Fred, Mistaya, Téo, Sacha, Carol, Tony, Nancy. Sept personnes, deux familles, mais une seule maison. La reconfiguration inédite de cet ancien triplex a été orchestrée par les architectes de l’atelier Suwa. Ses habitants ont accepté de nous ouvrir les portes de leur résidence hors normes, ainsi qu’une fenêtre sur leur univers. Rencontre.
En cette fin d’après-midi ensoleillé de début septembre, ils sont tous là, dans la cour, pour la séance avec le photographe. À part la photo, il n’y a là rien d’inhabituel pour ces deux familles, qui passent beaucoup de temps ensemble. Et ça paraît : tout le monde jase, rit, se taquine, pendant que le chien Stella et le chat Zach se faufilent entre les jambes de chacun.
Amis dans la vie, ils sont d’abord liés par l’amour de la danse. Ils se sont tous connus en évoluant de près ou de loin dans ce domaine. Ils ont fait des tournées ensemble. Habiter sous le même toit n’était que le pas de plus à franchir.
Mais qui sont-ils ? Au rez-de-chaussée, il y a Mistaya Hemingway et Frédérick Lalonde, parents de Téo, 13 ans, et Sacha, 5 ans. Puis il y a Carol Prieur et Tony Chong, qui occupent le second étage avec la maman de Carol, Nancy. Leurs deux appartements superposés sont liés par un grand escalier — ouvert — en colimaçon. Le sous-sol sert à tout le monde, ainsi qu’aux amis en visite. Quant au troisième étage (fermé, celui-là), il est loué à un locataire.
C’est d’abord Fred et Mistaya qui ont acquis le triplex, avant d’y vivre pendant une année.
On espérait pouvoir trouver quelqu’un pour l’acheter avec nous. Parce que c’est grand, et il y avait beaucoup de réparations à faire.
Mistaya Hemingway
Le moment choisi était bon pour Carol et sa famille ; ils se sont joints à l’aventure.
Le groupe a alors confié aux architectes de l’atelier Suwa la tâche, complexe et délicate, de réaliser leur vision commune. « C’est un projet multilingue, multifamille et multigénérationnel », résume Marie-Eve Lamarre, architecte à l’atelier Suwa.
Même s’il y a plusieurs espaces partagés au sein de cette maison, chaque famille possède sa propre cuisine, son propre salon, sa propre salle de bains. « Ce n’est pas une commune où on fait tout ensemble, précise l’architecte. C’est plutôt de vivre ensemble dans une même maison. Tu le sais quand quelqu’un est là, tu peux laisser ton enfant en bas et partir à l’épicerie, par exemple. Ce n’est pas utopique comme projet ; on a juste essayé de trouver ce qui allait bien marcher. »
De l’arrière vers l’avant
Ce n’est pas un hasard si le point de rendez-vous était dans la cour : puisque la vaste demeure est située dans une rue bruyante du quartier Rosemont, l’entrée se fait par-derrière. Il y a quand même quelques crochets par l’entrée avant, mais celle-ci n’est que rarement utilisée, sauf par l’auteure de ces lignes. « Même moi, je suis passée par en arrière ! », lance en riant l’architecte, qui est quand même une habituée des lieux.
C’est donc par la cour qu’on accède au vestibule, doté d’un grand rangement intégré pour bottes, manteaux et accessoires, jouant en même temps le rôle de garde-corps pour l’étage supérieur. C’est aussi là que se déploie l’escalier en colimaçon joliment travaillé, qui représente en quelque sorte le cœur du projet. « L’escalier mène aux deux niveaux, qui sont consacrés à chaque sous-groupe », explique Marie-Eve Lamarre.
D’ailleurs, les deux appartements sont divisés de façon similaire. Le fait d’aligner les fonctions sert notamment à faciliter le passage des éléments techniques. Les deux cuisines sont donc superposées, ainsi que les salles de bain, les foyers…
On a essayé de placer les choses les unes au-dessus des autres. Derrière le salon, il y a un mur plus épais, qu’on a appelé notre « super mur ». C’est comme une petite autoroute pour mettre les conduits d’eau, de ventilation, etc.
Marie-Eve Lamarre, architecte à l’atelier Suwa
Puisque les espaces de vie sont situés à l’arrière des appartements, les chambres se trouvent côté rue. « Plus on va vers l’avant, plus c’est privé », souligne l’architecte. De toute façon, les chambres devant être munies de fenêtres, cette disposition allait un peu de soi. « Une fois qu’on a placé les chambres, les autres éléments se sont placés un peu d’eux-mêmes », poursuit-elle.
Les appartements possèdent quand même leur caractère singulier, d’autant plus que tout le monde est un peu artiste dans l’âme. Par exemple, Nancy, la mère de Carol, s’adonne à la peinture et a installé son studio dans sa chambre. Quant au salon vert forêt du rez-de-chaussée, entouré de lattes de bois, il s’avère sans conteste un objet unique. « À cet étage-ci, on voulait faire un salon un peu plus feutré, enveloppant », indique Marie-Eve.
Le but était aussi de créer un espace un peu plus intime. « On a un foyer, l’hiver. C’est comme une petite salle de concentration ici. J’y écris beaucoup la nuit », dit Mistaya, indiquant dans la foulée que, parfois, les gens ne la voient même pas quand elle s’y trouve !
« C’est vraiment comme un cocon. Et le soir, ça fait comme une boîte à lumière, une veilleuse dans la maison », illustre Marie-Eve.
Souvenirs de famille
La commande relevait déjà de l’exploit, mais un élément de plus est entré en jeu : le père de Mistaya, Peter Hemingway, était un architecte connu. À sa mémoire, sa fille souhaitait que la rénovation inclue des rappels de son architecture, certains faisant écho à sa maison d’enfance.
Mistaya a donc envoyé des photos et des plans d’archives à Marie-Eve Lamarre, qui a étudié le tout. « Je regardais les dessins en essayant de voir ce qu’on pouvait aller chercher, sans non plus faire de la copie. »
Finalement, les rappels se trouvent un peu partout, pour qui sait regarder, car ils se glissent naturellement dans le décor. Les formes courbes en sont un bel exemple : on les retrouve autant dans le hublot façonné dans la brique que dans les arrondis des comptoirs, ainsi que dans l’escalier hélicoïdal.
Maintenant qu’ils sont bien installés, les sept occupants ont modulé leur espace au gré du temps. D’ailleurs, Carol et sa famille changent régulièrement les meubles de place pour trouver la configuration optimale. Aussi, les deux familles ont pris en charge l’aménagement paysager de la cour, ensemble.
« On s’est toujours dit qu’on allait l’essayer, et si jamais ça ne marche pas pour une raison ou une autre, c’est une maison, ça se vend », relativise Frédérick. Mais pour le moment, il n’est pas question de déménager : ils sont ensemble, et c’est tout.