(Jérusalem) La Cour suprême d’Israël a accordé mardi un nouveau délai au gouvernement israélien avant de statuer sur le caractère exécutoire d’un ordre de démolition controversé visant un village bédouin palestinien en Cisjordanie occupée, devenu emblématique de l’opposition à la colonisation juive.

En mai 2018, la plus haute juridiction du pays avait jugé qu’il n’y avait « aucune raison juridique valable » de s’opposer à la « décision du ministère de la Défense de détruire » ce village, Khan al-Ahmar, situé à une dizaine de kilomètres à l’est de Jérusalem.

Mais soumis à une forte pression extérieure, notamment de l’Union européenne (UE) et de la Cour pénale internationale (CPI), dont la procureure Fatou Bensouda avait déclaré qu’une telle destruction pourrait constituer un crime de guerre, le gouvernement israélien a reporté plusieurs fois la démolition de Khan al-Ahmar, où vivent environ 200 bédouins.

En 2019, une ONG sioniste de droite, Regavim, qui dit militer pour « préserver les terres nationales », avait saisi la Cour suprême pour forcer le gouvernement à détruire le village.

Celui-ci est situé en zone C, c’est-à-dire sous contrôle militaire et administratif total de l’État israélien, qui accuse les bédouins palestiniens de s’être installés sur place illégalement, sachant qu’il est pratiquement impossible pour des Palestiniens d’obtenir des permis de construire dans cette zone, qui couvre plus de 60 % de la Cisjordanie occupée.

Depuis le dépôt du recours de Regavim devant la Cour, les gouvernements israéliens successifs n’ont cessé de demander des délais, en invoquant des motifs liés à l’instabilité politique, pour présenter leurs arguments au tribunal.

Déjà repoussée huit fois, l’échéance tombait au 1er février, mais le gouvernement du premier ministre Benyamin Nétanyahou, qui compte dans ses rangs plusieurs partisans de la démolition du village, dont un ancien directeur de Regavim, avait demandé un nouveau report en arguant qu’étant entré en fonction fin décembre, il lui fallait plus de temps pour se préparer.

Mardi, la Cour a imposé une amende de 20 000 shekels (environ 5350 euros) à l’exécutif pour son « attitude générale » dans ce dossier, mais lui a accordé trois mois supplémentaires, jusqu’au 1er mai.

Selon des journaux israéliens, la véritable raison de l’attentisme du gouvernement est la crainte qu’une démolition du village et le transfert de ses habitants ne précipitent le conflit israélo-palestinien dans une nouvelle spirale de violence incontrôlable alors que l’on assiste à une escalade depuis le début de l’année.

Regavim a réagi mardi soir en affirmant que « la Cour suprême couvre une fois de plus l’incapacité du gouvernement à formuler et appliquer une vision pertinente » en Cisjordanie.

« Il est temps que l’État d’Israël grandisse et se prenne au sérieux », a ajouté Regavim dans un communiqué.

Ceinture de colonies

Coincé entre deux implantations juives proches de Jérusalem, Khan al-Ahmar s’est imposé comme un des symboles de la lutte contre l’expansion des colonies israéliennes, que l’ONU juge contraires au droit international, et où vivent désormais plus de 475 000 personnes.

Les opposants à la démolition font valoir que celle-ci permettrait l’expansion de la colonisation de façon à constituer une ceinture d’implantations juives autour de Jérusalem-est, occupée et annexée, pour l’isoler du reste de la Cisjordanie et compromettre ainsi davantage encore la possibilité d’une solution de paix négociée.

Figure de la droite israélienne, M. Nétanyahou, qui détient le record de longévité au pouvoir pour un premier ministre israélien, avait perdu son poste en 2021. Il est revenu aux commandes fin décembre à la faveur d’une alliance avec des partis d’extrême droite – qui militent pour une intensification de la colonisation voire, pour certains, une annexion pure et simple de la Cisjordanie – et des formations ultra-orthodoxes juives.

Le 30 janvier, lors d’une visite avec plusieurs diplomates de l’UE à Khan al-Ahmar, Oliver Owcza, représentant de l’Allemagne auprès des Palestiniens, avait mis en garde contre les conséquences, à ses yeux, d’une destruction du village.

« La voie [serait alors] ouverte à l’extension de la colonisation », ce qui, en plus d’être « contraire au droit international […] mettrait politiquement en péril la perspective d’une solution à deux États », Israël et un État palestinien vivant côte à côte.

« La communauté internationale fait l’éloge de la paix », mais « si le village est démoli, le processus de paix prend fin », déclarait de son côté Eid al-Jahalin, porte-parole de Khan al-Ahmar, en demandant : « La communauté internationale est-elle capable de préserver ce village pour que la paix advienne, ou non ? »