(Beyrouth) Médiation entre barons de la politique au Liban, libération d’otages en Syrie, visites diplomatiques à Washington et à Paris. Le patron des renseignements libanais Abbas Ibrahim s’est constitué en coulisses une influence croissante, qui dépasse ses prérogatives sécuritaires.

Pour cet ancien militaire chiite de 61 ans, ce rôle de premier plan n’aurait pas été possible sans ses liens privilégiés avec le mouvement du Hezbollah, soutenu par Téhéran, estiment des observateurs.

Certains lui prédisent un rôle politique prééminent. Lui reste évasif sur la question.

Après avoir gravi les échelons au sein du renseignement militaire, il dirige depuis une décennie la Sûreté générale. Ses missions et négociations, ainsi que certains déplacements diplomatiques, se font en toute discrétion.

Dernier fait d’armes : la libération d’une dizaine de compatriotes détenus aux Émirats arabes unis, annoncée lundi. De nombreux Libanais ont été emprisonnés ou expulsés par des monarchies du Golfe pour liens présumés avec le Hezbollah.

Que pense-t-il de sa qualification d’« homme du Hezbollah » ?

« Cela ne me dérange absolument pas », il y a aussi ceux qui l’accusent d’être un homme des Américains, indique-t-il à l’AFP.

Toujours est-il que la « confiance » dont il jouit auprès du mouvement chiite a fait de lui le « point de contact » pour tout interlocuteur « souhaitant communiquer avec le Hezbollah sur les questions de sécurité libanaise », assure le politologue Ali al-Amine. « Si cette confiance était ébranlée, ce serait la fin de sa carrière professionnelle et de son rôle politique », souligne-t-il.

Il rappelle aussi les « missions sensibles » dont le général était chargé lorsqu’il dirigeait les renseignements militaires dans le sud du Liban, sa région d’origine, frontalière d’Israël et bastion du Hezbollah.

M. Ibrahim, dont le mandat arrive à échéance en 2022, pourrait bien, pour certains, succéder au chef du Parlement Nabih Berri. Un pilier de la politique libanaise.

Ses premiers dossiers d’envergure en tant que patron de la Sûreté générale sont apparus après le déclenchement en 2011 du conflit dans la Syrie voisine et ses répercussions au Liban.

Libérations d’otages, dont un Canadien

C’est lui qui est contacté pour les otages occidentaux en Syrie. Grâce à sa médiation, le Canadien Kristian Lee Baxter et l’Américain Sam Goodwin ont été libérés à l’été 2019.

PHOTO MOHAMED AZAKIR, ARCHIVES REUTERS

Le Canadien Kristian Lee Baxter, un « aventurier » selon ses proches, s’était rendu dans le village de naissance de son beau-frère, contrôlé par le régime de Bachar al-Assad et situé près de la frontière libanaise.

L’homme avait d’abord négocié avec le Qatar la libération en 2013 de Libanais chiites détenus treize mois par des rebelles syriens sunnites. Ils avaient été capturés alors qu’ils rentraient d’un pèlerinage en Iran.

En mars 2014, il a obtenu la libération de religieuses de Maaloula enlevées par des djihadistes quatre mois plus tôt au nord de Damas.

Il a aussi obtenu de Téhéran en juin 2019 la libération du Libanais résidant aux États-Unis Nizar Zaka, emprisonné depuis 2015 pour « espionnage » au profit de Washington.

Liens avec Washington et le Hezbollah

Utilisant ses liens avec Washington et avec le Hezbollah — militairement impliqué dans le conflit syrien aux côtés du régime de Bachar al-Assad —, M. Ibrahim cherche à connaître le sort du photojournaliste américain Austin Tice, porté disparu depuis 2012 près de Damas.

Le responsable libanais a rencontré ses parents en octobre à Washington, où il recevait un prix récompensant son rôle dans la libération de MM. Zaka et Goodwin.

C’est aussi le général Ibrahim qui est notamment dépêché à Paris quand il s’agit de suivre les développements d’une « initiative française » cherchant à sortir le Liban de ses multiples crises.

Tout comme il joue régulièrement le médiateur entre les ténors de la politique libanaise, un rôle souvent aussi joué par le chef du Parlement Nabih Berri.

Pour permettre la formation d’un nouveau gouvernement, il tente actuellement de sortir de l’impasse le président et le premier ministre désigné à la demande, selon la presse locale, du Hezbollah et de son allié le parti Amal.

Pas l’exécutant « de l’élite », dit-il

« On ne me demande jamais de m’impliquer. L’initiative vient toujours de moi », assure-t-il à l’AFP, refusant d’être considéré comme le « facteur de l’élite politique ».

« Mais, bien évidemment, je ne fais rien sans en avoir discuté avec les dirigeants ou les responsables et avoir obtenu le feu vert », ajoute cet homme issu d’une famille aisée et qui a passé une partie de son enfance au Koweït.

D’où viennent ses victoires en politique ? De son « réseau » et d’une « capacité à être en contact avec tout le monde », estime-t-il.

Interrogé sur d’éventuelles ambitions politiques, M. Ibrahim sourit : « Personnellement, je veux prendre ma retraite dans mon village. Mais je ne sais pas ce que me dicteront les circonstances, ni où elles me mèneront ».