Le mouvement pour la diversité sensorielle s’étend depuis peu à l’architecture et au design. Une question se pose : comment construire des environnements qui répondent aux besoins de tous, y compris les personnes neuroatypiques ? Question courte, réponse complexe. Le milieu cogite pour trouver des pistes de solution qui, à défaut d’éliminer toutes les sources d’irritation, tendent vers la création d’aménagements plus sensibles au bien-être de chacun.

Si on vous proposait de vivre dans un château d’Écosse, vous le trouveriez possiblement trop sombre, trop grand, trop humide. Pour bien des gens, l’environnement bâti est ressenti comme un château d’Écosse. Avec le vieillissement de la population, la question prendra de plus en plus d’importance, signale Jean-Pierre Chupin, théoricien de l’architecture. « À notre époque, les discussions entourant l’accessibilité universelle ne peuvent plus se résumer aux enjeux de mobilité réduite. Elles doivent s’étendre aux limitations neurologiques. »

Un nouveau mot fait son apparition dans le vocabulaire du design : la « neuroarchitecture ». Le concept, apparu récemment, invite à créer des lieux qui tiennent compte des réactions intuitives à l’environnement, explique Virginie Lasalle, professeure adjointe à l’École de design de l’Université de Montréal. « Dit comme ça, c’est de la bonne architecture comme on en fait depuis toujours. Mais ce qui diffère maintenant, c’est qu’on essaie de mieux comprendre ces réactions à partir de données empruntées à d’autres disciplines comme la psychologie ou les neurosciences. »

Or, les avancées dans ces domaines mènent à un constat : nos bâtiments paraissent hostiles à une bonne partie de la population.

Les personnes neuroatypiques – un groupe qui englobe les troubles du spectre de l’autisme, ceux de l’attention, de l’anxiété, de la dépression ou de la dégénérescence cognitive, comme l’alzheimer – ne parviennent pas à s’adapter à leur environnement comme peuvent le faire les personnes dites neurotypiques. Pour leur bien-être, c’est donc l’environnement qui doit s’ajuster à leurs besoins. « On s’entend que la problématique est vaste », souligne la chercheuse.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Virginie Lasalle, professeure adjointe et responsable du DESS en design d’intérieur à l’École de design de l’Université de Montréal

Le bruit, la lumière, la surcharge d’informations, les difficultés de repérage dans l’espace ou les interactions avec l’autre sont autant de sources d’irritation plus ou moins grandes pour les personnes qui ont des fragilités neurologiques. « Si on veut que tout le monde participe à la société, il faudra être en mesure de revoir les environnements partagés pour mieux les accueillir. Repenser nos espaces communs sous l’angle de la neuroarchitecture ne profite pas uniquement aux personnes qui ont des limitations, mais à tout le monde », soutient Virginie Lasalle.

Tenir compte des limitations invisibles

Un partenariat de recherche impliquant 14 universités au Canada, 70 chercheurs et 68 organisations citoyennes et municipales travaille actuellement à redéfinir la qualité de l’environnement bâti et les démarches participatives. Aussi prometteuse que puisse être l’idée d’une architecture inclusive, elle se complique dans la pratique quand les besoins des uns s’opposent à ceux des autres, observe Jean-Pierre Chupin, directeur d’une chaire de recherche du Canada en architecture à l’Université de Montréal.

Certains peuvent avoir besoin d’espaces très protecteurs et tamisés, tandis que d’autres apprécient l’espace et la lumière, donne-t-il en exemple. « Il y a une certaine complexité à considérer dans quel contexte il faut favoriser certains besoins plutôt que d’autres. On ne peut pas appliquer les recettes habituelles de conception. Ça suppose de changer son regard sur l’usager et, à ce jour, l’usager est encore perçu comme étant dans la norme. »

Bien sûr, les architectes et designers travaillent en collaboration avec d’autres disciplines quand il est question d’espaces réservés aux personnes atteintes de troubles neurologiques. Ce n’est pas le cas pour la conception de lieux qui s’adressent à tous, relève Jean-Pierre Chupin sans toutefois lancer la pierre aux architectes. « On est coupables d’ignorance parce que nos formations nous ont mal préparés à tenir compte des limitations invisibles. Avant, on disait : “Pourquoi s’y intéresser puisque ça touche très peu de gens ?” On sait maintenant que ça implique une grande partie de la population et que ça s’étend de la petite enfance jusqu’au plus vieil âge. Du coup, ça réveille tout le monde. »

Redéfinir l’usager

Au Québec, Société logique travaille pour le développement d’environnements universellement accessibles et inclusifs. « Il y a deux défis à relever pour y arriver » pointe l’architecte Isabelle Cardinal, qui dirige les services de consultation de cet organisme à but non lucratif. « D’abord, nos villes et villages sont déjà construits. On doit aussi considérer le fait que ça ne fait pas partie des exigences minimales de construction. »

PHOTO FOURNIE PAR SOCIÉTÉ LOGIQUE

Isabelle Cardinal, architecte pour Société logique

D’ici 2040, le Canada vise à atteindre l’accessibilité universelle en éliminant les obstacles pour les personnes en situation de handicap. « Les normes d’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite restent encore à définir, alors imaginez ce qui en est des considérations neurologiques. Lorsque Société logique approche un gestionnaire d’immeuble en lui demandant de considérer les besoins de personnes TDA ou autistes, elle est perçue comme étant extrémiste », note Mme Cardinal en majorant ses propos d’une note positive : « On est loin d’avoir un Québec inclusif sur ce plan, mais je sens qu’il y a quand même une mouvance depuis quelques années. »

Le changement passera par l’éducation d’une nouvelle génération de concepteurs, de décideurs et de la population, dit-elle. Par un changement de mentalités, ajoute Jean-Pierre Chupin. « Il faudra peut-être s’attendre à payer un peu plus cher pour atteindre une véritable accessibilité universelle, mais des calculs récents indiquent que ce n’est pas le cas si c’est bien pensé dès le départ. Le plus grand défi sera probablement de transformer les bâtiments existants. Il serait illusoire de penser qu’on arrivera à créer des lieux parfaits qui vont convenir à tout le monde, mais si c’est moins [mauvais], ce sera déjà très bien ! »

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