(Jérusalem) Après des heures de retard et des tractations en coulisses, les députés israéliens ont voté jeudi la dissolution du Parlement ouvrant ainsi la voie à des cinquièmes élections en moins de quatre ans et à l’entrée en scène du centriste Yaïr Lapid comme premier ministre intérimaire.  

Quelque 92 députés sur les 120 au total se sont prononcés en faveur de la dissolution du Parlement lors d’un vote final jeudi matin. Peu avant ce vote, les élus avaient fixé au 1er novembre la date des prochaines élections.

Un comité parlementaire, formé d’élus de l’opposition et de la coalition au pouvoir, s’était entendu en début de semaine pour dissoudre la Knesset, le Parlement, mercredi soir. Mais des débats sur différents projets de loi ont retardé l’échéance.

M. Bennett, qui a déjà annoncé qu’il ne sera pas candidat aux élections de novembre, doit céder vendredi à 0 h (21 h GMT jeudi) son poste de premier ministre au chef de la diplomatie Yaïr Lapid qui assurera l’intérim jusqu’à la formation du prochain gouvernement.  

Dès le vote au Parlement, les deux hommes ont changé de siège, puis Yaïr Lapid s’est rendu à Yad Vashem, le mémorial à Jérusalem de la Shoah, génocide juif dont son père était l’un des survivants.  

« J’ai promis à mon défunt père que j’allais m’assurer de garder Israël fort, capable de se défendre et de protéger ses enfants », a déclaré dans un communiqué M. Lapid, avant la tenue d’une cérémonie symbolique de passation de pouvoir.

« Je vous transmets […] la responsabilité de l’État d’Israël », a déclaré M. Bennett lors de cette cérémonie, entouré de sa famille et coiffé comme à l’habitude d’une petite kippa. « J’ai travaillé sous des premiers ministres, j’ai connu des premiers ministres. Vous êtes un homme bon et un excellent premier ministre, et vous êtes un bon ami. Ceci n’est pas une cérémonie d’adieu car je n’ai pas l’intention de vous dire au revoir », lui a répondu Yaïr Lapid.  

En juin 2021, MM. Bennett et Lapid avaient écrit une page de l’histoire d’Israël en réunissant une coalition de huit partis (droite, gauche, centre), avec pour la première fois une formation arabe, afin de couper court à 12 ans sans discontinuer de pouvoir de Benyamin Nétanyahou.

Mais un an plus tard, la coalition a perdu sa majorité à la chambre au point où le gouvernement n’a pas été en mesure de faire voter le renouvellement d’une loi garantissant aux plus de 475 000 colons de Cisjordanie occupée les mêmes droits que les autres Israéliens.  

Dans ce contexte, Naftali Bennett, lui-même un ardent défenseur des colonies, pourtant contraires au droit international, a préféré sacrifier son gouvernement, annonçant son intention de dissoudre la chambre pour convoquer de nouvelles élections.

Déjà en campagne-

Or l’accord de coalition entre MM. Bennett et Lapid prévoyait un partage du pouvoir, avec une clause selon laquelle M. Lapid assurerait l’intérim jusqu’à la formation d’un nouveau gouvernement en cas de dissolution du Parlement. Selon les sondages le paysage politique israélien est toujours aussi fragmenté avec 13 partis se partageant l20 sièges.

« Ce dont nous avons besoin aujourd’hui est de retourner au concept d’unité israélienne et non de laisser les forces de l’ombre nous diviser », a déclaré la semaine dernière M. Lapid.

Cet ex-journaliste vedette, qui a fondé il y a une décennie le parti centriste « Yesh Atid » (« Il y a un futur » en hébreu), devra rapidement mettre ses troupes en ordre de bataille pour les législatives, en plus d’être à la fois premier ministre et ministre des Affaires étrangères.

M. Lapid accueillera, à la mi-juillet, en Israël le président américain Joe Biden pour sa première tournée au Moyen-Orient depuis son arrivée à la Maison-Blanche. Il devra garder les yeux rivés sur le front politique national où le chef de l’opposition et du parti Likoud Benyamin Nétanyahou, 72 ans  jugé pour corruption dans une série d’affaires, cherche à retrouver son ancien poste de premier ministre.

« L'expérience (de la coalition) a échoué. C'est ce qui arrive lorsque vous mettez ensemble une fausse extrême droit avec la gauche radicale, le tout avec les Frères musulmans [...] », a déclaré jeudi M. Nétanyahou.

