Conçue en 1957 et achevée en 1959 par l’architecte André Robitaille, cette demeure brille dans la nuit en raison de sa façade sud totalement fenêtrée. M. Robitaille, aujourd’hui âgé de 86 ans, a su exploiter ce terrain en pente et, surtout, bâtir sa demeure en préservant les arbres, aujourd’hui majestueux.

Conçue en 1957 et achevée en 1959 par l’architecte André Robitaille, cette demeure brille dans la nuit en raison de sa façade sud totalement fenêtrée. M. Robitaille, aujourd’hui âgé de 86 ans, a su exploiter ce terrain en pente et, surtout, bâtir sa demeure en préservant les arbres, aujourd’hui majestueux.

 >> MULTIMÉDIA: Visitez la maison et écoutez les commentaires de Françoise Robitaille et de ses fils.

 L’une des constructions marquantes d’André Robitaille, figure de proue de l’architecture moderne québécoise, est sa maison de béton percée de grandes fenêtres réalisée en 1959 dans l’arrondissement de Sainte-Foy–Sillery, à Québec. Toujours aussi actuelle, elle réunit les grands principes d’une architecture résidentielle réussie. En 2007, la famille Robitaille a mis la demeure en vente et l’a d’abord proposée à un architecte de Québec bien connu: Pierre Thibault. Elle s’assurait ainsi de la préservation des lieux. Après avoir vendu sa propre maison, Pierre Thibault a restauré la propriété avec doigté. Nous avons croqué sur le vif le retour de Françoise Robitaille et de deux de ses fils dans leur résidence familiale rafraîchie. 

Jour de retrouvailles

 Il y a deux ans, la famille Robitaille a vendu sa résidence de l’arrondissement Sainte-Foy-Sillery, à Québec. Cet hiver, elle y est revenue pour la première fois. Dès l’entrée, Françoise Robitaille, 87 ans, l’épouse du concepteur de la propriété, a remarqué le coussin du banc aménagé dans le vestibule et s’est exclamé : « Oh ! Mon Dieu, vous avez gardé mon coussin. Vous savez, c’est moi qui l’ai fabriqué. »

 Elle a ensuite écarquillé les yeux en découvrant le rez-de-chaussée rénové. Tout à coup, la porte s’est ouverte et Paul est apparu. « On a tendance à faire comme chez-nous, j’ai oublié de frapper avant d’entrer », a dit en riant l’actuaire de 51 ans qui s’est approché de son frère aîné François, un architecte de 54 ans.

 Tout ce beau monde a été accueilli sous les flashes du photographe de La Presse, Bernard Brault, et par le nouveau propriétaire des lieux, l’architecte Pierre Thibault.

 Le grand absent ? L’architecte de la maison, André Robitaille, 86 ans. « Il ne pouvait être avec nous, car sa santé ne lui permet pas de se déplacer facilement, s’est excusé François Robitaille. Mais il est très fier que l’on s’intéresse à sa maison », a-t-il souligné. Quant à Charles, le troisième fils de la famille, il était à New York ce jour-là.

 Première impression Mme Robitaille ? « Je suis très réjouie, c’est très bien et surtout très aéré », a-t-elle dit, visiblement soulagée par le travail respectueux de Pierre Thibault. En effet, l’architecte de 49 ans a minutieusement rénové l’intérieur tout en préservant l’esprit des lieux. Le seul grand changement est la suppression d’un long rangement coloré qui servait de division au rez-de-chaussée, entre la façade nord et la façade sud, là où se trouvaient à l’origine la cuisine ouverte sur la salle-à-manger et le salon.

 « Il avait fait un loft avant l’époque, mais nous désirions encore plus de transparence », explique Pierre Thibault. De fait, cette bibliothèque opaque atteignait près de sept pieds (2,13 m) de hauteur et, surtout, elle créait deux espaces relativement étroits. « Voilà pourquoi nous l’avons enlevée », justifie l’architecte qui a par ailleurs récupéré une grande section du mobilier qu’il installera bientôt dans son bureau.

 Pendant la visite, Françoise Robitaille a confié qu’elle s’était parfaitement adaptée aux idées modernes de son mari. D’ailleurs, elle se souvient qu’à l’époque (début des années 60), plusieurs voisines se demandaient comment elle réussissait à cuisiner sous les yeux des invités assis dans le salon. « Je n’ai jamais eu peur de cuisiner devant les amis ou que l’on m’aperçoive dans les fenêtres en façade », avoue-t-elle.

 De son côté, Pierre Thibault, qui habitait tout près, avait déjà avoué son admiration pour la maison d’André Robitaille à l’un de ses employés, l’architecte Jean-François Mercier dont la conjointe s’avère être l’une des filles de François Robitaille...

