Mai 68, mois charnière au Québec en matière d'architecture résidentielle. On est entre deux eaux. Tandis qu'on s'affranchit du bungalow, on lorgne le cottage, qui est plus expressif, alors que commencent à proliférer les maisons neuves d'esprit traditionnel ou français. Ce, par peur, pense l'architecte Paul Brassard de Québec, que notre identité et nos racines nous échappent dans la grande marée du consumérisme américain.

Mai 68, mois charnière au Québec en matière d'architecture résidentielle. On est entre deux eaux. Tandis qu'on s'affranchit du bungalow, on lorgne le cottage, qui est plus expressif, alors que commencent à proliférer les maisons neuves d'esprit traditionnel ou français. Ce, par peur, pense l'architecte Paul Brassard de Québec, que notre identité et nos racines nous échappent dans la grande marée du consumérisme américain.

Au printemps de 1968, les étudiants français menaient le bal. Leurs slogans et graffitis parlaient plus fort que la presse. «Il est interdit d'interdire», «Millionnaires de tous les pays, unissez-vous, le vent tourne», «Assez d'actes, des mots», «Tout enseignant est enseigné, tout enseigné est enseignant» ou «Soyez réalistes, demandez l'impossible», tonnaient-ils.

Ici, continue Paul Brassard, le combat, amorcé au début de la décennie, s'essoufflait. La vigoureuse contestation était derrière nous. Le discours iconoclaste, qui ébranlait la fixité de notre héritage, avait eu lieu. «Nous passions déjà à autre chose», continue l'architecte, qui a lui-même pris part au mouvement intellectuel.

L'historien Michel Lessard, auteur, entre autres, de la <i>Nouvelle Encyclopédie des antiquités du Québec</i>, trouve, lui aussi, que la laïcité et l'affirmation nationale ont été proclamées chez nous bien avant 68.

Dénatalité

Dans son Encyclopédie de la maison québécoise, éditée en 1972, il constate que le bungalow est déjà un vecteur de dénatalité. «L'obligation de s'en tenir à des grandeurs bien précises pour respecter son salaire, ses possibilités et son budget va jouer sur la dénatalité (...). La famille moyenne devra se limiter à deux ou trois enfants.»

Encore que ces maisons de plain pied, si prolifiques après la guerre, ont fait des intérieurs plus éclairés, alors que les pièces, en raison des fenêtres souvent panoramiques, se projettent sur l'extérieur. Quant aux cuisines, elles sont déjà plus pratiques et fonctionnelles. Et sitôt qu'un ménage à revenu moyen améliore sa condition financière ou atteint un certain niveau social, il fait finir son sous-sol, l'équipe d'un bar et y reçoit de préférence.

Parallèlement, un grand nombre de particuliers s'éprennent des maisons de campagne qu'ils habitent et préservent, se disputent les antiquités, exaltent les arts et traditions populaires.

«Fin des années 50, on mettait nos belles moulures, nos vieilles tables et chaises en érable ou en chêne au chemin pour les remplacer par des meubles chromés, à plateaux en arborite et coussinets de vinyle. On s'est rendu compte qu'on avait poussé trop loin notre besoin d'émancipation», reprend Paul Brassard.

Puis eut lieu un ras-le-bol du bungalow en tant que maison en deux dimensions. Fin des années 60, on se hâte d'élever des cottages. «Tout en doublant le potentiel d'occupation sur des terrains qui se faisaient de plus en plus petits», poursuit l'architecte. Ce faisant, l'escalier, ce meuble nostalgique, est réhabilité.

Du coup, on est fasciné par nos maisons patrimoniales. Bien qu'imparfaitement, on les reproduit. Elles prolifèrent à Charlesbourg, à Sainte-Foy et à Cap-Rouge. Parfois, elles cohabitent avec les bungalows et les split levels. Cette dualité témoigne de notre tiraillement entre les États-Unis et la France. On est ouvert au modernisme, mais on tient mordicus à notre passé.

Un ordre architectural nouveau

 Pendant que le Québec, fin des années 70, transite du bungalow au cottage, puis à la reproduction de maisons anciennes, Habitat 67 et la maison Kinsmen d'ExpoCité proposaient un ordre architectural nouveau. Plus au diapason, à première vue, de l'agitation estudiantine de mai 68 qui exprimait un «y en a marre» de l'ordre ancien et de la société de consommation.

 La maison Kinsmen est créative, audacieuse et contemporaine.

 Habitat 67, calqué pourtant sur la disposition et la conformation des maisons de l'île grecque Santorini, est un hymne au béton, aux modules locatifs préfabriqués, aux terrasses vertes, 20 ans avant qu'au Québec on en éprouve la nécessité.

 L'architecte Moshe Safdie, voyant déjà que les Québécois étaient pâmés de nature et de grand air, eut la conviction que la province allait devenir horticole. De plus, l'immeuble conciliait vie urbaine et vie de banlieue.

 Et bien qu'Habitat 67 soit devenu élitique et admiré par le monde entier, il a été conçu pour les ménages à revenus moyens.

 Selon l'architecte Paul Brassard, qui a déjà travaillé aux côtés de Moshe Safdie dans la conception du Musée de la civilisation de Québec, Habitat 67 était une expression puissante de nouveauté, bien que sa volumétrie et sa texture s'inspiraient du bâti traditionnel de l'île Santorini.

 

Photo Alain Roberge, archives La Presse

Habitat 67 marque une rupture avec notre façon de nous loger. De plus, on considère ce complexe comme une merveille du monde architectural.