« Aurons-nous un autre gouvernement Lapid qui sera aussi un échec ou un gouvernement de droite mené par nous ? Nous sommes la seule alternative ! Un gouvernement fort, nationaliste et responsable », a ajouté M. Nétanyahou au Parlement, avant de se rendre dans un centre commercial de Jérusalem pour prendre un bain de foule et lancé de facto sa campagne électorale.   

Près de quatre ans de crise politique

Les principales étapes de la crise politique en Israël, de son début en 2019 à la dissolution du Parlement jeudi, ouvrant la voie à un cinquième scrutin en moins de quatre ans.

1. Nétanyahou échoue à former une coalition

Le 9 avril 2019, les Israéliens votent lors d’élections législatives anticipées au terme desquelles Benyamin Nétanyahou, au pouvoir depuis 2009 et sous la menace d’une inculpation pour corruption, espère rester premier ministre. Le Likoud (droite) de M. Nétanyahou et Bleu-Blanc obtiennent chacun 35 sièges. Fin mai, devant l’incapacité de M. Nétanyahou à former une coalition, le Parlement vote sa propre dissolution.

2. Coude à coude

Le 17 septembre, le Likoud et Bleu-Blanc sont de nouveau au coude à coude à l’issue des législatives. Le 25, M. Nétanyahou est désigné pour former le gouvernement. Le 21 novembre, le procureur général, Avichaï Mandelblit, inculpe M. Nétanyahou de corruption, fraude et abus de confiance dans trois affaires distinctes. Le 11 décembre, les députés votent la dissolution du Parlement.

3. Nouvel échec

Le 2 mars 2020, le Likoud obtient 36 sièges et Bleu-Blanc 33 aux élections. Le 16, le président charge toutefois M. Gantz de former un gouvernement car il avait rallié davantage d’appuis des autres partis. N’ayant pas réussi à former un gouvernement, il annonce à la surprise générale un « gouvernement d’union et d’urgence » avec Benyamin Nétanyahou pour faire face à la pandémie de coronavirus. Le 7 mai, le président Reuven Rivlin charge Benyamin Nétanyahou de former le gouvernement d’union, auquel le Parlement accorde sa confiance le 17 mai. Le 23 décembre, le Parlement se dissout à nouveau.

4. Et de 4 !

Le 23 mars 2021, les Israéliens se rendent aux urnes pour la 4e fois en deux ans. Le Likoud arrive en tête (30 sièges), suivi par la formation Yesh Atid de son rival, le centriste et chef de l’opposition Yaïr Lapid (17 sièges). À la date-butoir du 5 mai, Benyamin Nétanyahou échoue à former un gouvernement. Le même jour, M. Rivlin charge Yaïr Lapid d’essayer à son tour.

5. Bennett premier ministre

Le 30 mai, le chef de la formation de droite radicale israélienne Yamina, Naftali Bennett, annonce son intention de rejoindre le camp de Yaïr Lapid, qui parvient à réunir une coalition hétéroclite, allant de la droite à la gauche, en passant-fait rarissime-par une formation arabe. Le 13 juin, Benyamin Nétanyahou, au pouvoir depuis 12 ans, est écarté après un vote de confiance du Parlement à cette coalition inédite. Naftali Bennett devient premier ministre, tandis que Yaïr Lapid prend la tête de la diplomatie. Le 4 novembre, la Knesset adopte le budget pour l’année 2021, premier budget d’Israël voté en trois ans.

6. La coalition tangue

Le 6 avril 2022, la coalition perd sa majorité avec le départ d’une députée du parti de M. Bennett. Le 6 juin, la coalition trébuche sur la loi qui permet l’application des lois israéliennes aux plus de 475 000 colons israéliens vivant en Cisjordanie occupée. Deux membres de la coalition ont voté contre, mettant à jour les tensions en son sein.

7. Nouvelle dissolution

Le 20 juin, MM. Bennett et Lapid annoncent leur intention de dissoudre le Parlement. Les députés votent la dissolution le jeudi 30, fixant au 1er novembre les prochaines élections, les cinquièmes en moins de quatre ans. Yaïr Lapid doit assurer l’intérim du poste de premier ministre jusqu’au scrutin, tandis que Naftali Bennett annonce qu’il ne se représentera pas.