Souhaitant rendre l’agriculture urbaine accessible à un plus grand nombre, deux Montréalais lancent Cultiville, un site web permettant de mettre en relation des jardiniers et des propriétaires désireux de louer ou de prêter un espace inutilisé, et ce, à l’échelle du Québec

L’été dernier, Sophie Maslon a souhaité se mettre au jardinage avec quelques amis. Habitant un petit appartement du Plateau-Mont-Royal et n’ayant pas accès à une cour, elle s’est mise à la recherche d’un espace dans son quartier. Avec l’engouement grandissant pour l’agriculture urbaine, l’attente pour pouvoir cultiver un espace dans un jardin communautaire s’est allongée ces dernières années à Montréal. Dans l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, il faut compter de 7 à 10 ans pour avoir accès à un jardinet, de 10 % à 15 % des lots se libérant chaque année.

Loin, loin de la ville…

Les appels lancés sur divers groupes Facebook par le groupe d’amis l’ont mené à Notre-Dame-de-Grâce et à Lacolle, où des propriétaires ont accepté de lui prêter une parcelle de terre. « On pensait que le plus difficile serait de garder nos plants vivants jusqu’aux récoltes, mais le plus difficile a vraiment été de trouver un jardin », affirme Sophie Maslon, une diplômée en biologie qui a travaillé en milieu agricole dans le passé, mais qui en était à sa première expérience de jardinage à des fins personnelles, outre le jardin familial cultivé par son père à Pointe-Claire.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Alexandre Cassagne, cofondateur de Cultiville, et Sophie Maslon, diplômée en biologie qui a travaillé en milieu agricole dans le passé

« On a passé un super été à jardiner, poursuit Alexandre Cassagne, cofondateur de Cultiville et développeur informatique de profession, qui s’est joint au groupe au cours de l’été. C’était super agréable, c’était libérateur, après avoir été enfermé si longtemps pendant la pandémie, mais ma première réaction, c’était : pourquoi aussi loin ? Pourquoi est-ce que c’est si compliqué de trouver un jardin ? »

Ainsi est née Cultiville. Lancée le 26 mai dernier, la plateforme affiche les annonces de propriétaires qui désirent partager un espace inutilisé sur leur terrain ou dans leur arrière-cour, déjà aménagé en jardin ou non. Le projet cible principalement les jardiniers et propriétaires du Grand Montréal, où l’accès aux espaces de culture est plus restreint, mais le babillard est ouvert aux résidants de toutes les régions du Québec. À Québec et à Sherbrooke aussi, il y a de l’attente pour avoir accès aux jardins communautaires.

Aux jardiniers, le propriétaire peut demander une somme d’argent, une partie de leurs récoltes, un échange de services ou rien du tout. Bien qu’elle ne perçoive pour le moment une commission que sur les transactions financières, Cultiville encourage les échanges non pécuniaires. Avec ce projet, les fondateurs espèrent d’abord répandre l’envie de jardiner et de faire pousser ses légumes et créer des liens sociaux.

« L’été dernier, nous étions chez une personne âgée qui n’avait plus l’énergie de jardiner, raconte Alexandre Cassagne. On y allait pour jardiner, mais au bout du compte, on finissait par passer pas mal de temps avec cette personne. »

Ce qu’on espère, c’est qu’il y aura beaucoup de personnes qui se disent : « J’ai la chance d’avoir un jardin. Il y a beaucoup de jeunes, notamment, qui n’ont pas accès à la propriété, qui n’ont pas accès à un espace de jardinage. Comment est-ce que je peux me mettre en relation avec ces personnes qui aimeraient faire ce travail que je ne peux plus faire ou que je n’ai plus la force ou le temps de faire ? »

Alexandre Cassagne, cofondateur de Cultiville

Séduisante en théorie, difficile à mettre en pratique ?

L’idée, séduisante en théorie, pourrait cependant se heurter aux frontières du réel, prévient Jean-Philippe Vermette, directeur, intervention et politiques publiques, du Laboratoire d’agriculture urbaine (AU/LAB).

« A priori, c’est une bonne idée qui a été essayée un peu partout dans le monde », note-t-il. À Montréal notamment, par AU/LAB lui-même ainsi que par Solon Collectif, dont le projet baptisé « Partage ta terre » a été mis en veilleuse.

« Dans les projets qui ont eu lieu, il y a eu très peu de maillages qui ont été réalisés en raison de la complexité que ça implique de permettre à quelqu’un de venir jardiner chez nous, explique M. Vermette. Qu’est-ce qui se passe si le chien ravage les plants de tomates ? Ou si je ne veux pas que tu viennes en fin de semaine parce que j’accueille ma famille. Et en passant, je ne veux pas que tu plantes telle plante parce que ça attire telle bibitte. Quelles sont les considérations légales en sachant que beaucoup de terrains à Montréal sont contaminés ? C’est vraiment beaucoup d’enjeux. »

Lors de l’inscription de son terrain, le propriétaire est appelé à en préciser les conditions d’utilisation, indiquent les fondateurs de Cultiville. Ensuite, un contrat, dont le modèle est proposé par l’entreprise, est signé entre les deux parties.

Les partenaires vont entrer dans un vrai contrat qui va les lier et dans lequel il y a des clauses claires de terminaison et de responsabilité des deux parties en cas de conflit.

Alexandre Cassagne, cofondateur de Cultiville

Il dit espérer que cette question ne sera pas un frein à l’exploration du modèle.

Pour Jean-Philippe Vermette, le projet est « une solution de plus dans le cocktail offert aux gens pour jardiner ». Il est cependant d’avis qu’il revient aux villes de bonifier les espaces pour l’agriculture urbaine.

À Montréal, le manque d’espace constitue le principal frein à l’agriculture urbaine, selon un sondage mené par la Ville de Montréal et cité dans le document Stratégie d’agriculture urbaine 2021-2026. Dans le cadre de ce plan d’action, Montréal compte augmenter le nombre d’hectares de superficie cultivée à 160 d’ici 2026, ce qui représenterait une hausse de 33 % par rapport à 2021. Dans un contexte de densification urbaine et de rareté des terrains, Jean-Philippe Vermette souligne qu’AU/LAB travaille actuellement avec des promoteurs immobiliers pour mettre des jardins communautaires sur les toits de futurs complexes d’habitation au centre-ville. En attendant, il y a peut-être la cour du voisin !

Consultez le site de Cultiville