Il suffit de se promener en ville à l’aube du 1er juillet pour constater la quantité effarante de meubles et d’articles de déco qui prend le chemin du dépotoir. Alors que l’expression « fast furniture » fraie son chemin dans le vocabulaire, des entrepreneurs québécois travaillent à injecter circularité et durabilité dans nos maisons.

Il y a quelques mois, Cyrc Design a quitté le sous-sol d’un de ses fondateurs pour s’établir dans Les Ateliers 3333, un projet piloté par le peintre Marc Séguin, qui accueille surtout des artistes visuels, mais aussi quelques artisans. Avec leurs imprimantes 3D qui fonctionnent jour et nuit, Guy Snover et Daniel Martinez ne sont pas des artisans traditionnels. Ils ne travaillent pas des matières nobles comme le bois, le verre ou le textile. Leurs vases, bols à fruits, pots pour plantes et crochets sont plutôt faits de plastique.

  • À partir d’un fichier créé par Guy Snover, et d’un logiciel dit « slicer » qui transmet les informations à l’imprimante 3D, celle-ci fabrique l’objet, couche par couche, de bas en haut.

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    À partir d’un fichier créé par Guy Snover, et d’un logiciel dit « slicer » qui transmet les informations à l’imprimante 3D, celle-ci fabrique l’objet, couche par couche, de bas en haut.

  • Le bol à fruits Double U se détaille 160 $.

    PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE CYRC DESIGN

    Le bol à fruits Double U se détaille 160 $.

  • Le vase Fluke (170 $) tire son nom de la queue d’une baleine.

    PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE CYRC DESIGN

    Le vase Fluke (170 $) tire son nom de la queue d’une baleine.

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Si cette matière traîne, à raison, une mauvaise réputation environnementale, elle abonde aussi, et c’est à partir de ce plastique déjà existant que les deux entrepreneurs fabriquent leurs objets au design à la fois futuriste et intemporel. Ils utilisent des filaments de plastique recyclé PLA provenant d’emballages alimentaires. Bien que biosourcé, ce plastique n’est dégradable que sous haute température et en présence d’enzymes spécifiques. Il contribue donc lui aussi au problème de pollution par le plastique. Et c’est sans compter celle générée par la culture du jetable qui s’est aussi emparée de notre mobilier.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

L’entreprise produit à la demande, selon ses propres designs, mais dispose toujours de quelques pièces prêtes à livrer.

« Les gens n’utilisent leurs meubles que quelques années parfois, et rien de tout cela n’est recyclé », déplore Guy Snover, un Californien qui s’est établi à Montréal après des études en sculpture et en génie architectural. Il y a les tendances, bien sûr, mais aussi les différentes étapes de vie qui entraînent des besoins temporaires, souligne-t-il.

De voir tellement de meubles à la rue, et j’ai moi-même mis beaucoup de choses à la rue dans ma vingtaine, c’est ce qui a établi les bases du projet. Nous voulons offrir d’autres options.

Guy Snover, cofondateur de Cyrc Design

Pour l’instant, ces choix se limitent à des accessoires, plus simples et plus rapides à produire avec des imprimantes 3D. Mais pour avoir un impact plus important, ils aimeraient rapidement être en mesure de fabriquer du mobilier, inspiré par le travail du designer néerlandais Dirk Vander Kooij, qui a créé en 2011 la Endless Flow Chair, une chaise en plastique recyclée dont un exemplaire est exposé au MoMa, à New York.

« Le véritable facteur limitant est l’extrudeuse qui se trouve sur la machine, expose Guy Snover. On ne peut y mettre qu’une certaine quantité de plastique, alors pour faire un gros objet, ça prend un temps fou. » Soit une trentaine d’heures d’impression pour une petite table d’appoint, alors qu’il faut compter entre trois et huit heures à une imprimante pour produire un vase, couche par couche. Un temps de production qu’ils sont convaincus de réduire avec l’assemblage d’une nouvelle imprimante.

Pour eux, l’impression 3D a le potentiel de changer l’industrie du meuble en permettant la production sur demande, la personnalisation et, surtout, la transformation d’anciens produits en nouveaux.

« Nous savions que si nous devions fabriquer des objets en plastique, même s’ils sont faits à partir de plastique recyclé, on ne voulait pas qu’ils finissent dans une décharge », affirme Guy Snover en précisant que l’impression 3D facilite l’adoption d’un modèle circulaire.

Même s’ils encouragent leurs clients à conserver leurs produits le plus longtemps possible ou à les passer au suivant, les entrepreneurs ont aussi mis sur pied un programme leur permettant de retourner l’objet. Le plastique sera éventuellement retransformé en des filaments qui pourront à leur tour être utilisés dans un nouveau produit. Une opération que Cyrc Design aimerait faire elle-même dans ses locaux, lorsqu’elle pourra acquérir la technologie nécessaire. En attendant, les prototypes, objets imparfaits et potentiels retours sont conservés précieusement dans leur studio en vue d’une future revalorisation.

