(Kaboul) L’évacuation des milliers de personnes fait toujours face à des « menaces précises et crédibles » au lendemain de l’attentat-suicide meurtrier contre l’aéroport de Kaboul, mais les opérations se poursuivront « jusqu’au dernier moment », a assuré Washington vendredi.  

Au moins 85 personnes, dont 13 soldats américains, ont péri dans l’attaque revendiquée par le groupe djihadiste État islamique (EI), que de nombreux pays dont les États-Unis et leurs alliés ainsi que la Russie et la Chine ont condamnée.

« Nous estimons qu’il y a toujours des menaces crédibles […], des menaces précises et crédibles », a affirmé le porte-parole de l’armée américaine, John Kirby.

La tension est à son comble, à quelques jours de la date-butoir du 31 août prévue pour le retrait des soldats américains d’Afghanistan après 20 ans de guerre, synonyme de fin des évacuations.

Quelque 5400 personnes étaient actuellement réfugiées dans l’enceinte de l’aéroport, attendant de monter dans un avion, a dit le général Hank Taylor. « Nous avons la capacité d’inclure des évacués dans des avions militaires américains qui quittent l’Afghanistan jusqu’au dernier moment », a-t-il tenté de rassurer.

L’attaque, un double attentat-suicide vraisemblablement perpétré par un seul kamikaze, selon le général Taylor, a visé les États-Unis, qui organisent les évacuations, et les Afghans parmi les milliers de ceux qui campent depuis des jours devant l’aéroport, dans l’espoir de fuir les talibans.  

Elle a foudroyé ses victimes, certaines projetées aux alentours jusque dans les eaux sales d’un canal d’égout bordant l’entrée de l’aéroport.  

« Il y a beaucoup de femmes et d’enfants parmi les victimes. La plupart des gens sont choqués, traumatisés », a déclaré vendredi un responsable de l’ancien gouvernement renversé mi-août par les talibans, annonçant à l’AFP le nouveau bilan d’au moins 72 morts et 150 blessés à partir des informations recueillies dans les hôpitaux locaux.

Deux Britanniques et un enfant de Britannique ont péri dans l’attaque « abjecte », a pour sa part annoncé Londres vendredi.

Nombre de sources craignaient que le bilan ne s’alourdisse encore et les hôpitaux locaux étaient assaillis de personnes cherchant leurs proches disparus depuis la veille à l’aéroport.   

La double explosion a en outre provoqué la mort d’au moins 13 soldats américains et en a blessé 18 autres, selon le Pentagone, ce qui en fait l’attaque la plus meurtrière contre l’armée américaine en Afghanistan depuis 2011.

Ton martial

Confronté à la plus grave crise depuis le début de son mandat et manifestement secoué, le président américain Joe Biden a réagi en promettant de « pourchasser » et de « faire payer » les auteurs de l’attaque. « Nous ne pardonnerons pas. L’Amérique ne se laissera pas intimider », a-t-il lancé d’un ton martial.

M. Biden n’en reste pas moins déterminé à mettre fin à deux décennies d’une guerre longue, lointaine et sanglante pour son pays.

Vendredi, la situation est demeurée calme à Kaboul, notamment autour de l’aéroport où les vols affrétés par les Occidentaux ont repris sur le tarmac de l’aéroport, dernière enclave occupée par les forces occidentales en Afghanistan.

L’OTAN et l’Union européenne avaient appelé après l’attentat à poursuivre les évacuations malgré tout.

La France, via le secrétaire d’État aux Affaires européennes Clément Beaune, a fait savoir qu’elle pourrait les continuer « au-delà » de vendredi soir, tout en se voulant prudente au vu du contexte sécuritaire incertain. Une délégation française a rencontré vendredi des responsables talibans à Doha pour la première fois depuis qu’ils ont pris le pouvoir il y a bientôt deux semaines.  

La Suisse, l’Italie, l’Espagne et la Suède ont annoncé vendredi avoir terminé leurs vols d’évacuation, comme l’Allemagne, les Pays-Bas, le Canada ou l’Australie avant elles. Côté britannique, les exfiltrations s’achèveront « dans quelques heures », a précisé Londres vendredi matin.

