(Jérusalem) Le chef de l’opposition israélienne Yaïr Lapid est parvenu mercredi à arracher in extremis un accord pour former un gouvernement du « changement » censé mettre un terme dans les prochains jours à plus d’une décennie de pouvoir de Benyamin Nétanyahou.

Ce gouvernement de coalition, s’il obtient le vote de confiance du Parlement, pourrait mettre un terme à plus de deux ans de crise politique en Israël, avec à la clé quatre élections n’ayant pas jusque-là débouché sur un gouvernement stable.   

Mercredi, une grande partie de la population a suivi les tractations en coulisses qui duraient depuis plusieurs jours entre différents partis autour du chef de l’opposition et rival de M. Nétanyahou, Yaïr Lapid.

Le centriste Lapid avait jusqu’à minuit moins une pour signifier au président Reuven Rivlin qu’il avait réuni une majorité de 61 députés, sur les 120 au Parlement, et être parvenu à un accord sur un gouvernement du « changement » qu’il appelait de ses vœux.  

Et à 23 h 25 locales, le message est tombé : Yaïr Lapid a informé le président qu’il avait « réussi à former un gouvernement ».

Et son équipe a diffusé une image de la signature de cet accord de coalition conclu par les chefs de huit partis-deux de gauche, deux de centre, trois de droite et un arabe-et qui pourrait marquer un tournant dans l’histoire politique d’Israël.

La dernière fois qu’un parti arabe israélien avait soutenu-sans toutefois y participer-un gouvernement remonte à 1992 à l’époque du « gouvernement de la paix » de Yitzhak Rabin. Cette fois la formation arabe islamiste Raam dirigée par Mansour Abbas a signé l’accord sans indiquer à ce stade si elle participerait activement au gouvernement.

« Ce gouvernement sera au service de tous les citoyens d’Israël incluant ceux qui n’en sont pas membres, respectera ceux qui s’y opposent, et fera tout ce qui est en son pouvoir pour unir les différentes composantes de la société israélienne », a dit M. Lapid au président.

Manifestations pro et anti

« Je vous félicite, vous et les chefs de partis, pour cet accord de gouvernement. Nous nous attendons à ce que le Parlement se réunisse le plus tôt possible pour ratifier ce gouvernement », a répondu M. Rivlin.

Hasard du calendrier, un successeur à M. Rivlin, Isaac Herzog, a été élu dans la journée par les parlementaires à cette fonction essentiellement honorifique et dépourvue de pouvoir exécutif.  

Face au camp Lapid, Benyamin Nétanyahou, son parti de droite, le Likoud, et ses avocats sont à la manœuvre pour tenter d’empêcher qu’un tel accord ait l’approbation de la Knesset, le Parlement israélien.

Alors qu’on ignore la date exacte de la réunion du Parlement pour le vote de confiance, la presse israélienne a affirmé que le président de la Knesset, Yariv Levin (Likoud), pourrait être tenté de faire traîner de quelques jours supplémentaire l’organisation du vote, espérant dans cet intervalle des défections dans le camp anti-Nétanyahou.

Devant l’hôtel où se sont tenues mercredi les tractations de l’opposition, près de Tel Aviv, des centaines de manifestants pro ou anti « coalition du changement » se sont rassemblés drapeaux d’Israël à la main, sous haute surveillante policière.

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Naftali Bennett

« Je ne pense pas que ce gouvernement soit une bonne chose. Il ne représente pas du tout les gens qui ont voté à droite. C’est terrible », a dit à Jérusalem Meir Cohen, un partisan du Likoud âgé de 24 ans.

Rotation

Yaïr Lapid avait été chargé début mai par le président de former un gouvernement après l’échec de Benyamin Nétanyahou à rallier un gouvernement de droite au terme des élections de mars, les quatrièmes en deux ans.

Les efforts de M. Lapid était passés sous le radar après des violences entre manifestants palestiniens et policiers israéliens à Jérusalem-Est et dans des villes judéo-arabes d’Israël, et la guerre de 11 jours entre l’armée israélienne et le mouvement islamiste palestinien Hamas au pouvoir à Gaza.

Mais après cette escalade, les pourparlers ont repris et M. Lapid a réussi à convaincre lundi le chef de la droite radicale Naftali Bennett de se lancer dans ce projet de gouvernement avec à la clé un partage du pouvoir et une rotation à la tête du gouvernement.

Statu quo dans le conflit avec les Palestiniens, relance économique, place de la religion : tout divise sur papier la coalition hétéroclite en dehors de sa volonté de faire tomber M. Nétanyahou, arrivé au pouvoir il y a 25 ans, de 1996 à 1999, puis reconduit à son poste en 2009.