 « Sachant que Pierre avait un intérêt pour la maison, nous l’avons appelé une semaine avant de rencontrer un agent d’immeubles », raconte François Robitaille. « Après avoir demandé un sursis d’une semaine, ma femme et moi avons décidé de l’acheter », enchaîne Pierre Thibault.

 « C’était la meilleure façon de rassurer mon mari, ajoute Mme Robitaille, car n’importe quel autre acheteur aurait pu démolir la maison, ce qui aurait été un malheur pour lui et pour toute la famille. »

Architecture moderne et... joyeuse !

 Difficile de déprimer en découvrant la façade sud de la maison d’André Robitaille. Les murs-rideaux des deux étages sont rythmés par des portes et des panneaux (allèges) de couleurs pimpantes et primaires : rouge, jaune et bleu. Aussi, du vert et une bonne dose d’orangé, teinte typique des années 60, ont été privilégiés. Associés au blanc des fenêtres, les rectangles colorés structurent l’ensemble et forment une géométrie rappelant les toiles de Mondrian.

 « C’est là que s’affirme le modernisme joyeux d’André Robitaille », écrivent les auteurs de Québec monumental 1890-1990 au sujet de la résidence de Québec. Ils soulignent également que « le modernisme de l’architecte n’a jamais été synonyme d’austérité et de froideur, bien qu’il ait construit exclusivement en béton ».

André Robitaille a pratiqué un modernisme non pas cossu mais modeste à la manière de Le Corbusier, renchérit Luc Noppen, l’un des trois spécialistes qui signent l’ouvrage. En clair, son architecture – avant tout fonctionnelle – s’exprime par les matériaux et la couleur.

 « Avec Jean-Marie Roy, il s’impose comme une figure importante du mouvement moderniste à Québec », rappelle le directeur de l’Institut du patrimoine à l’UQAM. Dans la seconde partie de sa carrière, André Robitaille consacre beaucoup de son temps à la restauration. « On lui doit la renaissance de la Place-Royale et le réaménagement du Vieux-Québec. Sans lui, l’UNESCO n’aurait probablement pas inscrit l’arrondissement du Vieux-Québec sur sa Liste du patrimoine mondial », soutient M. Noppen qui a beaucoup apprécié la personnalité joviale, mais discrète, de l’architecte.

 Maison de béton et d’acier

 André Robitaille utilise abondamment le béton dans ses constructions. Surtout, il aime explorer les limites sculpturales du matériau. Il faut voir les formes audacieuses de ses édifices publics, comme la Caisse populaire Desjardins de Charlesbourg et le LaFayette, boulevard Charest, à Québec, avant sa récente rénovation.

 Dans le cas de sa propriété, le rez-de-chaussée est formé d’une structure d’acier (visible à l’intérieur comme à l’extérieur) déposée sur la structure de béton du niveau inférieur. « Il est très rare de trouver des maisons d’acier et de béton au Québec. Ce sont plutôt les charpentiers et les menuisiers qui dominent le milieu de la construction résidentielle, rappelle Pierre Thibault, propriétaire depuis deux ans de la maison Robitaille dont la superficie habitable est d’un peu plus de 3000 pieds carrés.

 Les avantages de sa propriété en béton ? La dalle du rez-de-chaussée se poursuit à l’extérieur et crée un saisissante promenade de deux mètres de largeur filant le long des façades sud et ouest. « Il aurait été difficile d’avoir une terrasse en porte-à-faux aussi mince en bois, note l’architecte. Sans compter que le béton assure une excellente insonorisation entre les chambres du sous-sol et les pièces de vie situées au rez-de-chaussée.

 Et comment le béton a-t-il vieilli ? « Cinquante ans après la construction, il est toujours en excellent état. Je n’ai eu qu’à effectuer des réparations mineures », explique Pierre Thibault. Quant aux couleurs posées à l’extérieur, elles ont dû être rafraîchies. « J’ai pris soin de les remplacer à l’identique », précise-t-il.

 Détail : une couleur est absente aujourd’hui : le vert. « Il n’y avait plus d’allèges vertes lorsque j’ai acheté la maison, admet Pierre Thibault. M. Robitaille a dû les repeindre. Un jour, je pourrais les ramener », propose-t-il.

 Un rez-de-jardin à la place du sous-sol

 De prime abord, un terrain en pente n’est pas l’idéal pour construire une unifamiliale. Erreur. Il suffit de visiter le sous-sol lumineux de la résidence conçue par André Robitaille pour s’en convaincre. L’architecte a su tirer parti d’une dénivellation pour réinventer le mode d’habiter, souligne Luc Noppen, professeur titulaire au département d’études urbaines et touristiques à l’UQAM.

