(Kaboul) L’attentat meurtrier perpétré à l’aéroport de Kaboul par l’État islamique (EI) nourrit les craintes de voir l’Afghanistan devenir sous le nouveau régime taliban un puissant pôle d’attraction pour le réseau djihadiste et d’autres organisations terroristes..

La double attaque suicide, revendiquée par la branche locale de l’EI, l’État islamique au Khorasan (EI-K, désigné parfois par le sigle anglais ISKP), a fait des dizaines de morts, dont 13 soldats américains. Elle a été menée malgré de multiples avertissements de sécurité lancés par les États-Unis et leurs alliés.

Il s’agit de l’attaque la plus meurtrière contre l’armée américaine en Afghanistan depuis 2011.

Il y a vingt ans, les attentats du 11 septembre 2001 avaient déclenché l’intervention en Afghanistan d’une coalition menée par les États-Unis pour mettre fin au premier régime des talibans qui abritait les djihadistes d’Al-Qaïda. Nombre d’observateurs avertissent que le pays risque aujourd’hui de redevenir une terre fertile pour des groupes comme Al-Qaïda, dont certains talibans sont réputés toujours proches, ou l’EI.

Qu’est-ce que l’État islamique au Khorasan ?

Peu après la proclamation par l’EI d’un « califat » en Irak et en Syrie en 2014, d’anciens membres du Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP, les talibans pakistanais) ont proclamé leur allégeance au chef du groupe, Abou Bakr al-Baghdadi. Ils ont ensuite été rejoints par des Afghans déçus par les talibans et ayant fait défection et, début 2015, l’EI a officiellement reconnu la création de sa province (wilaya) du Khorasan.

Le Khorasan est l’ancien nom donné à une région qui englobait des parties de l’Afghanistan, du Pakistan, de l’Iran et de l’Asie centrale actuels. L’EI-K a établi sa tête de pont en 2015 dans le district montagneux d’Achin, dans la province orientale de Nangarhar, la seule où il parviendra à s’implanter durablement avec celle voisine de Kunar.

Partout ailleurs, le groupe s’est heurté aux talibans, même s’il a réussi à former des cellules dormantes autre part en Afghanistan, notamment dans la capitale, et au Pakistan, selon les Nations unies.

Les dernières évaluations de ses effectifs varient d’un minimum de 500 à quelques milliers de combattants, selon un rapport du Conseil de sécurité de l’ONU paru en juillet.

Quel type d’attaques l’EI a-t-il menées ?

L’EI a revendiqué certaines des attaques les plus meurtrières commises ces dernières années en Afghanistan et au Pakistan.  Notamment des attentats suicides dans des mosquées, des hôpitaux et dans d’autres lieux publics.

Le groupe a en particulier ciblé des musulmans  qu’il considère comme hérétiques, en particulier les chiites de la minorité hazara. En août 2019, il a ainsi revendiqué un attentat contre des chiites à un mariage à Kaboul, où 91 personnes ont été tuées.

Il a aussi été fortement soupçonné d’avoir été derrière une attaque en mai 2020 contre une maternité d’un quartier majoritairement chiite de la capitale qui a coûté la vie à 25 personnes, dont 16 mères et des nouveau-nés.

Dans les provinces où il s’est implanté, sa présence a laissé des traces profondes. Ses hommes ont tué par balle, décapité, torturé et terrorisé des villageois et laissé des mines partout.

Quelles sont les relations entre l’EI et les talibans ?

Même s’il s’agit de deux groupes sunnites radicaux, ils ont des divergences en termes de théologie et de stratégie. Ils sont aussi en concurrence pour incarner le djihad. Signe de la forte inimitié qui les oppose, l’EI a qualifié les talibans d’apostats dans des communiqués.  

L’EI-K s’est heurté à la répression à laquelle ont procédé les talibans à l’égard de leurs dissidents et s’est révélé incapable d’étendre son territoire, contrairement à ce qu’avait réussi à faire l’EI en Irak et en Syrie.  

En 2019, l’armée gouvernementale afghane, après des opérations communes avec les États-Unis, avait annoncé que le groupe avait été vaincu dans la province de Nangarhar.

Selon des évaluations des États-Unis et des Nations unies, l’EI-K n’a depuis plus largement opéré qu’au travers de ses cellules dormantes dans les villes, pour des attaques fortement médiatisées.

Dans l’accord conclu en février 2020 avec les États-Unis sur le retrait des forces étrangères, les talibans ont promis de ne pas laisser le pays servir de base pour l’organisation d’attaques contre les Américains et leurs alliés.

Vendredi, un porte-parole du nouveau régime taliban a indiqué à l’AFP que celui-ci avait éradiqué l’EI-K de la totalité des 34 provinces afghanes, sauf celle de Kaboul où subsistent certains éléments protégés selon lui par l’ancien gouvernement renversé le 15 août.

Comment l’EI a-t-il réagi à la prise de pouvoir par les talibans ?

L’EI s’était montré très critique à l’égard de l’accord de retrait des troupes américaines et étrangères d’Afghanistan conclu en février 2020 à Doha entre Washington et les talibans, accusant ceux-ci d’avoir renié la cause djihadiste.

Après leur entrée dans Kaboul et leur prise du pouvoir le 15 août, les talibans ont reçu les félicitations de plusieurs groupes djihadistes, mais pas de l’EI. Celui-ci pourrait profiter de l’effondrement de l’État afghan.

Que s’est-il passé à l’aéroport de Kaboul ?

L’aéroport de Kaboul, avec des milliers de soldats américains et alliés et entouré d’une énorme foule d’Afghans voulant quitter leur pays, représentait une cible très vulnérable.

Dans un flot d’avertissements en termes quasi identiques mercredi soir, Londres, Canberra et Washington ont recommandé de se tenir éloigné de l’aéroport en raison de menaces « terroristes ».

La première explosion a visé l’une des portes principales de l’aéroport, tenue par des soldats américains qui tentaient de contrôler des milliers de personnes tentant désespérément d’accéder à un avion pour être évacuées. Peu après, un deuxième kamikaze a frappé un hôtel proche.