Jugé pour « corruption » dans trois affaires, M. Nétanyahou est le premier chef de gouvernement israélien à faire face à des poursuites pénales en cours de mandat. Il devrait redevenir simple député et ne pourra plus user de son influence pour tenter de faire passer une loi pour le protéger de ses ennuis judiciaires.

Dates-clés des gouvernements Nétanyahou depuis 2009

Les grandes dates des gouvernements dirigés depuis 2009 par Benyamin Nétanyahou, premier ministre le plus pérenne de l’histoire de l’État d’Israël.

PHOTO AMIR COHEN, ARCHIVES REUTERS

Benyamin Nétanyahou

Retour au pouvoir

Le 31 mars 2009, le chef du Likoud (droite) Benyamin Nétanyahou, à la tête du gouvernement entre 1996 et 1999, redevient premier ministre, succédant à Ehud Olmert accusé de corruption.

Le gouvernement de coalition est fortement ancré à droite, avec, aux Affaires étrangères, l’ultranationaliste Avigdor Lieberman, chef du parti Israël Beiteinou.

En 2013, un nouveau gouvernement Nétanyahou, issu de législatives anticipées, rassemble une majorité composée du Likoud, d’Israël Beiteinou, du Foyer juif de Naftali Bennett — issu de la mouvance nationaliste religieuse et proche des colons — ainsi que du centre droit.

Guerre contre le Hamas

En juillet 2014, l’armée israélienne lance une offensive d’envergure contre la bande de Gaza contrôlée par le mouvement islamiste Hamas, dans le but selon l’État hébreu de faire cesser les tirs de roquettes palestiniens et détruire les tunnels creusés dans l’enclave palestinienne sous blocus israélien depuis 2006.

La guerre contre le Hamas — la troisième depuis 2008 — fait 2251 morts côté palestinien, en très grande majorité des civils, et 74 morts côté israélien, quasiment tous des soldats.

Le plus à droite

En mai 2015, M. Nétanyahou, vainqueur aux législatives de mars, forme un nouveau gouvernement qui intègre des ministres ultra-orthodoxes.

Un an plus tard, après un accord de coalition avec Israël Beiteinou, Avigdor Lieberman devient ministre de la Défense.

En juin 2017, Israël entame la construction de la nouvelle colonie d’Amichaï, une première en 25 ans en Cisjordanie, territoire palestinien occupé par l’armée israélienne depuis 1967.

La colonisation juive dans les territoires occupés s’accélère.

Manifestations à Gaza et violences

À partir de mars 2018, des milliers de Palestiniens se rassemblent chaque vendredi le long de la barrière entre Gaza et Israël, lourdement gardée par l’armée israélienne, pour réclamer la levée du blocus.

Ils réclament aussi le droit des Palestiniens à retourner sur les terres qu’ils ont fuies ou dont ils ont été chassés à la création d’Israël en 1948.

Jusqu’en décembre 2019, près de 350 Palestiniens sont tués par des tirs israéliens. Huit Israéliens ont été tués.

Nétanyahou inculpé

Le 21 novembre 2019, Benyamin Nétanyahou est inculpé pour corruption, fraude et abus de confiance dans trois affaires différentes. Un fait inédit pour un premier ministre en exercice en Israël. Son procès s’ouvre en mai 2020.

Échec de gouvernement d’union

Le 2 mars 2020, les Israéliens retournent aux urnes, les législatives d’avril et de septembre 2019 n’ayant pas réussi à départager M. Nétanyahou de son principal rival, Benny Gantz, chef de la formation centriste Bleu-Blanc.

Fin mars, Gantz se rallie à Nétanyahou pour former un « gouvernement d’urgence » face à la crise du coronavirus.

Le 17 mai, Israël se dote d’un gouvernement d’union. Nétanyahou doit rester chef de gouvernement pendant 18 mois avant de céder sa place pour une période équivalente à Gantz. Mais le gouvernement ne survit que quelques mois.

Coup diplomatique

À partir d’août 2020, quatre pays arabes — Émirats arabes unis, Bahreïn, Soudan et Maroc — normalisent leurs relations avec Israël, sous le parrainage du président américain Donald Trump.

Celui-ci a multiplié les gestes envers Israël : déplacement de l’ambassade des États-Unis de Tel Aviv à Jérusalem, reconnaissance de la souveraineté israélienne sur le plateau du Golan syrien et soutien à la colonisation.

Nétanyahou, de nouveau

Le 23 mars 2021, nouvelles législatives anticipées. Le Likoud arrive en tête, suivi de Yesh Atid (« Il y a un futur ») du centriste Yaïr Lapid.

Le 6 avril, Benyamin Nétanyahou est désigné pour former une nouvelle équipe ministérielle. Nouvel échec. Le 5 mai, le président Reuven Rivlin demande au chef de l’opposition, Yaïr Lapid, de tenter de former un gouvernement.

