(Beyrouth) Des combats de rue ont opposé jeudi des hommes armés à Beyrouth après des tirs lors d’une manifestation organisée par les mouvements chiites Hezbollah et Amal, des violences qui ont fait six morts et ravivé le spectre de la guerre civile.

Les affrontements se sont déroulés près du palais de justice, où se sont massés des partisans des deux mouvements pour exiger le remplacement du juge Tareq Bitar, chargé de l’enquête sur l’explosion au port de Beyrouth l’an dernier, qui veut interroger de hauts responsables dont deux ex-ministres d’Amal.

À l’étranger, la France a appelé à « l’apaisement » et les États-Unis à la « désescalade », les deux pays insistant sur « l’indépendance de la justice ». Le porte-parole de l’ONU, Stéphane Dujarric, a appelé à « cesser les actes provocateurs » et plaidé pour une « enquête impartiale » sur l’explosion au port.  

Après plusieurs heures d’échanges de tirs nourris à l’arme légère et aux roquettes RPG qui ont terrorisé les habitants, le calme est revenu en fin d’après-midi dans le secteur de Tayouné, où l’armée s’est déployée.  

PHOTO AGENCE FRANCE-PRESSE

Un combattant chiite des mouvements Hezbollah ou Amal court pour prendre position, un lance-roquettes à l’épaule, durant les affrontements dans la banlieue sud de la capitale Beyrouth, le 14 octobre 2021.

Celle-ci a indiqué dans un communiqué laconique qu’un « échange de tirs a eu lieu dans le secteur de Tayouné au moment où les manifestants étaient en route pour protester devant le palais de justice », tout proche. Le ministre de l’Intérieur Bassam Mawlawi a affirmé que des « francs-tireurs » avaient tiré sur les manifestants.

Rapidement après les premiers coups de feu, un grand nombre d’hommes armés, certains masqués et beaucoup portant des brassards d’Amal et du Hezbollah, ont accouru sur les lieux et ont commencé à tirer, selon des correspondants de l’AFP sur place.

Mais les circonstances exactes de ces violences restent confuses dans la mesure où l’on ignore qui a tiré lors de la manifestation et sur qui ont tiré les combattants du Hezbollah et d’Amal.

PHOTO HUSSEIN MALLA, ASOCIATED PRESS

Le calme est revenu en fin d’après-midi dans le secteur de Tayouné, où l’armée s’est déployée.

Les deux mouvements chiites ont accusé la formation chrétienne des Forces libanaises d’avoir posté des snipers mais celle-ci a catégoriquement démenti.

Funérailles, deuil national

Terrifiés par les tirs, les habitants du quartier de Tayouné se sont terrés dans leurs appartements et d’autres ont été évacués des immeubles.

Sur les réseaux sociaux, des images ont montré des enfants d’une école se cachant sous leurs bureaux ou rassemblés par terre devant les salles de classe.

Ces images ainsi que celles des morts et des blessés, sans oublier les tireurs embusqués, sont venues rappeler les jours noirs de la guerre civile, qui avait éclaté en 1975 non loin de là.

Pour Mariam Daher, une mère de famille de 44 ans, l’idée d’un retour à la guerre civile est « terrifiante ». « Je ne peux plus revivre cette expérience. Je veux partir et protéger mes enfants. »

M. Mawlawi a fait état de six morts. Parmi eux, un homme tué d’une balle à la tête, un autre atteint à la poitrine et une femme de 24 ans touchée par une balle perdue chez elle, selon des sources médicales. Le mouvement Amal a affirmé que trois de ses partisans avaient péri « lors de la manifestation pacifique ».

Selon le ministère de la Santé, 32 personnes ont été blessées.

Les funérailles des six victimes doivent avoir lieu vendredi, décrété journée de deuil national.

Dans un discours, le président Michel Aoun, un allié chrétien du Hezbollah, a jugé « inacceptable de revenir au langage des armes car nous avons tous convenu de tourner cette page sombre de notre histoire ».

L’armée a annoncé avoir arrêté « neuf personnes des deux bords, dont un Syrien », assurant contrôler la situation.

« Tout son poids »

Ces violences surviennent dans un contexte politique extrêmement tendu, le Hezbollah, un poids lourd de la politique libanaise, et ses alliés exigeant le départ du juge Bitar qui, malgré les fortes pressions, veut poursuivre plusieurs responsables dans le cadre de son enquête sur l’explosion au port de Beyrouth du 4 août 2020 (plus de 200 morts).  

Mais les responsables politiques refusent d’être interrogés même si les autorités ont reconnu que les énormes quantités de nitrate d’ammonium qui ont explosé avaient été stockées au port pendant des années sans précaution.

La manifestation s’est produite après que la Cour de cassation a rejeté des plaintes de députés et ex-ministres à l’encontre de M. Bitar, lui permettant de reprendre ses investigations.

« Le fait que le Hezbollah descende dans la rue et jette tout son poids dans cette bataille pourrait mener à […] la déstabilisation du pays tout entier », selon l’analyste Karim Bitar.

Ces violences viennent s’ajouter aux multiples graves crises politique, économique et sociale dans lesquelles est plongé le Liban, où la classe politique inchangée depuis des décennies est accusée de corruption, d’incompétence et d’inertie.