Au pays des grands crus bordelais, où l'on n'a pas l'habitude de voir d'immenses grues à l'oeuvre, certains des meilleurs architectes du monde, de Christian de Portzampac à Jean Nouvel, remodèlent une partie des chais les plus réputés de la région.

Au Château Cheval Blanc, premier grand cru classé de Saint-Emilion, le lauréat du prix Pritzker Christian de Portzampac a fait venir deux grandes grues pour installer des sculptures en forme de coquillages et un toit et des murs végétaux sur les bâtiments, dont l'architecture du XIXe siècle n'avait jusqu'à présent rien d'exceptionnel.

Dans cet univers où la compétition est féroce, les progrès de l'oenologie et la politique de marque requièrent de nouveaux équipements, dans un contexte d'engouement pour le tourisme viticole.

À moins de 100 m de là, au château La Dominique, grand cru classé, des ouvriers travaillent à un projet de Jean Nouvel -un autre lauréat du prix Pritzker, le Nobel des architectes-, un toit-terrasse comportant des panneaux photovoltaïques et pouvant accueillir 400 personnes.

Ce projet doit mettre le propriétaire Clément Fayat à la pointe de la tendance régionale à l'utilisation d'énergies vertes.

Les chais comprendront un système de travail par gravité et des cuves de différentes tailles, correspondant au nombre de parcelles, qui peuvent faire toute la différence entre un bon vin et un grand vin.

«Nous nous y prenons un peu tard, nous aurions dû faire cela il y a 40 ans, mais mieux vaut tard que jamais», indique Clément Fayat, fondateur du groupe éponyme.

Il s'est adressé à Jean Nouvel pour transformer sa propriété en véritable oeuvre d'art.

«La salle des cuves aura des parois extérieures en verre avec des lamelles de bois pour diffuser la lumière. C'est la signature de Jean Nouvel», explique Yannick Evenou, vice-président des Vignobles Clément Fayat.

Ce sera aussi la nouvelle image de la marque La Dominique. Les châteaux du Bordelais sont avant tout des marques.

La plupart des propriétés appelées «châteaux» sont antérieures aux châteaux qui y ont été construits, selon Philippe Roudie, professeur spécialisé dans l'histoire du commerce des vins de Bordeaux.

«Associer l'architecture au commerce du vin est un phénomène assez nouveau», explique-t-il. La plupart des célèbres châteaux du Médoc ont été construits au XIXe siècle par de riches propriétaires qui souhaitaient disposer d'une résidence secondaire dans leurs vignobles.

Parmi les précurseurs, Lafite-Rothschild avait fait appel à Ricardo Bofill en 1987 pour ses chais de forme circulaire avec colonnes qui peuvent contenir 2.200 barriques.

Aujourd'hui, des innovations comme la mise en bouteilles sur le site imposent des aménagements.

Deux autres caves, déjà terminées, jouent la carte de la modernité. Le château Cos d'Estournel, grand cru classé du Médoc, a dévoilé en 2008 ses nouveaux chais, conçus par Jean-Michel Wilmotte -architecte renommé des Portes de la Paix à Hiroshima- qui auraient coûté 35 millions d'euros.

Pour compléter ces chais ultra-modernes, équipés d'une armée de 72 cuves, Cos a fait appel au célèbre décorateur Jacques Garcia afin qu'il apporte sa touche aux salles de réception.

Au Château Faugères, à Saint-Emilion, l'homme d'affaires suisse Silvio Denz a investi huit millions d'euros pour se créer un chai et une identité. Le domaine a fait appel à Mario Botta, célèbre pour son usage de la lumière et de l'espace pour le Musée d'art moderne de San Francisco et la Kyobo Tower de Séoul.



«Une observation attentive du paysage m'a fourni l'inspiration», indique Mario Botta, évoquant les rangs bien rectilignes du vignoble.