Avec une vue à 95 millions de dollars, l'immeuble résidentiel le plus élevé du continent américain va contribuer à redessiner la ligne panoramique de Manhattan, mais les nuages ont déjà commencé à s'amonceler en amont de son ouverture en 2015.

Toujours en construction, le bâtiment arbore de patriotiques drapeaux américains sur sa carcasse installée sur la prestigieuse Park Avenue, dans le quartier de Midtown, allongeant déjà son ombre sur Central Park et les boutiques chics de Madison avenue.

Culminant à 425,5 mètres, il coiffe les 381 mètres de l'Empire State Building, mais fait pâle figure à côté des 541 mètres du One Trade Center, plus haut bâtiment de New York.

Le promoteur CIM Group, basé à Los Angeles, a déjà vendu l'appartement penthouse pour 95 millions de dollars, ainsi que la moitié des appartements avec un prix d'entrée à 17 millions de dollars.

Et ce n'est pas le seul bâtiment en gestation.

Plusieurs gratte-ciels particulièrement élevés et luxueux ont été érigés récemment ou sont en cours de développement, modifiant pour toujours l'horizon de la ville.

«Ils attirent une clientèle très spécifique et cette clientèle s'est révélée être très agressive et très nombreuse», a commenté Robert Knakal, l'un des principaux courtiers en immobilier de New York et patron de Massey Knakal Realty Services.

Mais ce n'est pas pour plaire à tout le monde.

Dans un récent édito, le New York Observer s'est plaint de l'«expérience épouvantable», des «explosions à la dynamite» et des «hurlements incessants» que doivent supporter les voisins de ces gigantesques projets.

Navires fantômes

Les opposants se plaignent d'une réglementation urbaine lacunaire à Midtown, que des bâtiments historiques sont détruits et que les milliardaires chassent tout le monde hors de la ville.

«Je pense que c'est un sujet très polémique», a indiqué Alex Herrera, directeur des services techniques du Conservatoire des monuments de New York. «Nous n'avions jamais assisté à cela auparavant».

Le Drake hotel des années 1920, où Frank Sinatra, Mohamed Ali, Judy Garland et Jimi Hendrix sont descendus, a été détruit pour faire place au 432 Park Avenue de CIM Group.

Pour M. Herrera, ces tours géantes sont des «navires fantômes» abritant des appartements-investissements de milliardaires qui y séjournent seulement quelques semaines par an et qui sont tellement hautes qu'elles plongent Central Park dans l'ombre.

Le dernier né de CIM Group sera rapidement éclipsé par la future tour que le promoteur Extell construit juste à côté, sur la 57e rue Ouest. Il a déjà à son actif une tour d'habitation de 90 étages conçue par l'architecte français Christian de Portzamparc sur la même rue.

Le célèbre fabricant de pianos Steinway and Sons quitte cette rue après avoir vendu son magasin principal, où il s'était installé en 1925 et où Rachmaninoff répétait. Le promoteur JDS Development Group l'a acheté 46 millions de dollars.

«C'est indéniable que ça change notre ''skyline'' et ça change incontestablement le caractère de la 57e rue, qui était une petite rue au charme désuet avec ses galeries d'art et ses magasins de pianos», a relevé Alex Herrera. «Maintenant, c'est une rue de milliardaires qui n'y vivent pas vraiment».

Le maire démocrate Bill de Blasio a été élu l'an dernier en promettant davantage d'égalité après le creusement de l'écart de revenus pendant les 12 ans de gouvernance du philanthrope milliardaire Michael Bloomberg.

Dollars dans l'économie locale

De Blasio prépare un ambitieux programme de logements bon marché alors que la classe moyenne quitte Manhattan et que, selon les estimations, 21% des New Yorkais vivent dans la pauvreté.

Alex Herrera plaide pour que la 57e rue soit protégée comme le serait un bâtiment historique, réclamant un «équilibre».

Pour M. Knakal, même si les milliardaires ne sont pas présents en permanence, ils acquittent quand même les taxes foncières et n'utilisent pas les services publics.

«Les gens qui résident dans ces appartements dépensent probablement davantage d'argent et injectent davantage de dollars dans l'économie locale que le New Yorkais moyen ne le fait pendant toute une année», a-t-il poursuivi.

Mais le public est divisé. Beaucoup estiment que ces super-riches ont gagné le droit de vivre et d'acheter ce qu'ils souhaitent, considérant ces gratte-ciels comme un symbole de statut. D'autres se sentent ostracisés par cette richesse ostentatoire qui chasse de Manhattan les petites gens aux budgets serrés.

«Je pense que c'est absolument ridicule de dépenser une telle somme pour habiter ici», a estimé Lawrence Bogar, gestionnaire de fortune. «Cet argent pourrait acheter de bien meilleures propriétés».