(Jérusalem) En affirmant son soutien à la création d’un État palestinien « pacifique » sans proposer de stratégie de relance du processus de paix, le premier ministre israélien Yaïr Lapid s’attire les foudres de la droite en Israël et suscite le doute des Palestiniens.

Malgré les « obstacles », un « accord avec les Palestiniens, fondé sur deux États pour deux peuples, est la bonne chose à faire pour assurer la sécurité d’Israël », et « offrir un futur à nos enfants », a déclaré jeudi à l’ONU M. Lapid, en pleine campagne pour les législatives du 1er novembre.

« Aujourd’hui encore, une grande majorité d’Israéliens soutiennent cette vision de la solution à deux États et je suis l’un d’eux. Nous n’avons qu’une condition : qu’un futur État palestinien soit pacifique », a-t-il ajouté sans appeler à des pourparlers avec le président palestinien Mahmoud Abbas ou présenter un plan de paix.

Les propos du premier ministre israélien en faveur de « la solution à deux États » ont été qualifiés de « courageux » par le président américain Joe Biden et « d’importants » par le médiateur de l’ONU pour le Proche-Orient Tor Wennesland.

« Bien que nous sachions que cette réalité n’apparaîtra pas du jour au lendemain, les parties et les donateurs doivent dès à présent œuvrer en vue de cet objectif politique », a exhorté ce dernier.

Dans son discours en arabe, vendredi à l’Assemblée générale de l’ONU à New York, le président Abbas a accusé Israël de « détruire, par ses politiques préméditées et délibérées, la solution à deux États », tout en jugeant « positif » le soutien de M. Lapid à un État palestinien.  

« Le vrai test de sérieux et de crédibilité de cette position est toutefois celui-ci : que le gouvernement israélien s’assied immédiatement à la table des négociations pour mettre en œuvre la solution à deux États », a ajouté M. Abbas, en pourfendant notamment l’essor des colonies.  

Près de 700 000 colons israéliens vivent à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, deux territoires occupés depuis 1967 par l’État hébreu, ce qui menace la viabilité d’un État palestinien, répète d’ailleurs l’ONU.  

Vers les élections

Le leader de l’opposition israélienne, l’ex-premier ministre Benyamin Nétanyahou a accusé son rival politique Yaïr Lapid de « placer les Palestiniens au centre de la scène internationale et de replonger Israël dans la fosse palestinienne ».  

« Il (Lapid) veut donner aux Palestiniens un État terroriste dans le cœur d’Israël et cet État va nous menacer. Mais laissez-moi vous dire ceci M. Lapid : mes partenaires et moi ne vous laisserons pas faire », a tancé M. Nétanyahou, suivi par plusieurs figures de droite dans sa critique.  

Empêtré dans la plus longue crise politique de son histoire, Israël tient le 1er novembre ses cinquièmes élections législatives en moins de quatre ans. Et Benyamin Nétanyahou, forcé de quitter le pouvoir l’an dernier à la faveur d’une coalition actuellement menée par le centriste Lapid, tente de galvaniser la droite afin de retourner à la tête du gouvernement.

Son parti, le Likoud (droite), caracole dans les intentions de vote et flirte presque avec la majorité en comptant le soutien des partis orthodoxes et d’extrême droite. La formation centriste Yesh Atid (« il y a un futur ») de Yaïr Lapid tient la seconde place et table davantage sur des soutiens à gauche, d’élus arabes et de centre droit pour espérer se maintenir au pouvoir.

« Tous ceux qui votent pour Lapid savaient déjà qu’il était plus enclin à la solution à deux États alors (sa déclaration à l’ONU) ne peut qu’accroître sa cote de popularité chez des partisans de la gauche », qui songent à passer au centre, explique à l’AFP Dahlia Scheindlin, politologue spécialisée dans les sondages en Israël.  

« Au-delà de la question des sondages, cela lui donne une bonne image, car il prend enfin une position claire, courageuse et explicite alors que l’une de ses grandes faiblesses est d’être perçu comme vague ou vide d’un point de vue idéologique », ajoute-t-elle.  

Doutes et critiques

Pour le député arabe israélien Sami Abu Shehadeh, les « douces paroles » de Yaïr Lapid suscitent de « nombreuses questions ».  

« Est-ce que le gouvernement israélien va endosser la solution à deux États ? Aucun gouvernement israélien ne l’a jamais fait […] Quel sera le statut de Jérusalem ? […] Allez-vous accepter que la capitale de la Palestine soit Jérusalem-Est ? », a-t-il commenté.

Dans les Territoires palestiniens, le discours de M. Lapid a été accueilli avec des réserves.  

« Il n’a rien offert aux Palestiniens, il n’a pas parlé des colonies, il n’a pas parlé de l’occupation de la Cisjordanie », a déclaré à l’AFP Qutayba Hamdan, un Palestinien de Ramallah, siège de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie occupée.  

« À quel point est-il sérieux ? Quel sera l’impact réel de sa déclaration sur les Israéliens ? Je ne pense pas que ces mots aient une réelle valeur », estime de son côté Sobhi Al-Khouzendar, un jeune Palestinien à Gaza, enclave palestinienne soumise à un strict blocus israélien depuis 2007, année où les islamistes du Hamas y ont pris le pouvoir.