(Kaboul) Des manifestants ont défié les talibans dans la rue en brandissant le drapeau national jeudi, jour du 102e anniversaire de l’indépendance de l’Afghanistan, tandis que le fils du défunt commandant Massoud appelait à la résistance contre les islamistes.

Des milliers de personnes continuent à converger vers l’aéroport de Kaboul depuis que les talibans, après 20 années de guerre contre les États-Unis et l’OTAN, ont pris la capitale, dimanche, après l’effondrement des forces gouvernementales en à peine 10 jours.

PHOTO HOSHANG HASHIMI, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des gens brandissent des drapeaux afghans à Kaboul, un geste de défiance aux talibans.

À Asadabad (est) et dans plusieurs endroits de Kaboul, des Afghans ont brandi jeudi le drapeau national noir, rouge et vert, bravant les islamistes qui ont imposé leur drapeau blanc et noir sur les bâtiments publics.  

À Kaboul, une petite manifestation a croisé une camionnette de combattants talibans, qui l’ont scrutée avant de finalement passer leur chemin, a constaté l’AFP. Un manifestant a demandé « à la communauté internationale » d’empêcher « la destruction de 20 années de progrès ».

Un rassemblement similaire mercredi à Jalalabad (est) avait été dispersé à coups de feu.

Les talibans, eux, ont évoqué dans un communiqué la « grande fierté pour les Afghans que leur pays soit aujourd’hui sur le point de retrouver son indépendance après l’occupation américaine ».

Chasse aux opposants ?

Le nouveau régime a ordonné jeudi sur Twitter la libération de « tous les détenus politiques […] sans aucune restriction ni condition ».

Les consultations politiques se sont poursuivies pour établir rapidement un gouvernement, pour lequel « toutes les parties » seront contactées, a assuré un porte-parole, Zabihullah Mujahid.

Des dirigeants talibans ont notamment discuté avec l’ancien président Hamid Karzai (2001-2014) et l’ancien vice-président Abdullah Abdullah. Le cofondateur et numéro deux du mouvement islamiste, le mollah Abdul Ghani Baradar, était rentré d’exil mardi.

Moscou a dit espérer que ces négociations débouchent sur un « gouvernement représentatif ».

Se présentant comme plus modérés qu’auparavant, les talibans ont dit pardonner « tous les anciens responsables gouvernementaux ».

Mais selon un rapport confidentiel de l’ONU, les islamistes recherchent activement des personnes ayant travaillé avec les forces étrangères, les plus menacés étant les gradés de l’armée, de la police et du renseignement afghans.

« Nous nous attendons à ce que les individus ayant travaillé pour les forces américaines et de l’OTAN et leurs alliés, ainsi que les membres de leurs familles, soient menacés de torture et d’exécutions », a déclaré Christian Nellemann, directeur du Centre norvégien d’analyses globales, une organisation fournissant des rapports de renseignement aux agences onusiennes.

Le rapport indique que les insurgés, munis de « listes prioritaires », filtrent les personnes allant à l’aéroport de Kaboul, et ont mis en place des points de contrôle dans les plus grandes villes du pays.

Ahmad Massoud, fils du plus célèbre adversaire des talibans et des Soviétiques, le commandant Ahmed Shah Massoud, assassiné le 9 septembre 2001 par Al-Qaïda, a appelé avec l’ancien vice-président Amrullah Saleh à la résistance, se disant « prêt à marcher sur les traces de (son) père ».

PHOTO MOHAMMAD ISMAIL, ARCHIVES REUTERS

Ahmad Massoud

Depuis sa vallée du Panchir (nord-est de Kaboul), dernière région non contrôlée par les talibans, il assure avoir été rejoint par des soldats « dégoûtés par la reddition de leurs commandants ». Il a demandé armes et munitions aux États-Unis, dans une tribune publiée dans le quotidien Washington Post, suppliant : « Vous êtes notre dernier espoir ».

