Louise Laferrière et Gilles Drouin, deux «boomers raisonnablement écolos», cherchaient une maison dans les Cantons-de-l'Est pour se rapprocher de leur fille Catherine, qui était enceinte. «Celle-là nous a plu par sa beauté, son magnifique terrain et son environnement», résume Louise.

Ce n'est qu'en lisant le contrat d'achat que... surprise! ils ont réalisé qu'ils s'apprêtaient à acquérir une des maisons les plus écolo-sophistiquées au monde, par surcroît observée sous toutes ses coutures par des scientifiques chevronnés désireux de confirmer que le bâtiment se comporte aussi bien en pratique qu'en théorie.

Quatorze mois plus tard, le couple propriétaire se réjouit encore de son choix, enchanté de son nid estrien et heureux de participer à l'innovation en marche dans leur propre maison «laboratoire». «Ce qui m'épate le plus, dit Louise, c'est la constance de la température, du sous-sol à l'étage. Et la qualité de l'air est incontestable. Dans le temps des Fêtes, il n'y avait pas la moindre buée dans les fenêtres, et nous étions 40 personnes.»

Le couple participait, en début de semaine, au Forum sur les maisons EQuilibrium (voir l'encadré) tenu à Montréal par la Société canadienne d'hypothèque et de logement (SCHL).

Branchée de partout

Une fois par mois, Louise et Gilles voient arriver la technicienne de CIMA (firme d'ingénierie), qui prend sur place des données pour la SCHL: consommation d'eau (trois compteurs: eau chaude, eau totale et eau extérieure), énergie (photovoltaïque et thermique, récupération de la chaleur des eaux ménagères), qualité de l'air (taux de CO2, présence de polluants), consommation du téléviseur ou du réfrigérateur, etc.

Par ailleurs, indique Bradley Berneche, président de Maisons Alouette (le constructeur), les deux ordinateurs de l'Université Concordia enregistrent, toutes les deux minutes, les données provenant de plus d'une centaine de capteurs qui mesurent la vitesse du vent, l'exposition à la lumière, le potentiel de chauffage solaire, les températures intérieure et extérieure, l'humidité et la température de l'air sous les panneaux photovoltaïques, dans les masses thermiques, et quoi encore, en science, il faut ce qu'il faut. «C'est de la recherche, dans le but de trouver de nouvelles façons de faire», explique M. Berneche. Les données sont envoyées à l'Université Concordia par la compagnie de domotique Regulvar.

Hydro-Québec elle-même mesure environ 25 paramètres relatifs à l'action de la pompe géothermique, la ventilation ou la circulation de l'eau dans le plancher radiant. La société d'État s'est tout de suite rendu compte que Gilles avait branché un appareil de chauffage dans le garage. «J'y ai installé mon établi, je voulais travailler au chaud, rapporte Gilles. Le garage était bien isolé mais non chauffé.»

Étrange bruit

Au début, le couple trouvait fort inconfortable un bruit de ventilateur sous les panneaux solaires, qui démarrait brusquement plusieurs fois par jour. Un petit courriel à «Brad» et les choses se sont arrangées. «Nous avons programmé le système de ventilation pour qu'il démarre plus graduellement», relate le président de Maisons Alouette.

Autre anecdote: depuis le mois d'août, un surplus de 500 watts se manifeste sur le compteur d'Hydro-Québec, comme si cinq ampoules de 100 watts étaient continuellement allumées. Le mystère n'est pas encore résolu, mais ça ne saurait tarder, c'est l'avantage d'être «cobayes» de recherche, comme disent Louise et Gilles!

Pas pleinement «nette zéro»

ÉcoTerra produit-elle autant d'énergie qu'elle en consomme, comme le veut l'objectif EQuilibrium? Pas tout à fait. «Elle demande grosso modo 20% de l'énergie consommée par une maison équivalente, répond M. Berneche. Nous avons choisi de nous en tenir à cette performance pour que la maison demeure abordable.» Rappelons que deux autres habitations EQuilibrium du Québec, le triplex Le Soleil de Verdun et la maison Alstonvale de Hudson, réalisent totalement l'objectif «net zéro».

Louise et Gilles consomment un peu plus d'énergie que prévu par les concepteurs de la maison: ils ont acheté des luminaires plus énergivores, ils chauffent le garage et ils ont illuminé leur maison de décorations de Noël, l'an dernier.

Le projet ÉcoTerra a coûté 650 000$, dont 200 000$ pour l'apprentissage (modélisations, recherche), précise Badley Berneche. La maison, qui fait 2519 pieds carrés habitables, a été vendue 350 000$ (plus taxes), incluant le terrain de 115 000 pieds carrés généreusement paysagé, la fosse septique et le système géothermique. La préfabrication a permis de réduire le coût. «Pour réaliser un profit raisonnable, je devrais vendre une maison identique 100 000$ de plus», dit M. Berneche.

On peut faire une visite virtuelle de la maison ÉcoTerra sur www.cmhc-schl.gc.ca, cliquer sur consommateur, EQuilibrium, visites virtuelles, ÉcoTerra.

Le laboratoire EQuilibrium

Construire des maisons qui ne consomment pas plus d'énergie qu'elles en produisent, autrement dit des maisons à «énergie nette zéro», tel est le défi lancé en 2006 aux constructeurs du pays par la Société canadienne d'hypothèque et de logement. Début 2007, la SCHL arrêtait son choix sur douze projets, dont trois au Québec: Abondance Montréal, à Verdun, ÉcoTerra, à Eastman et Alstonvale, à Hudson. Les deux premières sont déjà occupées par des propriétaires et des locataires. La troisième, presque terminée au printemps dernier, a été détruite par un incendie, mais l'effort d'innovation, de modélisation et de recherche a permis d'en apprendre beaucoup. Pour les concepteurs, constructeurs, chercheurs et autres partenaires engagés dans ce programme, EQuilibrium signifie des histoires exaltantes et une pépinière d'innovations. Les maisons EQuilibrium doivent satisfaire à des critères élevés sur cinq aspects: la santé des occupants, la performance énergétique, l'utilisation des ressources, l'empreinte environnementale et l'accessibilité.

Une première mondiale

Schéma de l'innovation principale faite pour la maison ÉcoTerra, à Eastman, de Maisons Alouette, une des 10 maisons canadiennes du programme EQuilibrium de la SCHL, dont trois au Québec.

La chaleur dégagée par les panneaux photovoltaïques est récupérée à trois fins : préchauffer l'eau domestique, chauffer la dalle du sous-sol et sécher le linge.

L'air entre sous la toiture aux soffites et est chauffé par le soleil avant d'entrer dans la maison.

L'air préchauffé par le système BIPV/T alimente en chaleur le sèche-linge.

La dalle de béton ventilée est alimentée en air chaud provenant du système BIPV/T.

Un échangeur de chaleur air-eau alimente en chaleur le réservoir de préchauffage de l'eau chaude domestique.

Schéma fourni par Matt Doiron, université concordia

L'entre-toit de bonne dimension sert à récupérer l'air chaud emprisonné sous les panneaux photovoltaïques. L'air chaud entre par les soffites sous le toit, attiré par un ventilateur dont on peut régler la cadence. L'air chaud est redistribué pour fournir de la chaleur aux eaux ménagères et à la dalle de béton du sous-sol, munie de canaux. L'air chaud sert également à sécher le linge. La sécheuse à haute efficacité Energy Star a été munie d'un adapteur à cet effet.