L’avenir politique du premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou dépend des tractations en cours entre une kyrielle de partis hétéroclites qui cherchent à former un nouveau gouvernement pour le chasser après 12 années consécutives au pouvoir.

Il serait cependant malvenu de le déclarer fini à ce stade de l’exercice, préviennent plusieurs analystes interrogés par La Presse, qui n’écartent pas la possibilité de le voir s’en tirer in extremis par un stratagème surprise.

« Nétanyahou est considéré comme un magicien politique. Personne ne sait jamais exactement quelle sera sa prochaine manœuvre », a prévenu lundi Assaf Shapira, analyste politique à l’Institut israélien de la démocratie.

Tamar Hermann, qui dirige en Israël le Centre Guttman sur l’opinion publique et la recherche politique, affichait la même réserve tout en relevant qu’un nouveau gouvernement excluant le Likoud de M. Nétanyahou avait de bonnes chances de voir le jour.

Tant que la grosse dame n’aura pas chanté, je m’abstiendrai de conclure qu’il n’est plus dans le jeu.

Tamar Hermann, directrice académique du Centre Guttman sur l’opinion publique et la recherche politique

Le premier ministre se retrouve en position précaire depuis que l’un de ses anciens alliés, Naftali Bennett, issu de la droite radicale, a annoncé dimanche son intention de se rallier au « gouvernement d’union » préconisé par le parti de Yaïr Lapid.

PHOTO DEBBIE HILL, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le chef de l’opposition centriste à la Knesset, Yaïr Lapid

Cet ex-journaliste, qui dirige le parti de centre droit Yesh Atid, a accepté que M. Bennett agisse comme premier ministre dans un nouveau gouvernement avant de lui succéder au bout de deux ans, même si sa formation a remporté un nombre sensiblement plus élevé de sièges lors du dernier scrutin tenu début mars.

Le parti de Benyamin Nétanyahou avait remporté 30 sièges sur 120 lors des élections, les quatrièmes en deux ans en Israël, mais n’a pas réussi à recueillir les appuis requis pour atteindre la majorité.

M. Lapid a reçu début mai le mandat du président israélien Reuven Rivlin de former un gouvernement et a jusqu’à mercredi en toute fin de journée pour confirmer qu’il a réussi. Le cas échéant, un vote de confiance se tiendra normalement une semaine plus tard à la Knesset.

Nétanyahou pas prêt de jeter l’éponge

En politique israélienne, cette période d’une semaine représente « une éternité » et offre au premier ministre, note M. Shapira, le temps de faire pression sur des élus de droite pour tenter de les convaincre de renoncer à se joindre à la coalition en discussion.

PHOTO ARCHIVES REUTERS

Benyamin Nétanyahou

Il a donné le ton dimanche en déclarant que MM. Bennett et Lapid étaient en voie d’organiser la « fraude du siècle ». Le politicien a par ailleurs affirmé que le gouvernement projeté serait dangereux pour la sécurité nationale.

Des formations allant de la gauche à la droite du spectre politique, tant laïques que religieuses, ont annoncé leur soutien à la coalition, qui comptait lundi 57 sièges confirmés sur un total possible de 120. L’appui manquant pourrait venir d’une petite formation arabe.

Encore du travail à faire

M. Lapid a prévenu lundi qu’il restait encore « beaucoup d’obstacles » à franchir avant de finaliser les discussions, des tractations se poursuivant notamment sur la répartition des ministères.

Mme Hermann note que l’ex-journaliste a fait preuve d’un « excellent sens politique » jusqu’à maintenant et a montré un « sens du compromis surprenant » en acceptant que M. Bennett siège d’abord comme premier ministre dans un éventuel gouvernement.

PHOTO YONATAN SINDEL, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le chef de la formation d’extrême droite Yamina, Naftali Bennett

Ce dernier n’aurait pas accepté de se rallier dans le cas contraire, relève M. Shapira, qui attribue par ailleurs le rapprochement des deux politiciens à leur méfiance partagée envers Benyamin Nétanyahou et à leur volonté d’empêcher la tenue d’un nouveau scrutin.

Renan Levine, analyste politique à l’Université de Toronto, estime que la dynamique actuelle est aussi alimentée par le fait que M. Nétanyahou est fragilisé par des ennuis judiciaires qui ont « encouragé » certains de ses alliés traditionnels à droite, dont M. Bennett, à passer aux actes pour le chasser du pouvoir et éventuellement chercher à asseoir leur propre influence.

À quoi ressemblerait un nouveau gouvernement ?

Le système électoral proportionnel qui est utilisé en Israël confère souvent à de petites formations un poids disproportionné dans le jeu politique. Dans le cas présent, la nature hétéroclite de la coalition signifie que le gouvernement projeté risque de se tenir loin des sujets sensibles, relève M. Levine.

La posture étatique sur le dossier palestinien, ramené à l’avant-plan par le récent affrontement avec le Hamas, n’évoluera pas, prédit Mme Hermann.

Ce sera le statu quo sur ce plan à moins que l’administration américaine n’exerce une très forte pression, que je ne vois pas venir à ce stade.

Tamar Hermann, qui dirige en Israël le Centre Guttman sur l’opinion publique et la recherche politique

M. Levine s’attend à ce que l’accent soit placé sur les questions économiques alors que le pays, l’un des plus avancés en matière de vaccination, émerge de la pandémie de COVID-19.

Il pense que le nouveau gouvernement, s’il se formalise, pourrait s’avérer étonnamment stable puisque les partis qui le composent « ont de bonnes raisons de rester ensemble ».

Les politiciens issus de la droite, dont M. Bennett, voudront notamment que ça dure « pour montrer qu’ils peuvent être de bons dirigeants » et tenter de faire oublier Benyamin Nétanyahou, qui n’a aucune intention de leur faciliter la tâche.