Civils afghans bloqués

Coincés entre les postes de contrôle talibans et les barbelés posés par l’armée américaine à l’aéroport, seule porte de sortie du pays, des milliers de civils afghans espéraient toujours trouver un vol pour fuir.

Un jeune footballeur de l’équipe nationale junior, Zaki Anwari, est mort lundi en tentant de s’accrocher à un avion américain au décollage, selon la Direction générale de l’éducation physique et des sports d’Afghanistan.

« Je suis allé à l’aéroport avec mes enfants et ma famille […] Les talibans et les Américains tiraient », a raconté un homme ayant travaillé pour une ONG étrangère. « Malgré ça, les gens avançaient car ils savaient qu’un sort pire que la mort les attendait hors de l’aéroport ».

Des publications non confirmées sur les réseaux sociaux affirment que plusieurs personnes ont été tuées alors que les forces américaines et talibanes peinaient à contenir la foule désespérée.

Les Afghans sont nombreux aussi à prier d’être évacués près des ambassades, mais ne peuvent y entrer.

« J’ai parlé avec mon ami qui est sur place. Il a une lettre des Espagnols assurant qu’il peut partir avec eux, mais quand il essaie de gagner la porte (de l’ambassade), on le menace de lui tirer dessus », a confié un homme sous couvert d’anonymat.

Le G7 et plusieurs agences de l’ONU ont appelé les talibans à laisser passer en toute sécurité les Afghans et les étrangers voulant partir.

Alors que le département d’État américain a relayé le même message, le Pentagone a au contraire laissé entendre que la situation s’améliorait. « Nous avons des indications ce matin (jeudi) que le processus fonctionne », a estimé un porte-parole, John Kirby.

Les États-Unis ont déployé 6000 militaires pour sécuriser l’aéroport de Kaboul et faire partir quelque 30 000 Américains et Afghans. Ils ont évacué plus de 7000 personnes depuis samedi, selon le Pentagone.

De nombreux autres pays, dont beaucoup d’Européens (Espagne, France, Royaume-Uni…), procèdent aussi à des évacuations.

Mardi, Zabihullah Mujahid avait promis de « nombreuses différences » dans la manière de gouverner des talibans par rapport à leur précédent règne, entre 1996 et 2001, jusqu’à ce qu’ils soient renversés par une coalition menée par les États-Unis suite aux attentats du 11 septembre 2001.  

Ils avaient à l’époque imposé une version ultra-rigoriste de la loi islamique. Les femmes ne pouvaient ni travailler ni étudier, et voleurs et meurtriers encouraient de terribles châtiments.

PHOTO RAHMAT GUL, AP

Des talibans brandissent leur drapeau à Kaboul

Méfiance et angoisse

Pour nombre d’Afghans comme pour la communauté internationale, la méfiance reste de mise.

Les affiches et photos de femmes qui ornaient les vitrines des magasins de Kaboul sont déjà masquées — quand elles n’ont pas déjà été vandalisées.  

Des journalistes — quatre d’entre eux ont été perquisitionnés — et d’anciens employés d’organisations et d’ambassades occidentales se disent terrifiés.

« Si le monde m’entend, s’il vous plaît aidez-nous car nos vies sont en danger », a déclaré jeudi dans une vidéo en ligne la journaliste Shabnam Dawran. « Les employés masculins » ont pu entrer dans les locaux de sa chaîne d’information, « mais on m’a dit que je ne pouvais pas continuer à exercer mes fonctions, car le système a changé ».

À l’international, les nouveaux maîtres de l’Afghanistan semblent cependant recevoir un accueil moins hostile qu’il y a deux décennies.

Ils ont indiqué vouloir établir « de bonnes relations diplomatiques » avec tous les pays, mais qu’ils refuseraient toute ingérence dans leurs principes religieux.

La Chine, la Russie, la Turquie et l’Iran avaient précédemment émis des signaux d’ouverture. Les pays occidentaux, l’Allemagne, les États-Unis, la France et le Royaume-Uni notamment, attendent de juger « sur les actes ».