La guerre entre Israël et le Hamas, qui contrôle la bande de Gaza, a déjà fait 227 victimes palestiniennes, dont une soixantaine d’enfants, et 12 victimes israéliennes, dont 1 enfant. Des habitants de Gaza témoignent d’un pilonnage sans précédent qui anéantit des familles entières.

C’était le 12 mai, dernier jour du ramadan, et Milina Shahin discutait du menu du repas du soir avec sa sœur Miami.

« Il était 13 h 30, on échangeait en ligne, ma sœur se demandait ce qu’elle cuisinerait pour sa famille, ce jour-là. »

Une conversation anodine qui serait leur dernière.

Une heure plus tard, Milina Shahin a appris qu’il y avait eu une explosion à Khan Younis, localité du sud de la bande de Gaza où vivait Miami. Elle a tenté désespérément de joindre sa sœur et sa nièce Hadil par téléphone, mais les appels tombaient dans le vide.

Puis elle a reçu un coup de fil d’un proche. Le missile qui venait de toucher l’immeuble où vivait sa sœur avait pulvérisé la maison. Miami, 45 ans, et Hadil, 26 ans, sont mortes sur le coup.

PHOTO YOUSEF MASOUD, ASSOCIATED PRESS

Immeuble rasé par un missile à Khan Younis

Son frère, qui a été le premier arrivé sur les lieux de la frappe, a fortement déconseillé à Milina de se rendre à Khan Younis pour voir leurs corps : il n’en restait que des morceaux éparpillés.

« Ma sœur et ma nièce étaient les personnes les plus simples et les plus pacifiques du monde, elles ne sont coupables de rien, et je n’ai même pas pu leur dire au revoir », se désole Milina Shahin, jointe à Gaza, mercredi.

Hadil devait se marier au début de juin. « Tous ces beaux vêtements qu’elle avait achetés pour son mariage, les bijoux en or, tout a disparu. »

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Hadil, victime d’une frappe aérienne

Milina Shahin est la porte-parole de l’agence de l’ONU qui vient en aide aux réfugiés palestiniens à Gaza, UNRWA. Elle a l’habitude de donner des informations sur les difficultés qui affligent cette bande de territoire où s’entassent 2 millions de Palestiniens.

Cette fois, la tragédie a frappé au cœur de sa propre famille.

Cibles civiles

Menée au nom de la guerre contre le Hamas, organisation islamiste qui administre la bande de Gaza et qui a fait pleuvoir 3000 roquettes sur Israël en 10 jours, l’offensive israélienne lancée le 10 mai est d’une intensité sans précédent, selon Raji Sourani, fondateur du Centre palestinien pour les droits de la personne de Gaza.

Il y a des bombardements du ciel, de la terre, de la mer. Chaque heure, il y a plus de morts et de destruction.

Raji Sourani, fondateur du Centre palestinien pour les droits de la personne de Gaza

« Dans mon quartier, il y a des ruines dans chaque rue », confirme Milina Shahin. La femme de 48 ans vit dans le quartier al-Rimal, secteur de prédilection des Gazaouis de classe moyenne : professeurs d’université, médecins, fonctionnaires.

Lors des guerres précédentes, ce quartier avait été relativement épargné. Pas cette fois.

PHOTO MAHMUD HAMS, AGENCE FRANCE-PRESSE

Les immeubles résidentiels de Gaza abritent souvent des familles entières, plusieurs générations réparties sur trois ou quatre étages.

Les immeubles résidentiels de Gaza abritent souvent des familles entières, plusieurs générations réparties sur trois ou quatre étages.

Beaucoup de ces familles ont été pratiquement rasées par les frappes, relate le quotidien israélien Haaretz. Selon la journaliste Amira Hass, 15 familles ont vu au moins 3 de leurs membres tués d’un seul coup, en une semaine de bombardements.

Des parents, des enfants, des bébés, des grands-parents, des frères, des sœurs, des neveux et des nièces sont morts ensemble quand Israël a bombardé leur maison sans les avertir.

Amira Hass, journaliste

Dans la seule journée de dimanche, trois immeubles résidentiels de la rue al-Wehda, une des principales artères d’al-Rimal, ont été pilonnés. Bilan : 42 morts, dont 10 enfants.

Parmi les familles anéanties, il y a celle du docteur Ayman Abou al-Ouf, interniste à l’hôpital al-Shifa, principal centre médical dans la bande de Gaza. Une seule frappe a détruit sa maison et fait 13 morts.

Évacuations variables

Selon Amira Hass, les autorités israéliennes possèdent les registres de la population de la bande de Gaza et sont en mesure de joindre les gens pour les avertir d’évacuer leur maison, avant une frappe. Ces avertissements n’ont pas été donnés cette fois.

PHOTO SAID KHATIB, AGENCE FRANCE-PRESSE

La guerre a déjà fait plus de 200 victimes palestiniennes.

En revanche, 3 tours de 12 à 14 étages abritant de nombreux médias palestiniens et internationaux, comme Al Jazeera, l’Associated Press, le Palestinian Daily News et la chaîne de télévision Al Araby, ont pu être évacuées avant d’être réduites en ruines.

« Israël cherche à exercer une pression sur les classes moyennes à Gaza », croit Mkhaimar Abusada, professeur de sciences politiques à l’Université al-Azhar de Gaza, cité par le Guardian.

« Les gens qui ont perdu leur maison ont tout perdu, et les plus belles tours de Gaza ont été détruites sans aucune raison », déplore Raji Sourani. Un de ses amis possédait une usine de matelas dans la bande de Gaza. L’usine valait 1 million de dollars. Elle a été pulvérisée.

Ça ne me dérange pas qu’ils [les Israéliens] ciblent le Hamas ou le Djihad islamique, mais ce sont les civils qui se trouvent dans l’œil du cyclone.

Raji Sourani, fondateur du Centre palestinien pour les droits de la personne de Gaza

« Cette tuerie doit cesser, je n’arrête pas de m’inquiéter pour mes trois enfants, ils ont de 3 à 17 ans, j’ai peur qu’il leur arrive quelque chose », confie Milina Shahin.

Selon elle, les ondes de choc des pilonnages sont terribles. « C’est pire qu’en 2014, des édifices tremblent pendant la nuit comme jamais avant », dit-elle.

Pénuries en perspective

Déjà fragile en temps normal, le réseau électrique de la bande de Gaza a été endommagé et ne fournit plus que deux à trois heures de courant par jour. Même les privilégiés qui possèdent une génératrice craignent de manquer de carburant, étant donné que les points d’entrée de biens dans la bande de Gaza sont fermés par Israël.

Les pompes à eau sont elles aussi actionnées électriquement et Milina Shahin appréhende les pénuries d’eau.

Dans les magasins, dit-elle, « les étagères sont de plus en plus vides ».

« Les civils innocents paient le prix de cette guerre. Et ce n’est pas seulement les maisons qui sont détruites. C’est aussi notre âme et notre dignité. »