(Téhéran) Le nouveau président iranien Ebrahim Raïssi préfère s’investir en politique intérieure pour obtenir des résultats concrets, plutôt que sur le dossier du nucléaire qui risque de s’éterniser, estiment des experts.

L’Iran est asphyxié financièrement par des sanctions ayant suivi le retrait unilatéral en 2018 des États-Unis de l’accord international sur le nucléaire iranien conclu trois ans plus tôt à Vienne. Les négociations sont au point mort.

Le président Raïssi « sillonne les provinces, car il veut donner l’image d’un haut fonctionnaire pragmatique qui recherche des solutions sur le terrain », affirme le spécialiste de l’Iran Bernard Hourcade.

« Sa préoccupation première, c’est d’empêcher tout incendie et il sait que, dans une situation économique tendue, le feu commence par des flammèches locales qui s’étendent si on n’y prend pas garde », explique l’auteur de « Géopolitique de l’Iran ».  

« Il doit donc être très attentif et se rendre sur place pour surveiller la température » du pays, dit-il.

Dans une intervention lundi à la télévision, M. Raïssi a expliqué sa manière de travailler. « Une semaine c’est sept jours. Nous travaillons six jours au niveau national et le septième nous visitons les provinces », a-t-il déclaré.  

« Agir sur le terrain ne peut se faire derrière un bureau » a ajouté M. Raïssi.

Sept voyages en deux mois

Dès son intronisation en août, le nouveau président a pris le contrepied de son prédécesseur Hassan Rohani, largement impliqué dans l’accord sur le nucléaire, confiant ce dossier à son ministre des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian.

« Il sait qu’un accord sur le nucléaire risque de prendre du temps, car il n’y pas d’unanimité parmi les responsables du dossier en Iran. Il préfère faire ses preuves en politique intérieure », assure un diplomate occidental, s’exprimant sous le couvert d’anonymat.

« C’est un technocrate, qui veut donner une image de sérieux et d’efficacité », ajoute-t-il.

Le week-end, M. Raïssi sillonne les provinces du pays pour « se familiariser avec les problèmes de la population locale », a déclaré cet ultraconservateur, qui a accompli la majorité de sa carrière au sein du pouvoir judiciaire.

« Nous souhaitons créer des emplois, relancer la production et résoudre les problèmes, en particulier ceux des plus démunis », a-t-il expliqué la semaine dernière à Bouchehr (dans le sud du pays).

Dans un pays qui a connu le taux de mortalité dû à la COVID-19 le plus élevé de la région, M. Raïssi a également accéléré de manière massive la vaccination. Depuis août, le taux de la population vaccinée est passé de 3,8 % à plus de 20 %.

Au cours des deux derniers mois, le président iranien a effectué sept voyages en province, soit autant que l’ex-président populiste Mahmoud Ahmadinejad (au pouvoir de 2005 à 2013), lui aussi très souvent en déplacement, assure un journaliste iranien sous le couvert d’anonymat.  

Il a commencé par la province occidentale du Khouzestan, en ébullition à cause d’une pénurie d’eau, suivie de celle orientale du Sistan-Baloutchistan, qui souffre d’un déficit d’infrastructures.

Être populaire

Convaincu qu’un accord sur le nucléaire, même partiel, interviendra à terme et qu’une partie des sanctions sera levée, le président Raïssi ne lésine pas sur les promesses, explique à l’AFP un expert économique européen.

Jeudi, il s’est rendu à Chiraz (sud) sur le site d’une célèbre usine d’électroménager fermée depuis 13 ans. « Si je ne me rends pas ici, qui d’autre pourra essayer de la relancer ? », a-t-il demandé.

« Si l’économie ne s’améliore pas rapidement, ces gens peuvent se retourner contre lui », met en garde l’expert de l’Iran Muhamamad Sahimi, de l’université de Californie du Sud.

Après la formation du cabinet en août, le guide suprême de la République islamique, l’ayatollah Ali Khamenei, l’avait encouragé à aller vers la population pour « restaurer la confiance du peuple », le « plus grand capital » dont dispose un gouvernement.

« Être populaire comporte des obligations, comme aller écouter les gens », avait-il asséné fin septembre.

Si les journaux ultraconservateurs sont élogieux à l’égard des initiatives du président Raïssi, ses voyages ne font pas l’unanimité.

« On voit un président qui n’a pas besoin d’un véhicule blindé pour comprendre la situation », salue le quotidien Kayhan.

En revanche, le journal réformateur Etemad se montre plus critique. « Ces voyages ne vont pas résoudre les problèmes des gens […] De plus, la solution n’est pas entre les mains d’une seule personne, pas même celles du président », écrit le journal.