On passe souvent à proximité des chantiers sans trop comprendre ce qui s’y passe. Au cours des prochaines semaines, on lève le voile sur les métiers méconnus de la construction. Aujourd’hui : la maçonnerie de restauration.

Après un peu plus de deux mois de travail, le mur de pierre qui borde le monastère des Hospitalières, avenue des Pins, à Montréal, a retrouvé sa fière allure d’antan. Mais il a fallu l’intervention de l’équipe de maçons de Jean-Luc Gaillard pour redresser cet ouvrage centenaire qu’on avait protégé d’une clôture de sécurité tellement il s’était détérioré. Le mur a donc été entièrement démantelé jusqu’à sa fondation, après quoi il a été reconstruit autour d’ancrages d’acier inoxydable fixés en profondeur, de sorte qu’il réponde aux normes de résistance sismique.

« On a réussi à récupérer 50 % des pierres d’origine, nous a expliqué Jean-Luc Gaillard, copropriétaire de Maçonnerie LMR. Pour le reste, on s’est approvisionné à Saint-Marc-des-Carrières et près de Québec pour trouver les autres pierres, notamment parce qu’elles sont très semblables à ce que l’on trouvait à l’époque à Montréal. Finalement, il faut que notre intervention paraisse le moins possible. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

L’expérience au service de la relève : Pierre Cailleaux et Jean-Luc Gaillard, maçons qui comptent des dizaines d’années d’expérience en restauration, prennent soin de transmettre leurs connaissances au jeune Jimmy Belisle.

C’est le genre de connaissances acquises avec le temps par les maçons spécialisés en restauration, tout comme celle de remplacer des encadrements de fenêtres, des couronnements de cheminées ou même celle de réparer des sculptures de pierre ou de béton. « Les maçons qui n’ont pas développé de spécialité dans la restauration se consacrent surtout au briquetage et aux revêtements », explique M. Gaillard, qui a appris les rudiments de son métier en France, avant d’arriver au Québec il y a 30 ans. « On travaille la plupart du temps sur de gros bâtiments aux murs massifs où la maçonnerie est structurelle. »

Moins spectaculaire que le travail entourant la pierre, la maîtrise du mortier est tout aussi importante, sinon plus. « Ça peut représenter de 50 % à 75 % d’un projet », nous a confié Michel Poulard, propriétaire de Maçonnerie Ville-Marie. « Sa durée de vie est variable, mais ce n’est pas hors du commun de trouver du mortier qui est là depuis 70 ans au Québec. Il faut donc travailler son mortier en fonction de la granulométrie, de sa couleur et de son esthétique. Enfin, en surface, on veut du mortier de chaux, plus souple et plus perméable, parce qu’il ne faut pas que l’humidité soit emprisonnée à l’intérieur du mur. »

Montréal, ville de brique et de pierre

C’est donc un métier complexe qui s’apprend notamment en observant les plus expérimentés, mais aussi en s’inspirant de diverses techniques employées ailleurs dans le monde. « Installer un contrefort sur une église, on ne peut pas faire ça en regardant des vidéos YouTube », illustre M. Poulard, qui travaille comme maçon depuis 15 ans, après avoir étudié le génie civil. « J’ai aussi travaillé avec des compagnons canadiens-français, écossais, italiens et français ; chacun amenait sa couleur et a contribué à ce que je fais aujourd’hui. La maçonnerie de restauration est un monde rempli et riche qui m’émerveille parce que chaque culture a son histoire et sa contribution au métier. »

Un bagage qui sera utile à court terme parce que, selon Michel Poulard, le travail ne devrait pas manquer au cours des prochaines années.

Le patrimoine bâti de Montréal a connu un gros boom entre les années 20 et 60. Le mortier va bientôt être à refaire, les pierres de parement peuvent parfois durer 150 ans, mais elles peuvent aussi se désagréger avec le temps.

Michel Poulard, propriétaire de Maçonnerie Ville-Marie

« Montréal est une ville de brique et de pierre ; il va y avoir du travail à faire. La demande croît de plus en plus, et il y a pénurie de main-d’œuvre », souligne M. Poulard.

Si Michel Poulard est inquiet du fait que de nombreux maçons d’expérience partiront bientôt à la retraite, Jean-Luc Gaillard a bon espoir que les jeunes répondront à l’appel. Il est d’ailleurs possible pour les diplômés en maçonnerie de suivre un perfectionnement de quatre mois en restauration à l’École des métiers de la construction de Montréal. À 55 ans, M. Gaillard songe à son après-carrière, mais prend encore un malin plaisir à communiquer sa passion – ce sont son équipe et lui qui ont notamment restauré le 357, rue de la Commune Ouest (qui abrite le club privé 357 C), de même que l’enceinte du monastère des Carmélites. « Il faut aimer ce qu’on fait, ne jamais sous-estimer les contrats que l’on reçoit et respecter le patrimoine, a-t-il assuré. Aussi, j’aime travailler sur mes chantiers, j’aime ça, bosser avec mes gars. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Certains outils utilisés par Michel Poulard n’ont pas beaucoup changé au fil du temps : de gauche à droite, la massette, la pointe, une chasse en acier traditionnelle, une chasse à tête de carbure de tungstène ainsi qu’un ciseau droit.

Les outils du maçon de restauration

Au-delà du marteau hydraulique et de la truelle, le maçon de restauration peut faire appel à une foule d’outils spécialisés destinés à des usages particuliers. « Souvent, ça prend des outils anciens pour faire le travail comme il a été fait autrefois, soutient Michel Poulard. J’en ai trouvé sur eBay, Amazon, je suis allé en chercher en France, aux États-Unis, en Allemagne et en Angleterre. On ne s’en sert pas tous les jours, mais si on en a besoin, on les a. Cela dit, l’outillage est important, mais on peut faire quand même beaucoup de choses en restant curieux et ingénieux. »