Les forces de sécurité afghanes continuent de torturer des détenus, y compris des enfants, à un rythme « alarmant » et font peu de cas des garanties procédurales prévues dans la loi pour décourager ce type de dérive, déplorent les Nations unies dans un nouveau rapport.

La Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA) a interviewé plus de 650 personnes privées de liberté pour des crimes liés à des questions de sécurité ou de terrorisme entre le 1er janvier 2019 et le 31 mars 2020.

Un peu moins du tiers des détenus, soit 30,3 %, ont témoigné « de façon crédible » qu’ils avaient été torturés ou soumis à de mauvais traitements par leurs geôliers, un total légèrement inférieur à celui auquel on était arrivé il y a deux ans dans un précédent rapport de suivi.

Le rapport, produit conjointement avec le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, relève que la situation est légèrement meilleure dans les établissements chapeautés par les services de renseignement et de sécurité que dans ceux que contrôle la police nationale.

Parmi les personnes interrogées figuraient notamment 85 enfants âgés de 10 à 18 ans qui ont rapporté près d’une quarantaine d’épisodes de torture jugés crédibles par les organisations internationales.

Malgré l’importance des allégations enregistrées par les enquêteurs, les procureurs afghans chargés de contrer la torture n’ont mené qu’une vingtaine d’enquêtes à ce sujet sur une période de deux ans terminée en octobre 2020. Cinq cas avaient conduit à des condamnations au moment de la finalisation du rapport.

L’un des cas les plus sérieux est survenu en mai 2019 dans la province de Ghazni, au sud de Kaboul. Un commerçant de 43 ans qui avait été sommé de se présenter au quartier général de la police nationale a été retrouvé mort 24 heures plus tard à l’hôpital. Le directeur adjoint de l’unité antiterroriste locale a été condamné pour torture en octobre de la même année. Son supérieur a été identifié par le procureur au dossier comme un complice, mais continuait à occuper ses fonctions à la fin de l’année.

En mars 2020, un étudiant de 17 ans, Mohammad Ghaws, a été emmené dans un poste de police de la province de Paktia. Un commandant local l’ayant battu devant des collègues est ensuite demeuré seul avec le détenu, qui a été retrouvé mort dans sa cellule le lendemain matin. Le commandant mis en cause a été condamné à 21 ans de prison.

Aucune protection juridique

La MANUA relève que les abus envers les détenus sont facilités par le fait qu’ils sont presque systématiquement privés de protections juridiques élémentaires, comme d’être informés de leurs droits avant d’être interrogés ou d’avoir accès à un avocat.

Les prisonniers interrogés ont été amenés, dans près de la moitié des épisodes de détention étudiés, à signer des documents potentiellement compromettants sans connaître leur teneur.

L’ONU souligne que les insurgés talibans en guerre avec Kaboul pratiquent aussi la torture sur les prisonniers, mais ne présente pas de données à ce sujet faute d’avoir accès aux centres de détention qu’ils contrôlent.

La directrice adjointe pour l’Asie de Human Rights Watch, Patricia Grossman, a indiqué jeudi que les ratés observés par les Nations unies surviennent cinq ans après que le président afghan Ashraf Ghani a donné l’assurance que son gouvernement « ne tolérerait pas la torture ».

« Si c’était le cas, ce nouveau rapport ne serait pas nécessaire », a relevé l’analyste, qui juge son contenu particulièrement troublant à lire alors que les négociations de paix entre les deux camps « semblent au point mort » et que les risques d’embrasement augmentent.

Une source au courant des pourparlers en cours à Doha a indiqué jeudi que le gouvernement de Joe Biden tenterait probablement de retarder le départ annoncé des dernières troupes américaines d’ici au 1er mai pour maintenir la pression sur les talibans et favoriser un déblocage.

PHOTO MARTIN TREMBLAY ARCHIVES LA PRESSE

Dans les années 2000, des prisonniers ont été torturés après avoir été transférés aux autorités afghanes par l’armée canadienne.

La question du traitement de détenus par les autorités afghanes avait suscité une vive controverse au Canada à la fin des années 2000. Des médias avaient alors révélé que des prisonniers avaient été transférés aux autorités afghanes par les forces canadiennes présentes dans le pays avant d’être torturés.

Le gouvernement conservateur de Stephen Harper, qui niait avoir eu connaissance des risques de torture, a assuré après de nombreux rebondissements politiques que les allégations de « conduite inappropriée » étaient sans fondement. Le Parti libéral, qui réclamait la tenue d’une commission d’enquête publique dans l’opposition, a rejeté cette idée après avoir remporté les élections en 2015.