Il y a quelques années, un couple montréalais a mis la main sur une maison conçue par l’architecte Roger D’Astous. Il a fait appel au studio de design l’Atelier 3/4 fort pour la repenser sans faire fi de l’époque et du maître qui l’a pensée.

Quiconque l’a déjà croisée sur son chemin en déambulant dans les environs du parc Joyce dans l’arrondissement d’Outremont, à Montréal, a certes dû remarquer sa douce singularité. Entourée d’imposantes maisons manoirs datant des années 1920 et 1930, cette demeure paraît d’origine plus modeste que ne l’est son histoire. Elle porte la signature de l’un des architectes les plus réputés du Canada, élève du célèbre Frank Lloyd Wright. Roger D’Astous, qui a aussi participé à la conception du Village olympique, du Château Champlain et de plusieurs églises modernes, a conçu cette maison en 1962 pour le DMaurice Comeau, premier allergologue de langue française au Canada, et sa famille.

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Par son style et par ses dimensions relativement modestes, cette singulière maison située en face du parc Joyce, à Outremont, se distingue de ses voisines.

Le DComeau y a vécu jusqu’à sa mort, il y a cinq ans. La propriété a ensuite été mise en vente et acquise par Judith et son conjoint, parents de deux enfants.

« Étant Montréalais, nous connaissions D’Astous, mais nous ne savions pas qu’il avait fait du travail résidentiel, dit le propriétaire. Presque au moment où nous avons acheté la maison, il y a eu ce documentaire sur lui qui est sorti [Roger D’Astous, d’Étienne Desrosiers, en 2016]. »

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L’escalier a été libéré de son tapis et restauré. À ses côtés trône un grand mobile en métal, œuvre de deux artistes new-yorkais (Kin & Company).

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Cette grande armoire installée dans la chambre principale a été dessinée par Roger D’Astous.

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Bien qu’elle ait dû être réparée par endroits, la céramique d’origine de cette salle de bains a été conservée.

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Dans le bureau, l’étagère est d’origine. Les designers y ont accolé une table étroite qui sert de bureau.

« Quand nous sommes entrés dans la maison, c’était comme revenir en 1962 », se souvient-il. Il y a plusieurs choses que nous aimions dans le style mid-century : les lignes épurées, le bois. »

Néanmoins, la maison, intouchée depuis sa construction, avait besoin d’être actualisée. Pour ce faire, le couple a fait appel à Francis Rollin et à Émilie Schoofs, designers à l’Atelier 3/4 fort, qu’il connaissait comme ceux ayant rafraîchi la résidence qu’il habitait dans le Plateau-Mont-Royal.

Sacré D’Astous

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Avec son îlot en U, la cuisine trône au centre de la maison.

« Il y a quelque chose d’un peu sacré dans le travail de D’Astous, fait observer Francis Rollin. La dernière chose qu’on voulait, c’était d’être imposteurs. C’est quand même un monstre sacré de l’architecture au Québec et ses maisons sont toujours aussi pertinentes aujourd’hui.

Ç’aurait été facile de simplement changer les matériaux en conservant le même espace. Mais on voulait aller un peu plus loin, tout en faisant attention de ne pas franchir cette ligne qui aurait fait de nous des imposteurs.

Francis Rollin, designer

Les clients souhaitaient moderniser le lieu pour l’adapter à leur style et à leurs besoins, tout en gardant le plan ouvert au rez-de-chaussée ainsi que plusieurs éléments d’origine comme les boiseries en acajou et le plancher de céramique. Ils souhaitaient l’ajout d’une salle d’entraînement au sous-sol et d’un sauna. « Nous sommes tous les deux très soucieux de la fonctionnalité, indique Judith, la propriétaire. Les choses doivent avoir un but et doivent être originales pour avoir leur place dans notre maison. »

Cette fois-ci, les designers n’étaient pas devant une liste de problèmes à régler. « Ce fut plutôt : voici la maison qu’on a trouvée qui est fantastique, comment peut-on faire le meilleur projet ? résume Francis Rollin. C’est un processus un peu atypique, qui a été très formateur pour nous. »

Devant l’absence de murs porteurs — autre caractéristique inhabituelle —, les designers ont eu tout le loisir d’abattre quelques murs pour décloisonner le rez-de-chaussée. La cuisine, conçue par Cuisines Steam, trône au centre de l’espace avec son imposant îlot en U.

