Il y a deux semaines, tout près de 4000 adeptes de jeux de rôle grandeur nature se sont rendus à Saint-Mathieu- du-Parc pour vivre la magie de la Grande Bataille de Bicolline, l’une des principales manifestations médiévales fantastiques au monde. L’immersion est totale notamment parce qu’on y vit dans un véritable village. Rencontre avec les créateurs de certains des plus beaux bâtiments de Bicolline.
MAÎTRE NAIN
C’est tout juste derrière l’auberge principale que l’on trouve l’un des secteurs le plus étonnants de Bicolline. Ici, les Nains-Génieurs ont laissé aller leur débordante imagination créative pour construire leurs improbables maisons : barque en guise de toit, deuxième étage rotatif, terrasse en partie croquée par un dragon, rien n’arrête les Nains-Génieurs. « On ne voulait pas faire comme les autres, c’est ça qui nous animait », nous raconte Pierre Gagné, qui a conçu la plupart des bâtiments du secteur avec son comparse Patrick Penning. « Évidemment, c’est plus long à construire. Mais on voulait quelque chose qui se démarque et on trouvait que c’était un beau défi. »
La construction des trois premiers bâtiments des Nains-Génieurs a nécessité un peu moins de 10 000 $ de matériel. Mais Pierre Gagné soutient que le jeu en vaut amplement la chandelle. « Quand on construit, c’est la fête, affirme le retraité de la SAQ. On apprend sur le tas, on fait des erreurs et on recommence. Et pendant qu’on fait ça, on a du plaisir, de la même façon que des gens qui vont à la chasse. »
Avis aux intéressés, le maître nain a plein d’autres idées en tête. « On a eu la piqûre, avoue Pierre Gagné. On a d’autres plans de maisons inusitées, alors si des gens en veulent, on va les bâtir ! »
RÊVEURS EN CHEF
Ce sont Olivier Renard et Basia Kornaga qui ont organisé la première Grande Bataille en 1996. S’ils ont rapidement permis aux participants de construire leurs propres cabanes sur le site, tout est strictement encadré de nos jours, chaque bâtiment étant construit en vertu d’un bail emphytéotique de 49 ans. Et en respectant des règles d’urbanisme strictes que l’organisation s’efforce de mettre en application dans ses propres constructions. C’est le cas de la Cité, vaste projet qui sera constitué à terme d’une vingtaine de maisons construites selon des méthodes de charpenterie traditionnelle. « On veut que l’expérience commence dès que tu traverses les portes d’entrée, nous explique Olivier Renard en nous faisant visiter la tour qui dominera la place centrale de la future Cité. C’est du jamais-vu ; on parle de bâtiments de trois à quatre étages, le rez-de-chaussée sera voué aux commerces et services, alors que l’on trouvera des chambres aux étages. L’idée est d’offrir une capacité d’hébergement fantastique immersive pendant toute l’année, notamment en pouvant accueillir une clientèle corporative. » Quelques bâtiments thématiques seront aussi construits dans le secteur, comme un moulin ou une tour d’alchimie, par exemple. D’ici 2024, on devrait trouver au-delà de 250 bâtiments sur les 140 hectares du site de Bicolline.
PÈRE DE FAMILLE VISIONNAIRE
C’est Guillaume Armbruster, de Plaisirs charpenteresques, qui a le mandat de construire les nouvelles maisons de la Cité. En prévision de la 25e Grande Bataille, l’été prochain, c’est aussi lui qui va reconstruire la vieille auberge, ancienne grange convertie en taverne qui est utilisée depuis les débuts de Bicolline. Mais on peut d’ores et déjà admirer son travail en jetant un coup d’œil à la maison de Jean-François Jobidon, une œuvre de pin et de pruche de trois étages située dans le cœur de la Haute Ville. « Je suis allé voir Guillaume pendant qu’il travaillait sur un autre bâtiment à Bicolline [NDLR : le Clos des Flos] et j’ai trouvé ça super beau, raconte l’informaticien de 54 ans de Drummondville. Je me suis dit : “Allons-y, on va le faire à l’aide de véritables techniques médiévales.” »
C’est un substantiel investissement de près de 50 000 $ que Jean-François Jobidon a fait, lui qui séjournait encore dans le secteur des tentes modernes il y a quatre ans à peine. « C’est pour ma famille et mes enfants que j’ai décidé de construire ma cabane, explique-t-il. Quand on est arrivés ici la première fois, mon fils, qui avait alors 7 ans, m’a dit qu’ici, c’était comme Le Seigneur des anneaux, mais en vrai. Depuis, Bicolline est devenu un événement familial qu’on ne veut pas rater. »
VILLÉGIATEUR IMMERSIF
En dehors des activités habituelles du Duché, tous les propriétaires de bâtiments construits sous bail emphytéotique bénéficient d’un accès exclusif au site pendant un certain nombre de jours chaque année. C’est ce qui a motivé Michel Julien et sa conjointe Christiane Lefebvre à isoler leur bâtiment pour l’hiver. Ils ont ainsi installé un poêle au propane pour le chauffage, caché des panneaux solaires pour l’alimentation électrique, aménagé un baril pour récolter l’eau de pluie. « J’avais un chalet en Abitibi sur les terres de la Couronne, je l’ai vendu un an avant de me construire ici, explique le mécano de 46 ans. En tout, on a accès au site une centaine de jours par année alors que je n’allais pas plus de 15 jours en Abitibi – pendant la période de la chasse. Tout compte fait, tout ce que j’ai aménagé ici me coûterait entre 30 000 $ et 100 000 $ en achetant un terrain. Et c’est seulement à deux heures de la maison, dans un décor médiéval enchanteur. »
De fil en aiguille, le bâtiment est aussi devenu l’espace communautaire de la guilde des Varègues pendant la Grande Bataille. « J’ai construit un plancher sous ma cabane pour y aménager une cuisine d’été, en plus d’installer de gros caissons pour que les gens puissent avoir leurs choses à portée de la main, raconte Michel Julien en nous montrant ses installations. Mais je dois tout faire pour que ça plaise à ma femme parce que le décorum, c’est vraiment important pour elle ! »
PIONNIERS DE LA VIEILLE VILLE
Les premières cabanes construites par les participants de Bicolline ont aujourd’hui un peu plus de 20 ans. Rudimentaires, souvent dotées d’un revêtement de croûte de bois, elles n’avaient pas grand-chose à voir avec les époustouflants bâtiments que l’on peut admirer de nos jours. Mais quand Claude Desjardins et François Carrère ont construit leur « Crannog » en 2003, ils ont marqué leur époque. Le bâtiment circulaire sur pilotis est encore aujourd’hui remarquable. « Je me souviens qu’Olivier Renard m’a confié qu’on venait de changer le niveau de qualité des bâtiments de Bicolline, se rappelle François Carrère. J’aurais pu faire ça plus simplement, mais l’architecture m’a toujours fasciné. Comme je suis accessoiriste de métier, je considère le “Crannog” comme la plus grosse sculpture que j’ai faite dans ma vie. »
Ils étaient une douzaine d’amis de la guilde du Fhain à avoir investi un peu plus de 1000 $ chacun pour construire le bâtiment de deux étages. « Comme j’ai travaillé comme dessinateur technique, j’ai réussi à modéliser la maquette à l’échelle qu’avait réalisée François, explique Claude Desjardins. On a donc embarqué dans le projet à fond, mais il faut dire que François est un excellent vendeur ! » Originalement installé sur des pilotis de bois, le bâtiment a depuis été soulevé et déposé sur de nouveaux pieux vissés dans le sol pour plus de solidité.