Les affrontements meurtriers survenus à Beyrouth jeudi ont ravivé dans l’esprit de nombreux Libanais le spectre de la guerre civile qui a dévasté le pays de 1975 à 1990.

Rien ne permet pour autant de conclure que les combats, qui ont fait sept morts et plus d’une trentaine de blessés, sont le signe annonciateur d’un nouvel embrasement généralisé, croit John Nagle, professeur de sociologie rattaché à la Queen’s University de Belfast qui étudie de près les mouvements sociaux au sein de la société libanaise.

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Des partisans du Hezbollah portant vendredi le cercueil d’un de leurs membres tué la veille à Beyrouth

Aucun des partis sectaires se partageant le pouvoir ne veut actuellement d’une nouvelle guerre, juge le chercheur, en écho aux multiples appels au calme ayant suivi la flambée de violence.

« Il existe tout de même un risque que les choses dérapent. Une fois que la force est utilisée, la pression est forte de répondre », prévient M. Nagle, qui impute la détérioration de la situation sécuritaire aux tensions soulevées par l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth survenue en août 2020.

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Des sympathisants du groupe chiite Amal ont tiré vendredi des coups de feu en l’air lors des funérailles d’un des leurs, tué la veille lors d’affrontements à Beyrouth.

Le juge chargé de faire toute la lumière sur le drame, qui a fait des centaines de morts et des milliers de blessés, souhaite interroger plusieurs ex-ministres, dont deux élus rattachés au mouvement Amal, allié du Hezbollah.

Les deux organisations chiites sont résolues à ne pas répondre à ces demandes et ont tenté en vain d’obtenir le remplacement du magistrat, par des actions tant juridiques que politiques.

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Des sympathisants d’un groupe chiite allié au Hezbollah ont pris les armes jeudi à Beyrouth.

Le puissant secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, avait lancé une attaque publique contre le juge en début de semaine en l’accusant de vouloir « politiser l’enquête ».

Jeudi, des centaines de sympathisants des deux organisations chiites cheminaient vers le palais de justice de la capitale pour protester contre l’enquête lorsque des tirs sont survenus, déclenchant un affrontement tous azimuts.

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Des gens se tenant vendredi sur un balcon d’un bâtiment criblé de balles, au lendemain de heurts meurtriers à Beyrouth

Les dirigeants du Hezbollah, qui compte trois victimes dans ses rangs, ont ensuite accusé les Forces libanaises, formation chrétienne, d’avoir utilisé des snipers pour tenter de bloquer leur progression, ce que les principaux intéressés ont démenti.

« Acte d’intimidation »

Michael Young, du Carnegie Middle East Center, note dans une analyse diffusée vendredi que les Forces libanaises voyaient la manifestation projetée dans une zone à majorité chrétienne comme un « acte d’intimidation » et ont décidé de profiter de l’occasion pour se poser en défenseurs de la communauté.

Nombre de chrétiens sont convaincus, indique M. Young, que le Hezbollah est responsable de l’explosion survenue en 2020 dans le port « même si rien ne permet de le démontrer à ce jour » et voient son opposition comme une manœuvre d’inspiration sectaire visant à les empêcher de voir clair dans ce qui s’est passé.

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Le port de Beyrouth, au lendemain de l’explosion du 4 août 2020

Asaad Hanna, chercheur rattaché à l’Université Columbia, pense que la présence de militants armés du Hezbollah et du Amal dans la rue, et les affrontements qui ont suivi, visait à envoyer haut et fort le message que ces formations chiites « feront tout ce qu’il faut pour arrêter l’enquête », y compris précipiter le chaos au besoin.

« Personne ne sait exactement ce qu’ils cherchent à cacher, mais ça doit être quelque chose, à en juger par la manière dont ils se comportent », relève M. Hanna, qui s’inquiète de la possibilité de nouvelles flambées de violence sectaire.

L’armée, qui était omniprésente vendredi dans le secteur où les affrontements sont survenus, paraît mal équipée pour rétablir le calme si les choses devaient s’emballer, prévient M. Nagle.

Un pays déjà en crise

La grave crise économique que traverse le pays a fait plonger le cours de la monnaie et a réduit dramatiquement le pouvoir d’achat de la plupart des Libanais, notamment ceux qui travaillent dans les forces de sécurité.

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Une enseignante, effrayée par les bruits d’affrontements armés à proximité, fuit une école sous la protection de soldats, jeudi, à Beyrouth.

Un officier supérieur a prévenu en mars dans une entrevue accordée à Reuters que la pression sur la rémunération des soldats et leur moral était en voie d’entraîner une « implosion » des effectifs.

M. Young, du Carnegie Middle East Center, juge que l’État libanais est actuellement « trop faible » pour empêcher les « actions hostiles ».

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Michel Aoun, président du Liban, lors d’un discours à la nation, jeudi

La hausse du chômage imputable à la crise économique signifie par ailleurs qu’il existe « un important bassin de jeunes hommes susceptibles d’être recrutés par les milices », prévient-il.

Le président du Liban, Michel Aoun, allié chrétien du Hezbollah, a fait écho à ces préoccupations jeudi soir en déclarant dans un discours relayé par le quotidien L’Orient-Le Jour qu’il fallait à tout prix éviter le retour à la guerre civile.

Il est « inacceptable de revenir au langage des armes, car nous avons tous convenu de tourner cette page sombre de notre histoire », a-t-il plaidé.