Trois fixers afghans ayant déjà travaillé pour La Presse ont réussi à fuir le pays par avion ces derniers jours. Ils racontent leur voyage angoissant entre les postes de contrôle talibans, le chaos devant l’aéroport de Kaboul et la détresse de leurs compatriotes qui bravent encore les bombes dans l’espoir de trouver une place sur un vol.

L’appel est venu le 16 août dernier, le lendemain de l’entrée des talibans à Kaboul. L’employeur de Qais lui demandait de se présenter avec sa famille à un point de rencontre où des autobus les attendaient. Ils avaient une chance de s’enfuir, mais ils devaient quitter leur maison, leurs amis et la plupart de leurs possessions. « Ils nous donnaient seulement quelques heures », raconte-t-il.

Qais (comme de nombreux Afghans, il utilise seulement un prénom) avait déjà travaillé pour La Presse comme fixer, un collaborateur local qui agit à la fois comme interprète et comme guide, lors d’un reportage du journaliste Marc Thibodeau en Afghanistan. Il travaillait désormais pour un organisme européen qui avait promis d’emmener ses employés en lieu sûr lorsque les intégristes religieux avaient commencé à reprendre le contrôle du pays.

Sa femme, ses quatre enfants et lui ont ramassé leurs affaires. Ils avaient droit à trois sacs à dos pour tout bagage. « La plupart des choses que nous avons apportées, c’était des choses pour mon bébé de 1 an et 10 mois et ma fille de 6 ans », dit-il.

Les autobus se sont mis en route vers l’aéroport de Kaboul, contrôlé par l’armée américaine et plusieurs de ses alliés. Le petit convoi a été stoppé à un barrage de talibans armés.

Ils sont entrés dans l’autobus. J’ai penché la tête et j’ai regardé mes souliers. J’avais très peur qu’ils me demandent de descendre.

Qais, qui a déjà travaillé pour La Presse comme fixer

« J’ai donné mon téléphone à mon fils et je lui ai demandé de le cacher, par précaution… J’avais entendu dire qu’ils pouvaient fouiller les photos, les vidéos et les numéros de téléphone enregistrés et qu’il pouvait y avoir des problèmes », raconte-t-il.

Un homme dans l’autobus venait d’une tribu qui entretient des relations plus cordiales que d’autres avec les combattants. Il a parlementé. Le convoi a pu continuer.

Les travailleurs ont essayé d’atteindre l’entrée nord de l’aéroport, mais la foule qui se pressait devant la porte avec l’énergie du désespoir les a empêchés d’approcher. Ils ont fait le tour et ont atteint l’entrée est, où ils ont pu passer.

Après quelques heures, ils ont pu prendre place dans un avion militaire français. Ils ont fait escale à Abou Dhabi, puis ont débarqué à Paris. Depuis, ils ont été transférés en Espagne, puis au Luxembourg.

« Nous avons été sélectionnés pour le Luxembourg, c’est notre destination finale », se réjouit-il.

Repas abandonné sur la table

Akbar Shinwari, un journaliste afghan qui a déjà travaillé comme fixer pour La Presse lors d’un reportage de Laura-Julie Perreault, avait reçu des menaces de talibans récemment.

La chaîne de télévision britannique ITV, de Londres, l’avait fait venir à l’hôtel Serena, près de l’aéroport de Kaboul, pour organiser son départ du pays. Le voyage était arrangé avec l’ambassadeur du Qatar, qui s’était installé à l’hôtel et négociait avec les talibans des sauf-conduits pour plusieurs voyageurs.

La famille d’Akbar Shinwari s’apprêtait à se mettre à table lorsqu’on lui a demandé de se rendre le plus vite possible à l’hôtel. Elle est partie en catastrophe, abandonnant le repas sur la table.

Alors qu’il se trouvait à l’hôtel dans l’attente du départ avec sa femme et ses cinq enfants, le journaliste a entendu cogner à la porte de sa chambre. En ouvrant, il est tombé face à face avec deux talibans armés.

« Ils m’ont demandé si j’avais travaillé pour l’armée américaine. J’ai dit que j’étais journaliste et que je travaillais seulement avec les médias », dit-il. Les deux hommes l’ont laissé tranquille.

Avec une escorte fournie par l’ambassadeur du Qatar, son groupe s’est rendu à l’aéroport et a pu franchir quatre barrages talibans. Une fois dans la « zone verte » contrôlée par les Américains, il a été envahi par l’émotion.

C’était douloureux de quitter mon pays et de voir tous ces gens instruits, qui sont un atout pour le pays, qui partaient eux aussi.

Akbar Shinwari, journaliste afghan qui a déjà travaillé comme fixer pour La Presse

Son avion a atterri à Doha et sa famille loge depuis quelques jours dans des installations neuves construites pour la Coupe du monde de soccer qui doit avoir lieu l’an prochain.

Il s’inquiète toutefois pour certains de ses proches restés derrière. Avec la cohue devant l’aéroport et l’attentat de jeudi, il ne leur conseillerait pas d’aller tenter leur chance sur place. « Je ne les enverrais pas là », dit-il. Son espoir, c’est qu’un tiers pays comme le Qatar continue d’assurer un trajet sûr à certains voyageurs jusqu’à l’aérodrome.

« Ils disent que c’est comme la fin du monde »

Walid Fazly, qui a déjà travaillé comme fixer pour La Presse lors d’un reportage d’Isabelle Hachey, venait tout juste d’arriver à l’aéroport de Washington, jeudi, lorsque nous avons pu le joindre. Il pourra refaire sa vie aux États-Unis.

M. Fazly avait déjà reçu des menaces de talibans en raison de son travail journalistique. Il était pessimiste quant à l’avenir de son pays. « Avec l’arrivée des talibans, la ville est devenue sombre. Je m’inquiétais pour l’avenir de mes enfants », explique-t-il.

Comme il avait déjà travaillé pour plusieurs chaînes de télé et journaux américains ainsi que pour une université de l’Indiana, il a pu obtenir des visas pour lui, sa femme, ses parents et ses trois enfants.

Lui aussi est parti de l’hôtel Serena dans un convoi qui a été autorisé à franchir les barrages talibans. Il a été troublé en voyant la foule immense aux portes de l’aéroport.

Il y a tellement de gens, je n’aurais jamais pu traverser si je n’avais pas été à bord de cet autobus.

Walid Fazly, qui a déjà travaillé comme fixer pour La Presse

« Il y a des milliers et des milliers de personnes. J’ai parlé à des amis qui sont encore là, aujourd’hui [jeudi]. Il y a eu des explosions, ils disent que c’est comme la fin du monde. Tout le monde est troublé, mais les gens essaient encore d’entrer », dit-il.

Il s’inquiète pour ceux qui sont incapables de se rendre jusqu’à l’entrée. « Il faudrait qu’il y ait un moyen pour aider les gens qui n’ont pas de transport. Si on les abandonne, beaucoup seront tués ou torturés », s’inquiète-t-il.