappante. Pourtant, la maison a abrité jusqu'à une dizaine d'enfants, «surtout à l'époque des Canac-Marquis», explique Jean Rompré qui, après une longue carrière comme enseignant au Séminaire Saint-François, consacre désormais sa retraite à l'histoire de l'île d'Orléans dont il est d'ailleurs devenu un résidant.

La maison Drouin, il en connaît l'histoire sur le bout des doigts. Si les descendants d'Élie Drouin ont été les derniers à occuper la résidence, ils n'en sont pas les constructeurs, précise encore M. Rompré. En fait, c'est François, un des cinq fils de Marc- Antoine Canac-Marquis (ceux des quincailleries), qui fit construire le premier carré de maison en 1730. Un espace qui sera agrandi quelques années plus tard par son frère Jean-Baptiste.

La maison Drouin est aujourd'hui gérée par la fondation François-Lamy. L'organisme a pour but de mettre en valeur le patrimoine architectural, culturel et naturel de Sainte-Famille. La fondation possède aussi la Maison de nos aïeux (ancien presbytère). Si le presbytère a été rénové, la maison, elle, attend son tour. «Mais l'espoir est là, explique la directrice Évelyne Laflamme, car la maison Drouin a été classée, il y a deux ans, par le ministère de la Culture du Québec et sa restauration devrait débuter sous peu.» Des subventions sont prévues à cet effet.

réparations nécessaires

«Or c'est une évidence que la maison a grandement besoin de réparations», déclare Jean Rompré. Déjà, à l'extérieur, on peut voir que la maison s'affaisse d'un côté, que la pourriture a attaqué les cadres de porte et que le crépi doit être refait. «Néanmoins, nous tenons à préserver le maximum d'authenticité», poursuit l'ex- enseignant, à commencer par le grenier qu'il voit comme une petite encyclopédie de menuiserie ancienne. Par exemple, la toiture repose sur des pannes (pièces de charpente posées à l'horizontale) qui supportent les chevrons, explique-t-il. Il y a aussi en plein centre du grenier une chambre-cabane dont l'un des murs s'appuie sur la cheminée de pierre. C'était une pièce qu'on destinait aux enfants et qui a les dimensions d'un cagibi. La chambre- cabane est constituée d'un assemblage de planches qui sont des restes de construction.

Or le premier carré de maison mesurait environ 24 pieds par 24 pieds. Et les planchers sont d'origine, signale M. Rompré, et très, très rustiques. Ils ont été fabriqués avec des madriers grossièrement équarris, posés côté à côte sans souci d'ajustement. Résultat : l'alignement des planches est à oublier.

nouvelle partie

Par contre, dans la nouvelle partie, construite vers 1736, on note une évolution, soit l'utilisation de planches plus étroites et rabotées qui s'ajustent les unes aux autres pour plus d'esthétique. Il y a eu une femme derrière tout ça. Probablement l'épouse de Jean-Baptiste Canac-Marquis qui a voulu avoir plus d'espace, plus de commodité. Toutefois, l'âtre, le four à pain, la laiterie sont restés dans l'ancienne maison qui était vraiment une résidence d'habitant.

En 1861, le forgeron Élie Drouin rachète les deux tiers de la terre des Canac-Marquis qui sont forcés de vendre en raison d'une poursuite intentée par leurs neveux. Pour faire des profits, ils morcelleront la propriété en trois lots. Élie Drouin acquiert une grande partie des terres ainsi que la maison. Ses descendants Maria et son frère Cyril Drouin l'occuperont pendant une soixantaine d'années. Ce dernier y restera jusqu'en 1984.

«Cependant, ils y furent malheureux, indique M. Rompré parce qu'on a construit juste à côté un établissement hôtelier, l'hôtel du Marquis, qui empoisonnera leur existence pendant des années. On raconte que les jeunes venaient frapper à leur porte tard le soir et jetaient leurs bouteilles de bière sur la galerie, dans le jardin. Les jeunes riaient d'eux parce qu'ils vivaient comme au XIXe siècle, c'est-à-dire sans eau courante ni électricité, souligne M. Rompré. Cyril Drouin quittera définitivement la résidence en 1984.