Dans une industrie où l’écoblanchiment est très présent, « nos clients deviennent des défenseurs non seulement de la marque, mais aussi de notre mission », souligne Daniel Martinez.

S’asseoir sur les élections

  • Le design est inspiré de celui des meubles en carton.

    PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

    Le design est inspiré de celui des meubles en carton.

  • Cette table basse a été recouverte d’un vinyle effet bois.

    PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

    Cette table basse a été recouverte d’un vinyle effet bois.

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Repenser le mobilier dans une optique d’écoception est aussi ce qui anime Swaroop Bylahally, directeur de Vrtta Green Solutions, une entreprise qui développe des produits durables et propose des services de consultation et d’analyse de cycle de vie. Dans le garage de sa résidence de Pierrefonds, le détenteur d’un doctorat en génie mécanique de l’Université McGill transforme des affiches électorales devenues désuètes en fauteuils, tables basses et sofas. Entre autres. Parce qu’avec le design qu’il a mis au point et pour lequel il est en attente de brevet pour le Canada et les États-Unis, les possibilités sont multiples, s’enthousiasme-t-il.

« On peut ajouter un nombre infini de sièges, précise-t-il en montrant comment les fauteuils peuvent s’imbriquer les uns dans les autres. On peut faire un sectionnel L. Quatre petites tables peuvent faire un lit. Et tout peut être démonté et transporté dans une boîte de télé. »

Mais, est-ce solide ? Est-ce confortable ? Ça l’est. « Ce sont les premières questions que les gens me posent. Je leur dis : assoyez-vous et vous verrez ! »

Le sofa, pour lequel des affiches en polypropylène d’une épaisseur de 10 mm sont utilisées, peut supporter la charge moyenne totale de trois à quatre personnes, note-t-il.

À l’origine de ce projet nommé Kurchi (« meubles » en kannada, la langue maternelle du concepteur), il y a la volonté d’offrir une deuxième vie aux affiches électorales en polypropylène dont une infime partie seulement est recyclée. Selon les calculs de Swaroop Bylahally, environ 10 tonnes d’affiches électorales sont utilisées en moyenne chaque année au Québec.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Swaroop Bylahally, directeur de Vṛtta Green Solutions, tient le prototype miniature du fauteuil Kurchi.

En les réutilisant, nous voulons aussi nous attaquer au problème des meubles qui sont difficiles à recycler. Il y a du métal, du plastique, du tissu, tout est assemblé et difficile à séparer.

Swaroop Bylahally, directeur de Vrtta Green Solutions

Les meubles tels qu’il les a pensés n’ont pas de vis, de colle ou de plastique. Ils peuvent être montés et démontés à l’infini et, à la fin de leur vie, pourraient être renvoyés à l’entreprise qui se chargera de les acheminer dans des installations en mesure de les recycler. ​Une analyse de cycle de vie réalisée par l’équipe de Vrtta Green Soutions établit que leur empreinte environnementale est inférieure d’au moins 50 % à celle des meubles courants offerts sur le marché.

Pour penser ce mobilier, Swaroop Bylahally s’est inspiré des meubles en carton ondulé qui, pendant la pandémie et les Jeux olympiques de Tokyo, ont connu un regain d’intérêt. En adaptant ce design pour le polypropylène, il est parvenu, affirme-t-il, à rendre ce type de produits encore plus résistant.

Le défi est présentement de les rendre attrayants, reconnaît M. Bylahally. « Les gens pensent au prix, au style et au confort. « Si c’est vert, mais que ce n’est pas beau, personne n’achètera. » Il prévoit ainsi offrir avec ses fauteuils des coussins ainsi qu’une housse en tissu qui recouvrira la structure.

Ses premières pièces, qui seront produites en usine au Canada, pourraient être dévoilées, en même temps que leur prix, au Festival des technologies vertes qui se tiendra en avril prochain au Stade olympique. « Nous ne savons jamais si cela va marcher ou non, mais nous faisons un effort. »

Des retailles rescapées

  • Noir et Bois valorise des retailles de sa propre production et celles de quelques autres entreprises de Drummondville.

    PHOTO FOURNIE PAR NOIR ET BOIS

    Noir et Bois valorise des retailles de sa propre production et celles de quelques autres entreprises de Drummondville.

  • Les moulins Aroma sont confectionnés à partir de bois massif revalorisé provenant d’instruments de musique.

    PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE NOIR ET BOIS

    Les moulins Aroma sont confectionnés à partir de bois massif revalorisé provenant d’instruments de musique.

  • Ce vase de Noir et Bois est fabriqué à partir de retailles de bois de frêne de l’entreprise.

    PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE NOIR ET BOIS

    Ce vase de Noir et Bois est fabriqué à partir de retailles de bois de frêne de l’entreprise.

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Pour plusieurs entreprises, la circularité passe par la valorisation de retailles qui seraient autrement jetées. Lorsqu’ils ont lancé Noir et Bois il y a quatre ans, les Drummondvillois Meggie Dufour et Olivier Couture souhaitaient eux aussi réduire au maximum l’impact environnemental de leurs objets décoratifs. Et cela passe notamment par l’utilisation de bois de grade ébénisterie déclassé et la valorisation des retailles. Les leurs et celles d’autres entreprises de la région qui fabriquent du mobilier et des instruments de percussion.

PHOTO FOURNIE PAR NOIR ET BOIS

Olivier Couture et Meggie Dufour, fondateurs de Noir et Bois

Voyant les retailles que la production des horloges et étagères occasionnait, on a décidé de créer de petits produits. C’est là que les vases sont nés. On a aussi des bougeoirs, des petites planches de service, des moulins à sel et à poivre. Les produits naissent de la contrainte des retailles.

Meggie Dufour, cofondatrice de Noir et Bois

Les quelques boîtes de retailles inutilisables qui restent chaque année sont données comme bois de chauffage.

Quant aux pièces présentant de légers défauts, elles sont mises en vente à prix réduit, deux fois par année. Selon Meggie Dufour, il y a un réel marché pour ces imparfaits.

Afin de boucler la boucle, le couple songe à mettre en place un système qui permettrait aux clients d’échanger leurs produits lorsque ceux-ci ne leur conviennent plus. « Pourquoi il y a tant d’options de personnalisation sur nos produits ? C’est qu’on veut que les gens l’aiment longtemps dans leur décor, observe Meggie Dufour. Mais il peut arriver qu’on déménage et que ça ne fitte pas dans notre nouveau décor. De créer une section seconde main sur le site web, comme on voit beaucoup pour les vêtements, c’est une chose à laquelle je réfléchis. »

Ainsi, les déchets des uns sont les trésors des autres.

Consultez le site de Cyrc Design Consultez le site de Vrtta Green Solutions Consultez le site de Noir et Bois

Les retailles se taillent une place

À l’image de Noir et Bois, des artisanes québécoises usent de créativité pour faire des retailles la matière première de leurs accessoires.

  • Dans son atelier en Estrie, Marilyn Armand, du Point visible, crée des couvertures, coussins, cache-pots et napperons uniques à partir du savoir-faire ancestral de la courtepointe. S’approvisionnant auprès d’entreprises textiles du Québec, elle utilise des retailles de tissus qui étaient destinées à être jetées.

    PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DU POINT VISIBLE

    Dans son atelier en Estrie, Marilyn Armand, du Point visible, crée des couvertures, coussins, cache-pots et napperons uniques à partir du savoir-faire ancestral de la courtepointe. S’approvisionnant auprès d’entreprises textiles du Québec, elle utilise des retailles de tissus qui étaient destinées à être jetées.

  • Souhaitant atteindre une production zéro déchet, les designers d’atelier b ont créé un mobile à suspendre pour réutiliser les retailles issues de la fabrication de leurs vêtements qui ne pouvaient être revalorisées autrement. Elles ont développé un processus de transformation de textiles en pâte cellulosique, laquelle peut ensuite être travaillée à l’emporte-pièce.

    PHOTO TIRÉE DU SITE WEB D’ATELIER B

    Souhaitant atteindre une production zéro déchet, les designers d’atelier b ont créé un mobile à suspendre pour réutiliser les retailles issues de la fabrication de leurs vêtements qui ne pouvaient être revalorisées autrement. Elles ont développé un processus de transformation de textiles en pâte cellulosique, laquelle peut ensuite être travaillée à l’emporte-pièce.

  • Miljours Studio fabrique des sacs en cuir véritable au tannage végétal. Pour valoriser ses retailles, Marie-Anne Miljours a lancé une collection de petits objets pour la maison comprenant sous-verres, sous-plats, bougeoirs et sangles murales.

    PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE MILJOURS STUDIO

    Miljours Studio fabrique des sacs en cuir véritable au tannage végétal. Pour valoriser ses retailles, Marie-Anne Miljours a lancé une collection de petits objets pour la maison comprenant sous-verres, sous-plats, bougeoirs et sangles murales.

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En savoir plus
  • 42 %
    Proportion des Canadiens qui privilégient le recyclage lorsque vient le temps de disposer de leurs meubles, alors que 82 % recyclent bouteilles, canettes, carton et papier.
    source : Sondage angus reid-habitat pour l’humanité canada, avril 2021
    72 %
    Proportion des produits de Noir et Bois dans lesquels le bois provient exclusivement de l’économie circulaire.
    Source : Noir et bois