PHOTO WAKIL KOHSAR, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des ambulanciers amènent un homme blessé à l’hôpital après deux puissantes explosions, qui ont fait au moins plusieurs morts et des dizaines de blessés près de l’aéroport de Kaboul le 26 août 2021.

Le gigantesque pont aérien a jusqu’ici permis l’évacuation de plus de 100 000 étrangers et Afghans.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan a de son côté annoncé vendredi que son pays avait eu de premières discussions avec les talibans à Kaboul et qu’il étudiait une proposition qu’ils ont faite pour gérer l’aéroport de la capitale après le retrait américain.

« Corps projetés »

Les talibans se sont efforcés depuis leur retour d’afficher une image d’ouverture et de modération. Mais beaucoup d’Afghans, souvent urbains et éduqués, redoutent qu’ils n’instaurent le même type de régime fondamentaliste et brutal que lorsqu’ils étaient au pouvoir entre 1996 et 2001.  

PHOTO WALI SABAWOON, ASSOCIATED PRESS

Un panache de fumée s’élève au-dessus d’une des portes d’entrée de l’aéroport de Kaboul, en Afghanistan, le jeudi 26 août 2021. L’explosion s’est produite à l’extérieur de l’aéroport de Kaboul, où des milliers de personnes se massent dans l’espoir de fuir le nouveau régime taliban.

Ceux qui travaillé ces dernières années avec les étrangers ou le gouvernement pro-occidental déchu, notamment, craignent d’être réduits au silence, voire traqués, et ont nourri le flot des nombreux candidats au départ.

Les talibans, qui ont permis aux États-Unis de finir de gérer les évacuations, travaillent à la formation du gouvernement qu’ils comptent mettre en place après le départ des Américains.

SAISIE D’ÉCRAN D’UNE VIDÉO DIFFUSÉE SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX, VIA ASSOCIATED PRESS.

Des hommes s’occupent d’un homme blessé après une explosion meurtrière à l’entrée de l’aéroport de Kaboul, en Afghanistan, le jeudi 26 août 2021. Deux kamikazes et des hommes armés ont pris pour cible des foules massées près de l’aéroport de Kaboul, à l’aube d’un pont aérien massif qui a attiré des milliers de personnes cherchant à fuir la prise de contrôle de l’Afghanistan par les talibans.

Mais leurs rivaux djihadistes de l’EI, responsables eux aussi de sanglantes attaques en Afghanistan ces dernières années, semblaient vouloir capitaliser sur l’atmosphère de fébrilité et de chaos à Kaboul, en particulier autour de l’aéroport.

Un témoin afghan de l’attentat, prénommé Milad, a décrit « une énorme explosion au milieu de la foule qui attendait devant une des portes de l’aéroport », où entrent des gens qui se font évacuer par les Occidentaux, puis « des corps et des fragments humains projetés » tout autour.

Le nouveau régime taliban, via son porte-parole Zabihullah Mujahid, a « fermement condamné » l’attentat, tout en soulignant qu’il était survenu dans une zone placée sous la responsabilité de l’armée américaine.

Après l’attentat, le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a convoqué les membres permanents du Conseil de Sécurité pour une réunion lundi sur la situation en Afghanistan.

PHOTO WAKIL KOHSAR, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des femmes blessées arrivent dans un hôpital pour se faire soigner après deux explosions, qui ont fait au moins six morts et une soixantaine de blessés, non loin de l’aéroport de Kaboul le 26 août 2021.

PHOTO SAISIE D’ÉCRAN D’UN REPORTAGE D’ASVAKA NEWS, VIA REUTERS

Des blessés à leur arrivée dans un hôpital de Kaboul. Une ONG italienne fait état de six morts et d’une soixantaine de blessés.

PHOTO REUTERS

Une foule d’Afghans voulant être évacués montrent leurs documents aux soldats américains contrôlant l’accès à l’aéroport de Kaboul.

Alors que les talibans, privés des nombreuses élites expérimentées désormais en exil, risquent de peiner à remettre sur les rails un pays à l’économie en lambeaux, la Suède a fait savoir vendredi qu’elle interrompait son aide financière à l’Afghanistan.