Descendre les escaliers… et remonter le temps. Depuis un an, de nombreux Québécois se sont plus que jamais tournés vers l’intégration de bornes d’arcade et de machines à boules (pinballs) dans leur sous-sol, parfois aménagé en véritable salle de loisirs. De l’appareil unique à la collection rutilante, rencontre avec ces passionnés du joystick et des billes d’acier, échafaudant des plans de match pour rendre leur foyer plus ludique ; en attendant de pouvoir jouer en équipes…
Un témoin privilégié
Dans un temps lointain, très lointain, où les mots PlayStation et Xbox n’existaient pas encore, enfants et adolescents aimaient se mesurer à des machines à la carrure bien plus imposante que la leur. Guider Pac-Man, mettre une raclée à Ryu, culbuter des billes d’acier : autant de souvenirs synonymes de bon temps achetés à coups de pièces de 25 cents.
Encore présentes dans certains complexes de cinéma, les bornes d’arcade se sont peu à peu raréfiées dans les bars ; des endroits peu fréquentés ces derniers temps... Qu’à cela ne tienne : une véritable communauté de passionnés et nostalgiques traque, négocie, acquiert, répare ou fabrique ces machines à remonter le passé, neuves ou d’époque, pour les intégrer à leur domicile.
L’artisan réparateur spécialisé André Gagnon, aux commandes d’Arcade Moi Ça et témoin privilégié de ces aires domestiques consacrées au divertissement, constate d’ailleurs que « la demande a explosé » depuis un an. Chez Palason, magasin spécialisé en mobilier ludique commercialisant des bornes d’arcade neuves, ce succès particulièrement saillant depuis cinq ans ne se dément pas, note Patrick Dubé, directeur, ventes et marketing.
Mais pourquoi s’encombrer de machines volumineuses, souvent dispendieuses et difficiles à dénicher, quand des consoles de salon sont à disposition ?
Le facteur nostalgie est omniprésent. Tout le monde a une anecdote de jeunesse à raconter quand on jouait sur une machine dans un terminal d’autobus, un dépanneur, un petit café. C’est ce qu’ils veulent retrouver.
André Gagnon
« Les boomers et la génération X veulent revivre leurs souvenirs de jeux d’arcade d’enfance et d’adolescence, et les faire partager à leurs enfants », confirme M. Dubé, qui souligne aussi la fonction décorative de ces appareils uniques.
C’est même désormais un double saut dans le passé que les nostalgiques effectuent, cherchant à se recréer... ce bon vieux temps où l’on pouvait fréquenter un simple bar. « Les gens recréent des ambiances comme des pubs, avec des salons sportifs, pour reproduire l’effet d’un bar, avec des thèmes relatifs au sport et, dans le coin, une borne d’arcade ou une machine à boules. C’était déjà le cas avant la COVID-19, mais là, ça s’est décuplé, ils veulent reproduire l’expérience de bar à la maison », constate André Gagnon.
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Question d’ambiance
C’est précisément la démarche de Maxim Quintin, qui a aménagé dans le sous-sol de sa maison, acquise en juin, une salle de divertissement où des cadres sportifs côtoient un minibar et deux grosses bornes d’arcade, dont le grisant California Speed, un jeu de course des années 1990 qui le conduit sur les pistes du passé.
« J’y jouais quand j’avais une dizaine d’années. Je l’ai choisi parce que tout le monde peut s’amuser sans être un très bon pilote », explique-t-il. Non loin, se dresse une autre machine, dont la fabrication sur mesure de l’armature a été confiée à un artisan, tandis que M. Quintin s’est chargé d’installer l’équipement électronique et les commandes. Le jeu ? Tous les classiques, ressuscités grâce à un agrégat d’émulateurs : Street Fighter, NFL Blitz, Mario Bros, etc. L’hôte a aménagé un coin salon avec une collection complète de consoles rétro. Mais avec un manche à balai (joystick), de gros boutons, un volant : c’est différent.
Alors que les prix pour ce genre d’appareils peuvent atteindre des high scores (voir notre encadré), le passionné s’en est bien tiré : son projet lui a coûté quelque 1500 $. « J’ai toujours voulu avoir une “man cave” où on peut se réunir en gang pour avoir une belle soirée », dit-il, précisant qu’il devra attendre la fin de la pandémie pour mettre ses plans à exécution.
