De la torture. Des emprisonnements arbitraires. Des disparitions. Les réfugiés syriens s’exposent à des représailles en rentrant au pays, malgré ce qu’en dit le régime devant la communauté internationale, dénonce Human Rights Watch dans un nouveau rapport publié mercredi.

« Ce que nous avons trouvé, c’est qu’ils font face à une persécution importante des autorités gouvernementales syriennes et des milices qui lui sont affiliées », explique Sara Kayyali, chercheuse sur la Syrie à HRW.

Pourtant, souligne-t-elle, les réfugiés ont choisi de retourner dans leur pays après signature d’un document stipulant qu’ils ne seraient pas arrêtés et qu’aucune accusation ne pesait sur eux en Syrie. « Ça nous a menés à conclure que ce genre de garanties du gouvernement syrien est sans valeur », ajoute Mme Kayyali. Le nouveau rapport documente l’expérience de 65 Syriens rentrés du Liban et de la Jordanie.

Question préoccupante

La question du retour des réfugiés syriens – de façon volontaire ou forcée – préoccupe les organisations de droits de la personne et la diaspora.

Plus de 10 ans après le début de la guerre, le régime de Bachar al-Assad semble se diriger vers une « normalisation » de ses relations avec des pays dont les liens avaient été rompus par le conflit.

Le Danemark a durci sa politique migratoire et révoqué le permis de séjour de centaines de réfugiés syriens au printemps, jugeant la situation « sûre » à Damas et dans ses environs. Les affrontements demeurent dans certaines régions de la Syrie, mais le gouvernement contrôlerait environ 70 % du territoire.

La Jordanie a ouvert sa frontière avec son voisin syrien pour le commerce le mois dernier et le roi Abdallah a eu un entretien en octobre avec Bachar al-Assad, une première depuis une décennie. Le ministre syrien de l’Économie aurait aussi discuté avec son homologue des Émirats arabes unis lors d’une exposition à Dubaï, à propos de relations d’affaires entre les deux pays, selon Reuters.

Je reconnais qu’il y a des intérêts géopolitiques, mais on ne peut pas accepter que quelqu’un qui a utilisé les armes chimiques soit au pouvoir.

Muzna Dureid, une réfugiée syrienne arrivée à Montréal il y a cinq ans et très active dans la communauté

La femme de 30 ans, qui étudie la politique et est agente de liaison pour les Casques blancs, vient d’une famille de militants – son oncle a été tué deux mois après le début des soulèvements populaires. Pour elle, une normalisation des relations avec le régime de Bachar al-Assad envoie un mauvais message, tant aux réfugiés qu’aux dictateurs, dit-elle.

« La paix, ce n’est pas dans la disparition des bombardements, mais bien dans le changement structurel et les réformes politiques qui amènent la paix et la stabilité », précise celle qui aimerait que justice soit rendue pour les victimes.

À la fin du mois de septembre, le ministre syrien des Affaires étrangères, Faisal Mekdad, a prononcé un discours devant l’Assemblée générale des Nations unies à New York, disant que le pays était maintenant ouvert au retour en toute sécurité des réfugiés syriens.

Amnistie internationale avait pourtant publié un rapport, quelques semaines plus tôt, répertoriant des cas de torture, des détentions arbitraires et des violences sexuelles subies par les réfugiés syriens de retour au pays.

Mourir en Syrie ou au Liban

Malgré les risques, des réfugiés décident encore volontairement de rentrer au pays. Entre 2016 et 2021, plus de 282 000 Syriens seraient retournés « par leurs propres moyens », selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), qui avertit que ces chiffres n’ont pu être corroborés et pourraient en fait être beaucoup plus élevés.

La crise économique frappe durement le Liban, et plus particulièrement sa population vulnérable. Selon l’UNHCR, 9 réfugiés syriens sur 10 vivent dans une « pauvreté extrême » au Liban, où ils sont plus de 850 000.

Plusieurs Syriens que nous avons interviewés qui sont retournés en Syrie du Liban nous ont dit que c’est parce qu’ils ne pouvaient pas payer le loyer, ils ne pouvaient pas avoir des soins de santé pour leurs enfants et leur pensée était : eh bien, c’est mieux de mourir à la maison, en Syrie, que de mourir au Liban.

Sara Kayyali, chercheuse sur la Syrie à Human Rights Watch

Mais la situation sécuritaire en Syrie les a forcés à rebrousser chemin et à regagner le Liban, dit-elle.

La semaine dernière, les États-Unis ont démenti soutenir une « réhabitilation » du régime syrien. La normalisation des relations avec le gouvernement de Bachar al-Assad est vue par certains pays comme un mal nécessaire pour assurer une stabilité et contrer la menace terroriste.

Une vision que ne partage pas Muzna Dureid.

« On doit voir la situation de façon inverse : c’est quoi, la facture, si on ne change pas le régime, s’il y a statu quo ? demande-t-elle. Est-ce que la communauté internationale est prête à accueillir encore des réfugiés ? »

Avec l’Associated Press et Reuters

6,7 millions : Nombre de déplacés à l’intérieur de la Syrie

6,6 millions : Nombre de réfugiés syriens ailleurs dans le monde

Source : UNHCR