Elle a traversé les modes et les époques, épousant de nombreux styles. Réputée pour son charme et sa solidité (souvenez-vous des maisons des trois petits cochons…), la brique empile les atouts en s’insérant dans notre quotidien architectural. Des concours mondiaux récompensent même ceux qui la manient avec brio. Voici un abécédaire du petit bloc d’argile, en compagnie d’un professionnel des matériaux et d’un architecte montréalais.
A comme Adaptable
Être rigide et souple à la fois, c’est possible : la brique présente un large éventail de couleurs, de textures et de formes, permettant différentes modulations créatives. C’est pourquoi l’agence d’architecture AdHoc l’a ainsi rapidement intégrée à plusieurs projets primés. « On aime travailler avec de la brique multitons, qui donne beaucoup de richesse et de profondeur. Comme c’est un très petit module, cela permet de jouer avec divers types d’agencements, ça se compare à du tricot », indique Jean-François St-Onge, directeur créatif du cabinet montréalais, illustrant son propos avec le projet Inverness, avec ses briques disposées en porte-à-faux.
Michel Deraiche, directeur des ventes chez Montréal Brique et Pierre, précise qu’en plus de la brique d’argile traditionnelle, il existe également des briques de béton et de silice (résistante aux très hautes températures), constituant le trio le plus utilisé en Amérique du Nord. « Malgré leurs caractéristiques différentes, elles respectent toutes les mêmes normes de performance », précise-t-il. Elles vont différer dans le choix de coloris : si l’argile présente une palette intéressante mais limitée, le béton peut être teinté en n’importe quelle nuance.
B comme Bon marché
Autre atout de la brique : son prix, notamment comparativement à celui de la pierre, autre matériau très prisé et doté de caractéristiques similaires. « Au pied carré, la brique est beaucoup moins coûteuse que la pierre naturelle, et même artificielle », indique M. Deraiche. Aussi, la brique a traversé la crise de la flambée des coûts des matériaux avec moins de turbulences. « On a vu une relative stabilité du prix de la brique, contrairement à ceux du bois ou de l’aluminium qui ont connu de très fortes inflations : il a monté de 15 % pendant la COVID-19, alors qu’on parle de 30 à 40 % pour d’autres matériaux », nous apprend M. St-Onge.
C comme Concours
Ingénieusement agencées, les briques peuvent aboutir à des résultats spectaculaires. À tel point que divers concours internationaux récompensent les plus belles réussites en la matière, comme les prix Brick in Architecture (Amérique du Nord) ou le prix Brick Award (international, établi en Europe). Au Québec, des prix Murus sont décernés aux ouvrages en maçonnerie remarquables. Parcourir les projets finalistes vaut le coup d’œil !
D comme Durable
Outre sa souplesse d’utilisation, la brique de qualité brille aussi par sa capacité à traverser l’épreuve du temps. Jean-François St-Onge, de l’agence d’architecture AdHoc, évoque par exemple les vieux complexes industriels du Sud-Ouest montréalais, souvent plus que centenaires. « Oui, il s’est créé une patine, mais c’est encore très beau et les gens l’apprécient, alors que d’autres bâtiments, par exemple en aluminium, sont devenus fades et tachés », remarque-t-il. Son agence recourt souvent à la brique pour des immeubles résidentiels locatifs. « Pour ce genre de projet, on s’intéresse à l’intemporalité, car notre client va louer et relouer ça pour les 50 ou 60 prochaines années. La brique fait partie des éléments pour assurer sa durabilité. »
E comme Énergétique/Écologique
On ne présente plus les propriétés thermiques du matériau. « L’hiver, elle protège du froid, et son côté passif fait qu’elle absorbe la chaleur l’été. Les maisons de briques restent ainsi beaucoup plus froides qu’avec un revêtement de métal ou autre », rappelle M. Deraiche, de Montréal Brique et Pierre. Pour les architectes d’AdHoc, elle présente aussi un côté écolo lié à sa production. « L’extraction d’argile ne requiert pas de grandes mines très profondes, polluantes et défigurant les paysages. Cela prend aussi beaucoup moins d’énergie à produire que le béton », pose le directeur créatif. Des cas de reconversions de mines réussies ont abouti à la formation de marais et à la dynamisation de la biodiversité locale. Et peut-être avez-vous entendu parler de Brique Recyc, une machine conçue par la québécoise Maçonnerie Gratton et permettant de recycler et de réutiliser de vieilles briques ?
Lisez notre reportage sur Brique RecycF comme failles
La brique collectionne les atouts, mais n’est pas parfaite pour autant. Parmi ses inconvénients : son poids important, et la nécessité de la coupler avec de solides structures, ce qui peut entraîner des surcoûts, surtout si on cherche à l’excentrer, explique l’architecte Jean-François St-Onge. « C’est un matériau stable qui ne se dilate pas, contrairement au bois. Par conséquent, dès qu’il y a un mouvement dans le bâtiment, des fissures peuvent apparaître, c’est pourquoi il faut vraiment une bonne structure en arrière. »
G comme Goût du jour
Quelles sont les tendances en matière de briques ? Selon le directeur des ventes de Montréal Brique et Pierre, les teintes noires, blanches et grises ont pris le pas sur le rouge traditionnel. « Au début des années 2000, la tendance dans le marché résidentiel était le look victorien, comme à Blainville, où l’on trouve beaucoup de maisons de couleur rouge, ocre, brune. Aujourd’hui, c’est très linéaire, avec des briques plus longues, plus minces », note-t-il. Du côté d’AdHoc, on remarque un glissement vers des tons très clairs, comme le blanc et le gris pâle.
H comme histoire
Utilisée depuis des millénaires (on la retrouve dès la civilisation mésopotamienne), la brique fait partie de l’histoire de nos villes et régions. Au Québec, son emploi est introduit par les Britanniques à la fin du XVIIIe siècle, prisé pour les édifices industriels et publics au XIXe, avant d’être capté par le résidentiel au XXe, selon un intéressant historique relaté par l’universitaire Martin Dubois. Aujourd’hui, on la retrouve principalement dans les centres urbains de toute la province et certains faubourgs.
Consultez l’article de l’universitaire Martin DuboisLe défi posé par les nouvelles constructions reste d’établir un maillon entre le passé et le présent. « On fait des projets contextualisés, pour réinterpréter des éléments d’une architecture traditionnelle de façon contemporaine. On réalise des jeux de briques qui créent un dialogue avec le passé et notre patrimoine résidentiel, mais avec une vision contemporaine », souligne M. St-Onge. Par exemple, pour La Géode, un projet dans le Plateau, des dispositions de briques autour des fenêtres évoquent les allèges de l’époque, tout en donnant une impression d’agrandissement. Des influences internationales peuvent aussi entrer en jeu, comme une disposition inspirée des moucharabiehs maghrébine, c’est-à-dire striée de petites ouvertures.
I comme Importation
L’époque de la fabrication de briques d’argile tire à sa fin au Québec, avec la fermeture du site d’exploitation Meridian en 2017, à La Prairie, bien que les briques de béton continuent d’être produites localement. À ce jour, l’importation prime : « La brique d’argile nous vient d’Halifax, des environs de Toronto, et des États-Unis, notamment de la vallée de l’Ohio », nous renseigne Michel Deraiche, prenant pour exemple le pavillon principal de l’Université de Montréal et de nombreux édifices publics montréalais, bâtis au moyen de briques beiges typiques de cette région américaine.