(Jérusalem) Pendant des décennies, Cheikh Jarrah n’était qu’un autre quartier de Jérusalem-Est occupée par Israël et le monde n’en n’avait pas entendu parler. Aujourd’hui le nom de ce quartier palestinien menacé par la colonisation israélienne est devenu viral.

L’homme qui a agité la conscience politique des vedettes, catalysé la colère d’une génération de Palestiniens et propulsé le nom en tendance Twitter pendant des jours, est un habitant du quartier âgé de 23 ans, Mohammed El-Kurd.

« Nous avons réussi à attirer l’attention sur la colonisation à Jérusalem, mais aussi sur les droits des Palestiniens à se défendre, à résister à l’occupant et sur leur droit de pouvoir raconter eux-mêmes leur propre histoire », se félicite le jeune militant, désormais suivi par plus d’un demi-million d’abonnés sur Instagram.

Et l’histoire s’emballe fin avril, quand des manifestations en soutien à des familles palestiniennes de Cheikh Jarrah menacées d’expulsion embrasent Jérusalem-Est, puis l’esplanade des Mosquées, puis des villes mixtes israéliennes, avant de donner lieu à 11 jours de guerre entre le mouvement islamiste palestinien Hamas au pouvoir à Gaza et l’armée israélienne.

Visuels, diaporamas explicatifs partagés des millions de fois, hashtag, manifestation : dans ce contexte extrêmement tendu, pour les animateurs de la campagne de Cheikh Jarrah, la priorité a d’abord été d’expliquer et de convaincre.  

« Depuis le début de la campagne, notre discours a été extrêmement clair. Nous parlons de colonialisme et de colonisation – pas seulement de violations des droits humains », déclare dans sa maison à Cheikh Jarrah le jeune militant à l’anglais parfait, qui étudie aux États-Unis.

Rentré à Cheikh Jarrah, Mohammed El-Kurd appartient à l’une des familles menacées d’expulsion au profit des colons israéliens.  

Dimanche, lui et sa sœur jumelle Mona, également très active dans la campagne #SheikhJarrah, ont été interpellés pendant quelques heures par la police israélienne avant d’être relâchés.  

« Sans précédent »

Des manifestants dans plusieurs pays sont descendus dans la rue pour apporter leur soutien aux Palestiniens de Cheikh Jarrah et même des personnalités comme les acteurs Mark Ruffalo et Viola Davis, la chanteuse Dua Lipa ou le footballeur de Manchester City Riyad Mahrez ont parlé de cette affaire sur les réseaux sociaux.

La dispute se cristallise autour de propriétés foncières habitées par des familles palestiniennes à Cheikh Jarrah et menacées d’expropriation.  

Car selon la loi israélienne, si des juifs peuvent prouver que leur famille vivait à Jérusalem-Est avant la guerre israélo-arabe de 1948, déclenchée à la création de l’État d’Israël, ils peuvent demander à ce que leur soit rendu leur « droit de propriété ». Une telle loi n’existe toutefois pas pour les Palestiniens ayant perdu leurs biens pendant la guerre ou ayant dû fuir sans « droit de retour ».

« Tout le monde a pu constater que nous sommes confrontés à un système juridique raciste écrit pour protéger et soutenir les colons », soutient Mohammed El-Kurd. De son immeuble, on voit plusieurs drapeaux israéliens flotter sur des bâtiments voisins.

Selon Ir Amim, une association israélienne qui suit l’évolution des colonies à Jérusalem, jusqu’à 1000 Palestiniens à Cheikh Jarrah et dans le quartier voisin de Silwan risquent d’être expulsés.

Les familles palestiniennes concernées sont celles qui se sont installées entre 1948 et 1967 quand cette partie de Jérusalem était encore sous contrôle de la Jordanie, avant son occupation par Israël en 1967.  

La Cour suprême israélienne a préféré laisser les tensions retomber et repousser sine die sa décision sur les expulsions à Cheikh Jarrah.  

« Même si nous ne parvenons pas à sauver les maisons, […] nous avons assisté à un changement sans précédent de l’opinion publique dans le monde », dit M. El-Kurd.  

Censure

La bataille sur les réseaux sociaux a aussi été celle contre la censure, d’après les militants palestiniens.  

Pendant plusieurs jours, à la demande des autorités israéliennes, certains contenus jugés comme incitatifs ou appelant à la haine ont été retirés des plateformes Facebook et Instagram, a rapporté Sada, l’association de défense des droits en ligne des Palestiniens.

« À un moment on ne pouvait plus rien poster sur Cheikh Jarrah, sans que cela ne soit immédiatement retiré », assure Mohammed El-Kurd.

Malgré ces difficultés, la campagne a eu un impact considérable. Certaines publications ont atteint 250 0000 vues en quelques heures.

« Je n’avais jamais cru au pouvoir de l’image ou des posts sur les réseaux sociaux », dit le militant. « Mais j’ai découvert que notre bataille la plus importante […] est celle des mots, celle de l’opinion publique ».