Conflit avec le Hamas

Le 10 mai, après plusieurs jours d’affrontements entre Palestiniens et forces israéliennes à Jérusalem-Est, le Hamas lance vers Israël des roquettes depuis Gaza. L’armée israélienne réplique par des frappes dévastatrices.

Jusqu’au cessez-le-feu entré en vigueur le 21 mai, 254 Palestiniens sont tués par les frappes israéliennes, selon les autorités locales. En Israël, les tirs de roquettes font 12 morts.

Vers un nouveau gouvernement

Le 30 mai, le chef de la formation de droite radicale israélienne Yamina, Naftali Bennett, annonce son intention de joindre le camp de Yaïr Lapid.

Plus de deux ans de crise politique

Avril 2019

Le 9 avril 2019, les Israéliens votent lors d’élections législatives anticipées au terme desquelles Benyamin Nétanyahou, au pouvoir depuis 2009 et sous la menace d’une inculpation pour corruption, espère rester premier ministre.

Face à lui, Benny Gantz, ancien chef d’état-major, mène la nouvelle alliance centriste Kahol-Lavan (Bleu-Blanc).

Le Likoud (droite) de M. Nétanyahou et Bleu-Blanc obtiennent chacun 35 sièges.

Le 17, le président Reuven Rivlin charge M. Nétanyahou de former un gouvernement après des recommandations en ce sens des partis de droite et ultra-orthodoxes.

Mais fin mai, devant l’incapacité de M. Nétanyahou à former une coalition, le Parlement vote sa propre dissolution.

Le premier ministre a préféré provoquer un nouveau scrutin plutôt que voir le président confier à un autre le soin de former un gouvernement.

Coude-à-coude

Le 17 septembre, le Likoud et Bleu-Blanc sont de nouveau au coude-à-coude à l’issue des législatives.

Le 25, M. Nétanyahou est désigné pour former le gouvernement. M. Gantz refuse de « siéger dans un gouvernement dont le chef est sous le coup d’un grave acte d’accusation », en référence aux ennuis judiciaires de son rival.

Le 21 octobre, M. Nétanyahou renonce et le président charge M. Gantz, soutenu par la « Liste unie » des partis arabes, troisième force politique, de former un gouvernement.

Mais le 21 novembre, le président demande au Parlement de trouver un premier ministre, ni M. Nétanyahou ni M. Gantz n’ayant réussi à former une coalition.

Le même jour, le procureur général Avichaï Mandelblit inculpe M. Nétanyahou de corruption, fraude et abus de confiance dans trois affaires distinctes.

Le 11 décembre, les députés votent la dissolution du Parlement et convoquent un troisième scrutin en moins d’un an.

Nouvel échec

Le 2 mars 2020, le Likoud obtient 36 sièges et Bleu-Blanc 33 aux élections.

Le 16, le président charge toutefois M. Gantz de former un gouvernement, car il avait rallié davantage d’appuis des autres partis.

Mais n’ayant pas réussi à former un gouvernement, il annonce à la surprise générale un « gouvernement d’union et d’urgence » avec Benyamin Nétanyahou pour faire face à la pandémie de coronavirus.

Leur pacte, d’une durée de trois ans, prévoit une rotation, M. Nétanyahou devant laisser la place de premier ministre à M. Gantz après 18 mois.

Le 6 mai, la Cour suprême, saisie par des organisations mettant en doute la légalité de l’accord, le valide.

Le lendemain, Reuven Rivlin charge M. Nétanyahou de former le gouvernement d’union, auquel le Parlement accorde la confiance le 17 mai.

Mais le 23 décembre, après l’échec des parlementaires à adopter un budget, le Parlement se dissout à nouveau.

Et de 4 !

Le 23 mars 2021, les Israéliens se rendent aux urnes pour la 4fois en deux ans. Le Likoud arrive en tête (30 sièges), suivi par la formation Yesh Atid de son rival, le centriste et chef de l’opposition Yaïr Lapid (17 sièges).

Le 6 avril, Benyamin Nétanyahou est chargé de former le gouvernement.

Le 18, Yaïr Lapid propose un gouvernement d’union comprenant des partis de la droite, du centre et de gauche. M. Nétanyahou appelle Gideon Saar, un dissident du Likoud, à le rejoindre dans un « gouvernement de droite ».

Le 20, il plaide pour un référendum pour choisir un premier ministre.

À la date-butoir du 5 mai, Benyamin Nétanyahou échoue à former un gouvernement. Le même jour, M. Rivlin charge Yaïr Lapid d’essayer à son tour.

Le 30 mai, le chef de la formation de droite radicale israélienne Yamina, Naftali Bennett, annonce son intention de joindre le camp de Yaïr Lapid.

Benyamin Nétanyahou avertit que le projet d’un gouvernement d’union sous la direction de Yaïr Lapid serait un « danger pour la sécurité d’Israël ».