(Ottawa) Dix responsables iraniens ont été accusés en lien avec l’écrasement d’un avion de ligne ukrainien qui avait fait 176 morts en 2020, mais cette décision n’a rien fait pour répondre aux attentes du Canada.

Plus de 100 des 176 victimes de la tragédie avaient un lien avec le Canada ; 55 étaient des citoyens canadiens et 30 des résidents permanents. L’avion de ligne a été abattu par deux missiles iraniens peu après son décollage de l’aéroport de Téhéran, le 8 janvier 2020. Un rapport final de l’agence iranienne de l’aviation civile, publié le mois dernier, a conclu à une « erreur humaine », mais n’a nommé personne en particulier.

Mardi, le procureur militaire de Téhéran, Gholamabbas Torki, a également évité de nommer les responsables lorsqu’il a annoncé les inculpations, en cédant ses fonctions à Nasser Seraj. L’agence de presse semi-officielle ISNA et l’agence de presse Mizan de la justice iranienne ont toutes deux rapporté ses propos.

« Des actes d’accusation ont été émis contre 10 personnes en faute », a indiqué l’agence Mizan, citant Me Torki, sans donner plus de détails.

Kourosh Doustshenas, dont la conjointe Forough Khadem était l’une des victimes de la tragédie, a déclaré que les familles ne pouvaient pas faire confiance au système judiciaire iranien parce que le procureur militaire de Téhéran n’avait pas révélé les noms des personnes inculpées ni les infractions présumées.

En entrevue à La Presse Canadienne, M. Doustshenas a déclaré que le gouvernement iranien avait « fait un spectacle », pour éviter toute responsabilité, quand il a publié le « soi-disant rapport d’enquête final », il y a quelques semaines, qui était « plein de mensonges et de fausses déclarations ».

Ottawa « n’a pas assez insisté »

À Ottawa, le premier ministre Justin Trudeau a déclaré que son gouvernement restait « extrêmement préoccupé par le manque de responsabilité que l’Iran continue d’avoir sur cette question ».

En point de presse mardi, il a soutenu que le Canada travaillerait avec la communauté internationale pour réformer les normes de l’aviation et pour s’assurer que les familles des victimes « puissent tourner la page, obtenir compensation et surtout justice de l’Iran ».

Mais M. Doustshenas croit qu’Ottawa n’a pas assez insisté auprès du gouvernement iranien pour qu’il rende des comptes dans ce dossier. « (Le gouvernement canadien continue) de dire que nous voulons la transparence et la responsabilité, mais il ne dit pas comment il y parviendra et quel est le mécanisme pour y parvenir », a-t-il déclaré.

Le chef conservateur, Erin O’Toole, a soutenu mardi qu’Ottawa devrait faire davantage pression sur l’Iran pour une enquête et un examen complets. « Le régime devrait être tenu responsable de la responsabilité des vies perdues », a déclaré M. O’Toole en conférence de presse.

Après trois jours de déni à la suite de la tragédie, et face à des preuves de plus en plus accablantes, Téhéran a finalement reconnu que ses « gardiens de la révolution » paramilitaires avaient abattu par erreur le Boeing 737-800 avec deux missiles sol-air.

Rapport critiqué

Le mois dernier, le Bureau de la sécurité des transports du Canada a conclu que les responsables iraniens n’avaient pas fourni la preuve que le vol 752 des lignes aériennes Ukraine International avait été abattu par erreur, laissant des questions clés sans réponse — alors que l’armée iranienne enquête de fait sur elle-même.

Le gouvernement canadien a rejeté catégoriquement le rapport de l’agence iranienne, qualifié d’incomplet et de dépourvu de « faits ou preuves tangibles ».

La fusillade a eu lieu le jour même où l’Iran a lancé une attaque de missiles balistiques contre les troupes américaines en Irak en représailles à une frappe de drone américain qui a tué un haut général iranien. Alors que les responsables des gardiens de la révolution se sont excusés publiquement pour l’incident, l’hésitation de l’Iran à préciser ce qui s’est passé montre le pouvoir que la force exerce.

À la suite de la publication du rapport d’enquête final de l’Iran, le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, avait critiqué les résultats comme une « tentative cynique de cacher les véritables causes de l’écrasement de notre avion ». Il a accusé l’Iran d’avoir mené une enquête « biaisée » sur la catastrophe, qui a abouti à des conclusions « trompeuses ».

De nombreux passagers du vol prévoyaient faire escale à Kiev, en Ukraine, pour ensuite se rendre au Canada, qui compte une importante communauté iranienne. Les ministres canadiens des Affaires étrangères et des Transports ont également critiqué le rapport, affirmant qu’il « ne contient ni faits ni preuves concrètes » et qu’il « ne tente pas de répondre à des questions critiques sur ce qui s’est réellement passé ».

L’annonce des accusations, mardi, est intervenue quelques heures à peine avant que l’Iran et les cinq puissances mondiales restées dans son accord nucléaire ne se rencontrent à Vienne, où les États-Unis doivent entamer des pourparlers indirects avec Téhéran.