(Paris) Les manifestations sont moins fréquentes ces dernières semaines en Iran, mais la contestation reste vive après quatre mois de protestations, malgré la répression féroce du régime qui s’est traduite par des centaines de morts et quatre pendaisons.

Le 16 septembre, Mahsa Amini, 22 ans, mourait à la suite de son arrestation par la police des mœurs pour infraction au code vestimentaire strict pour les femmes dans la République islamique. Si le souffle de révolte qui s’est emparé de l’Iran depuis lors n’est toujours pas retombé, il prend désormais différentes formes.

« Les processus révolutionnaires impliquent généralement des phases de calme relatif et d’autres de tumulte », commente Ali Fathollah-Nejad, un politologue de l’Institut Issam Fares pour les politiques publiques et les affaires internationales de l’Université américaine de Beyrouth.

Avec la « baisse relative du nombre de manifestations », l’Iran semble se trouver « dans une impasse, ni le régime ni les manifestants n’étant en mesure de s’imposer », poursuit-il. Et d’anticiper de nouveaux débordements du fait de la crise économique que connaît le pays.

« Avec la perte de valeur considérable de la monnaie iranienne depuis le début de l’année, on peut s’attendre à des manifestations axées sur l’économie, qui […] pourraient rapidement devenir politiques », analyse M. Fathollah-Nejad.

Le nombre de grèves et d’autres actes de dissidence tels que l’écriture de slogans ou la destruction de panneaux gouvernementaux a ainsi augmenté, rapporte le site enqelab.info, qui surveille l’étendue des activités de protestation.

« Citoyens plus prudents »

Trente prisonnières politiques écrouées à Téhéran sont parvenues à faire sortir une pétition rendue publique dimanche demandant « la fin des exécutions de manifestants et la fin des peines injustes ».

Parmi elles, Faezeh Hashemi, ex-députée et fille de l’ancien président iranien Hashemi Rafsanjani, qui a écopé en janvier de cinq ans d’emprisonnement pour avoir critiqué le régime, ou encore Niloufar Bayani, militante environnementaliste, condamnée en 2020 à dix ans de détention pour « espionnage ».

« Le soulèvement national est vivant, bien que la manière dont les gens expriment leur dissidence se soit transformée en raison de la répression meurtrière », estime enqelab dans un communiqué transmis à l’AFP.

Selon l’ONG norvégienne Iran Human Rights, au moins 481 personnes ont été tuées et au moins 109 personnes risquent d’être exécutées en lien avec les manifestations, en plus des quatre déjà pendues. Téhéran reconnaît des centaines de morts, parmi lesquels des membres des forces de sécurité.

L’ONU a également dénombré 14 000 arrestations lors des manifestations dont les revendications se focalisaient dans un premier temps sur la fin de l’obligation de porter le foulard islamique pour les femmes. Pour ensuite exiger que s’achève la République islamique créée après l’éviction du chah en 1979.

Les manifestations ont simplement « diminué », car « les citoyens sont plus prudents », remarque Roya Boroumand, cofondatrice du Centre Abdorrahman Boroumand, une ONG iranienne de défense des droits humains : « mais elles ne sont pas terminées. »

En témoigne le rassemblement massif en janvier devant la prison de Rajaishar à Karaj, près de Téhéran, alors que des rumeurs faisaient état de la pendaison imminente de deux condamnés à mort liés aux manifestations. Les deux hommes sont toujours en vie.

Mais rien n’indique que Téhéran soit prêt à des concessions significatives. La répression pourrait même s’intensifier, comme semble l’indiquer la nomination à la tête de la police nationale d’Ahmad Reza Radan, un radical connu pour avoir étouffé les manifestations de 2009 contre des élections contestées.

« Méfiance » au sommet

Une décision qui ne peut qu’accroître l’isolement de l’Iran vis-à-vis de l’Occident, les pourparlers sur la relance de l’accord de 2015 sur son programme nucléaire ayant été gelés. Les autorités iraniennes sont également furieuses que l’ONU ait lancé une mission d’enquête sur les répressions.

Dans le même temps, Téhéran s’est fortement rapproché de la Russie de Vladimir Poutine, autre État paria de l’Occident, en livrant des centaines de drones à Moscou, dont l’armée russe se sert depuis des mois contre l’Ukraine.

Mais de premières divisions semblent apparaître au sein des autorités, alors que Téhéran n’a pas mobilisé tout son attirail répressif, malgré les bains de sang, selon des observateurs.