 Résultat : toutes les chambres percées de grandes fenêtres logent au sous-sol qui... n’a pas l’air d’en être un. « C’est un magnifique rez-de-jardin », précise Pierre Thibault, propriétaire des lieux.

 Réalisé en 1959, cet aménagement était non seulement avant-gardiste, mais très performant d’un point de vue énergétique. Raison ? La partie sud est fenêtrée alors que les trois autres, dont la façade nord, sont enfouies dans la terre. En hiver, les gains solaires sont donc importants alors que les pertes s’avèrent dérisoires.

 « Mes coûts de chauffage sont moins élevés que dans mon ancienne maison », révèle Pierre Thibault.

 L’été, le balcon situé au-dessus des fenêtres du rez-de-jardin fait office de brise-soleil, ce qui limite la surchauffe et protège les fenêtres de bois.

 « C’est une architecture sobre, mais efficace qui contient la plupart des principes que j’applique pour mes projets résidentiels », confie l’architecte. Parmi eux, il y a le décloisonnement des pièces et l’orientation appropriée des fenêtres.

 Enfin, peu d’éléments ont changé à l’intérieur du rez-de-jardin. Du chêne rouge a été posé au sol. «J’ai utilisé la même essence de bois pour le rez-de-chaussée, car je désirais uniformiser les revêtements », justifie Pierre Thibault. À l’origine, le niveau inférieur comportait quatre chambres. Aujourd’hui, il y en a trois, dont une pour les deux enfants (16 ans et 18 ans) du couple propriétaire.

 Pour ce qui est du bureau de l’architecte, il se trouve exactement au même endroit que celui d’André Robitaille. Toutefois, la paroi de verre et les rangements du corridor ont été supprimés. « Ainsi, j’ai pu élargir l’espace de circulation », fait-il remarquer.

Transparence

 À l’origine, un long rangement aux rayons colorés mais opaques partageait le rez-de-chaussée de la maison Robitaille en deux. Cette bibliothèque-cloison était sûrement fort utile, « mais nous désirions plus de transparence et de fluidité », explique Pierre Thibault, propriétaire des lieux depuis deux ans. L’architecte tient toutefois à préciser qu’une section du mobilier a été préservée.

 Aujourd’hui, la lumière naturelle illumine l’intérieur et, surtout, circule librement. De fait, la façade nord, côté rue, est trois fois moins fenêtrée que celle exposée au sud, face au fleuve.

 À l’époque, André Robitaille avait disposé la cuisine à l’ouest et le salon à l’extrémité est de la maison. Pierre Thibault a reproduit cette enfilade en inversant toutefois la cuisine et le salon. Résultat : la salle à manger actuelle se trouve dans la même position que celle de 1959.

 Détail : la suppression de la bibliothèque a toutefois dévoilé deux colonnes d’acier structurales.

 Autres rénovations : les carreaux acoustiques du plafond ont été changés par des panneaux de gypse. « J’en ai profité pour isoler davantage le toit », note Pierre Thibault. Dans la foulée des travaux, il aménage dans l’axe de l’ancienne bibliothèque une étroite alcôve au plafond afin d’y poser un rail d’éclairage. Rappelons que dans un entretoit ventilé, il est très difficile d’encastrer de l’éclairage.

Du chêne rouge huilé a été posé sur le revêtement existant (linoléum, céramique, bois) et certains des murs couverts de contreplaqué peint en blanc ont été rafraîchis.

Enfin, l’intervention la plus importante est sans contredit le renouvellement des 90 fenêtres de la maison. Les châssis de bois étant en bon état, seul le vitrage d’époque a été changé pour du verre à haute performance énergétique. L’architecte a également reproduit chaque moulure (petit-bois) maintenant les vitres au châssis.

 Il faut dire que la fenestration de la façade sud constitue le réel élément de luxe de cette maison d’allure très modeste. Son concepteur avait judicieusement « détaché » les colonnes (d’acier et de béton) des murs-rideaux des deux étages afin de préserver la régularité et la pureté de la façade fenêtrée. Une technique largement utilisée par les modernistes, tels Mies van der Rohe et Le Corbusier.

 « J’aime la pureté des volumes de cette maison, confie Pierre Thibault. Je me rends compte, poursuit-il, que j’ai conçu ma résidence secondaire dans le même esprit avec une généreuse fenestration et un plancher qui se prolonge en terrasse à l’extérieur. »

 L’architecte est catégorique : « Quand on prend l’habitude de vivre dans un grand espace lumineux, il devient impossible de revenir en arrière dans une maison remplie de pièces », conclut-il.

Photo Bernard Brault, La Presse

«Je suis réjouie, c'est très bien et surtout très aéré», a avoué Françoise Robitaille en découvrant les travaux de rénovation de Pierre Thibault.