Un projet familial
Si Maxim Quintin est resté raisonnable, d’autres n’hésitent pas à constituer de véritables brochettes de machines, comme Dominic Chamberland, qui a investi dans une petite dizaine d’appareils pour garnir son sous-sol de Laval : NBA Jam, Ninja Turtles, Mortal Kombat, entre autres. Un projet de COVID-19 mené en famille, notamment pour ses trois enfants âgés de 8 à 10 ans, et financé en partie par une généreuse donation du père de M. Chamberland. « Je cherchais un cadeau original pour mes enfants pendant la pandémie. J’ai d’abord acheté une machine à toutous... mais elle ne rentrait pas. Puis j’ai vu des bornes d’arcade passer », explique-t-il. Entre novembre et février, il a installé huit machines neuves et usagées, pour un total d’environ 4000 $, pour former une véritable petite salle d’arcade.
Alors que certains ne jurent que par les machines originales, parfois à prix fort, la petite famille s’est tournée vers des appareils modernes, qui présentent un avantage de taille – littéralement : « Elles font les trois quarts de la grandeur d’une machine réelle, n’ont pas de mécanisme pour la monnaie, ce qui les rend plus légères, ça vient en deux morceaux et chacune contient plusieurs jeux », énumère M. Chamberland, qui aimait bien, dans son enfance, fréquenter les salles vidéoludiques. « Les enfants s’amusent toutes les fins de semaine. On a hâte de pouvoir inviter des amis et organiser des petites fêtes ! »
Faire boule de neige
La nostalgie se trouve souvent au cœur de ces projets... mais pas toujours. Sébastien Juneau et sa conjointe ont cédé à la grande frénésie du moment, les machines à boules, mais sans passéisme. « Je jouais aux bornes d’arcade plus jeune, mais je n’étais pas attiré par les pinballs », se souvient ce jeune trentenaire. Le déclic s’est fait en s’exerçant sur l’appareil installé sur son lieu de travail. « À force de jouer, on a aimé ce gameplay pour aller chercher de gros scores, s’affronter à deux joueurs », indique-t-il.
Séduit, le couple décide en novembre d’acquérir un premier pinball ; avec beaucoup d’enthousiasme : il est parti le récupérer en auto à Toronto ! En moins de deux mois, il en achète deux autres et reconfigure la maison, faisant le vide dans une salle de débarras pour y créer une petite salle de jeu un peu rétro des années 1990. Le trio est complété par une borne de jeu vidéo de tir (Area 51).
C’est une activité qu’on veut rassembleuse, avec du challenge, pour les amis et la famille. On prend un verre, on joue au pinball, on soupe, on revient.
Sébastien Juneau
« Là, c’est plate en ce moment, mais en attendant que la pandémie se termine, on prépare la salle pour que ça devienne une activité familiale », dit M. Juneau, qui a installé des machines à gomme et des « lumières noires » pour l’ambiance. Cette complicité de couple autour d’un projet d’arcade est d’ailleurs un classique, relève l’artisan André Gagnon. « Ce sont souvent de beaux projets de couple, où les membres partagent le même amour pour le jeu et décident ensemble de l’aménagement de la pièce, puis magasinent ensemble », remarque-t-il.
Dénicher des machines
Selon le degré de nostalgie, il existe plusieurs stratégies. Pour acquérir des bornes d’arcade ou des machines à boules d’époque, il faut éplucher les petites annonces (Kijiji, Marketplace, etc.) et les réseaux des artisans réparateurs. Mais aussi préparer son chéquier, surtout depuis un an. « Des machines qui se vendaient 2000 $ se vendent aujourd’hui 4000 $. Actuellement, trouver quelque chose sous les 1000 $, c’est difficile. Et il faut parfois compter sur des réparations, ce qui peut représenter 1000 $ de plus », souligne André Gagnon. La fermeture de la frontière avec les États-Unis, gros marché d’approvisionnement, aggrave cette flambée. La rareté et l’état d’une borne d’arcade originale influent grandement les prix, oscillant entre 1000 $ et 6000 $ – les pinballs s’avérant particulièrement onéreux.
Pas intransigeant sur le statut de « vraie » borne d’arcade ? Les comptes seront contents. On trouve des rééditions dans les commerces (Palason, Best Buy, Tanguay, etc.), avec des tarifs démarrant à 600 $ environ (les appareils Arcade1Up sont populaires) et des dimensions plus menues. Les machines sont décorées avec le thème d’un jeu précis, mais en contiennent souvent une multitude, allant entre 3 titres et... 3000 !