Rapidement, elle est devenue le cœur de la demeure. De là, on peut interagir avec les gens qui sont installés dans l’espace banquette ou dans la salle à manger, voire dans la cour. Déjà présent dans la construction d’origine, le dialogue entre l’intérieur et l’extérieur a été accentué avec l’ajout d’une large porte-fenêtre.

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Le projet Maison Roger par Atelier 3/4 fort. Il s’agit d’une maison conçue par l’architecte Roger d’Astous, rénovée par ses actuels propriétaires en tentant de conserver le plus possible les caractéristiques d’origine.

Dans une volonté d’améliorer l’efficacité énergétique de la maison, les propriétaires ont choisi des fenêtres à triple vitrage et ont considérablement amélioré l’isolation des murs en en construisant de nouveaux à l’intérieur, contre les murs existants. « Au début du projet, nous avons étudié la certification de maison passive, souligne le propriétaire. Mais dans un projet de rénovation, c’est difficile à atteindre. Nous avons rencontré plusieurs barrières à cause, d’une part, de l’absence de matériaux locaux et, d’autre part, du manque d’incitatifs à mettre en place ces technologies. »

Malgré tout, les propriétaires estiment que leurs interventions leur ont permis d’économiser de 20 % à 25 % en énergie chaque année. « Nous avions estimé que tout devait fonctionner avec un retour sur investissement en 15 ans. Or, dans le cas des fenêtres et des travaux d’isolation, cela va s’avérer être 8 ans. Je pense qu’il y a une incompréhension, même au Québec, où les coûts en énergie sont bas, sur le fait que cela vaut la peine d’investir dans l’efficacité énergétique. »

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L’installation d’une grande porte-fenêtre à l’arrière a renforcé le lien avec l’extérieur.

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Une banquette a été ajoutée près de la fenêtre du salon qui donne sur le parc. À gauche, le foyer a dorénavant une nouvelle vocation. Les designers y ont conçu un petit espace entouré de miroirs avec éclairage intégré pour accueillir des plantes.

Intervenir avec doigté

Ailleurs dans la maison, rénovée par l’entreprise DMEX, les interventions ont été délicates.

« C’est un défi comme concepteur d’améliorer un espace qui est déjà beau, qui est fonctionnel, qui est déjà parfait », affirme Francis Rollin. Il donne l’exemple du salon, où de grandes étagères et une banquette ont été ajoutées, et le foyer, transformé en espace botanique.

C’est important de ne pas upstager ce qui existait déjà en ajoutant des éléments. Et on en a ajouté pas mal quand même, mais on a gardé l’esprit du lieu.

Francis Rollin, designer

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Une banquette a été ajoutée près de la fenêtre du salon qui donne sur le parc. À gauche, le foyer a dorénavant une nouvelle vocation. Les designers y ont conçu un petit espace entouré de miroirs avec éclairage intégré pour accueillir des plantes.

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Ce meuble-banquette intégré, dessiné par l’Atelier 3/4 fort, est très utile à la famille.

PHOTO ULYSSE LEMERISE BOUCHARD, FOURNIE PAR L’ATELIER 3/4 FORT

Ce marchepied a été dessiné par l’Atelier 3/4 fort, dans un souci de bien l’intégrer à cette salle de bain qui a conservé sa céramique d’origine.

Même s’ils étaient conscients qu’il est souvent plus cher de conserver et de restaurer que de remplacer, les propriétaires savaient qu’ils perdraient beaucoup s’ils laissaient tout aller. Ainsi, l’imposant escalier a été dégarni de son tapis et conservé. Dans les salles de bains secondaires, la mosaïque colorée, véritable travail d’orfèvre, s’y trouve toujours. Plusieurs éléments de mobilier, dessinés par D’Astous, sont aussi restés en place et côtoient maintenant des œuvres d’artistes et de designers contemporains tels que Larose Guyon, Hamster, Kastella et Kin & Company, un duo d’artistes new-yorkais qui a conçu, à la demande des propriétaires, le majestueux mobile qui orne l’escalier.

L’Atelier 3/4 fort, féru de design d’objets et de mobilier, a aussi laissé sa trace à de nombreux endroits dans la maison, du meuble-banquette intégré au bureau de travail, en passant par les tapis, le panneau perforé dans la salle d’entraînement, les marchepieds et même le support pour le papier de toilette.

« Quand tu as dessiné un objet pour quelqu’un et que tu as vraiment pris le temps de le penser pour lui, tu as le sentiment qu’il est bon pour toujours, dit Francis Rollin. C’est satisfaisant et rassurant pour la longévité du projet. »

Consultez le site de l’Atelier 3/4 fort