En été, la maison, sur le chemin Mira, dans le quartier Côte-des-Neiges, disparaît derrière la verdure. On distingue à peine son pignon à colombages au-delà des frondaisons. Dans cette enclave qu'on dirait préservée de tout, les rues ont miraculeusement échappé au plan rectiligne si caractéristique de Montréal. Elles sont tracées en diagonale, décrivent des courbes, prennent leurs aises, et les jardins font pareil derrière des habitations disparates.

On comprend pourquoi Niloufar Entekhabi et Frédéric Mégret sont tombés amoureux de cette maison lorsqu'ils l'ont visitée, par un beau soir de l'été dernier. Encore plus quand Niloufar explique : « Le quartier m'a tout de suite fait penser à certains coins de Téhéran. Là-bas aussi, à flanc de montagne, il y a des maisons blanches à colombages et des bungalows, construits par les Américains avant la révolution. Et j'ai été saisie par le coucher de soleil. Je le voyais tout le temps à Téhéran. C'est rare, à Montréal, de voir le coucher du soleil... »

Ce Téhéran où elle a grandi, qu'elle a quitté à l'âge de 25 ans pour venir s'établir à Montréal, lui manque bien sûr toujours un peu. « Mais je voulais vraiment venir vivre ici. Mon père y était venu comme directeur du pavillon de l'Iran durant l'Expo 67. Il avait beaucoup aimé Montréal. Il rêvait d'y revenir. Ça m'a marquée. »

Le papa de Niloufar n'est plus, mais elle a réalisé le rêve qu'il caressait, comme un hommage à cet homme qu'elle a beaucoup aimé. Dix-sept ans plus tard, sa vie à Montréal lui plaît toujours autant. « Nous ne voudrions pas vivre ailleurs », confirme son mari, Frédéric, qui a quitté sa France natale il y a une douzaine d'années pour venir enseigner le droit, d'abord à Toronto, puis à l'Université McGill.

Un tango à Montréal

Les deux se sont rencontrés lors d'une soirée de tango, dont ils raffolent pareillement. Depuis, ils ont fabriqué une petite Mina, qui aura bientôt 6 ans, puis Darius, âgé de 3 ans, et la maman de Niloufar est venue rejoindre la famille. 

Illustration parfaite du cosmopolitisme de Montréal : un Français aux origines basques et une Iranienne se rencontrent lors d'une soirée de danse argentine. Ils travaillent en anglais (Niloufar enseigne l'économie au collège Vanier), mais se parlent français entre eux ; maman et grand-maman se parlent en farsi ainsi qu'aux enfants, lesquels, parce que la garderie est à majorité anglophone, manient les trois langues (parfois dans la même phrase dans le cas de Darius !).

En ce lendemain de Norouz (le Nouvel An persan, fêté depuis plus de 3000 ans, qui correspond au premier jour du printemps), sur la table de la salle à manger, on a disposé sept objets rituels dont le nom commence par la lettre S, aussi la première lettre du mot persan qui signifie « vert ». Il y a également un très bel exemplaire du Coran et un livre de poésie. « Nous ne sommes pas pratiquants, explique Niloufar, mais la tradition perse veut que nous mettions aussi sur la table un livre sacré et un livre profane. »

« Nous essayons, ajoute Frédéric, de donner un sens à nos vies, de donner aux enfants des racines, un sentiment d'appartenance. Nous soulignons aussi Noël et... toutes les fêtes, en fait ! Nous sommes montréalais avant tout, et vous voulons que nos enfants le soient aussi. »

Photo Martin Chamberland, La Presse

Niloufar Entekhabi, Mina, Shahin Bano, Frédéric Mégret et Darius