L’Iran a ainsi exécuté ce mois-ci l’ancien vice-ministre de la Défense Alireza Akbari, qui avait obtenu la nationalité britannique après avoir quitté son poste, pour espionnage pour le compte du Royaume-Uni.

Un « verdict inattendu » qui pourrait indiquer une « lutte de pouvoir » au sein de l’élite sur la manière de gérer les manifestations, remarque Cornelius Adebahr, un membre non-résident du centre de recherche Carnegie Europe.

Alireza Akbari était considéré comme proche du secrétaire du Conseil suprême de la sécurité nationale, Ali Shamkhani, et d’autres personnalités qui ont plaidé en faveur de certaines réformes pour répondre aux griefs des manifestants.

« Il y a des signes de fissures » au sein du pouvoir, abonde Ali Fathollah-Nejad. Cette exécution montre que « la méfiance s’est installée parmi les initiés du régime », insiste-t-il.

Quatre mois de contestation en Iran

PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Une manifestation au centre-ville de Téhéran, le 21 septembre dernier

Les principaux évènements depuis la mort le 16 septembre de Mahsa Amini, qui a déclenché d’innombrables manifestations, entraînant une sévère répression du régime iranien.

Morte à cause du voile

Le 16 septembre, Mahsa Amini, 22 ans, meurt à l’hôpital après un coma. Elle avait été arrêtée trois jours auparavant par la police des mœurs qui lui reprochait d’avoir enfreint le code vestimentaire de la République islamique, imposant notamment aux femmes le port du voile en public.

Manifestations

Mahsa Amini est inhumée le lendemain dans sa ville natale de Saghez (province du Kurdistan). Une manifestation est dispersée à coups de gaz lacrymogènes.

De nombreuses personnalités expriment leur colère sur les réseaux sociaux. Un parlementaire iranien, dans une prise de position inhabituelle, critique la police des mœurs.

Les manifestations s’étendent à une quinzaine de villes. Des images sur les réseaux sociaux montrent des femmes mettant le feu à leur foulard.

Instagram et WhatsApp bloqués

Le 22 septembre, les autorités bloquent Instagram et WhatsApp, les applications les plus utilisées en Iran.

Les États-Unis annoncent des sanctions économiques visant la police des mœurs et plusieurs responsables de la sécurité, suivis par le Canada, le Royaume-Uni et l’Union européenne. D’autres sanctions suivront.

Contre-manifestations

À l’appel des autorités, des milliers de personnes défilent le 23 septembre, défendant le port du voile.

Le président Ebrahim Raïssi appelle le lendemain les forces de l’ordre à agir « fermement » contre les manifestants.

Le 28 septembre, la famille de Mahsa Amini porte plainte contre les « auteurs de son arrestation ».

Khamenei accuse Washington

De violents incidents éclatent le 2 octobre à Téhéran entre étudiants et forces de sécurité dans l’université de technologie Sharif.

La semaine suivante, des adolescentes manifestent en retirant leur voile et en criant des slogans hostiles au régime.

Le guide suprême Ali Khamenei accuse les États-Unis, Israël et leurs « agents » d’avoir fomenté la contestation.

Grèves

Le 10 octobre, la contestation s’étend au secteur pétrolier, avec des grèves et des rassemblements dans plusieurs villes.

Des avocats rejoignent le mouvement, reprenant le slogan des manifestants « Femme, vie, liberté ! », à Téhéran, tout comme des commerçants, ouvriers, étudiants et enseignants.

Répression à la fin du deuil

Le 26 octobre, les forces de sécurité ouvrent le feu, selon l’ONG Hengaw basée en Norvège, sur des manifestants rassemblés dans la ville d’origine de Mahsa Amini, où des milliers de personnes avaient assisté à une cérémonie d’hommage à la fin du deuil traditionnel de 40 jours.

18 condamnations à mort

Le 8 décembre, l’Iran exécute un homme accusé d’avoir blessé un paramilitaire lors des troubles. Une deuxième exécution survient le 12 décembre, puis deux autres le 7 janvier 2023.

En date du 10 janvier 2023, le régime a condamné au total 18 personnes à la peine capitale en lien avec la contestation, selon un décompte établi par l’AFP à partir d’annonces officielles.

Non-port du voile : retour aux sanctions

Le 10 janvier, la justice iranienne annonce qu’elle veut faire appliquer de nouveau une loi prévoyant de sévères sanctions, comme l’exil, pour les personnes qui ne respecteraient pas l’obligation du port du voile.