(Kaboul) Les talibans ont annoncé dimanche être entrés dans de nombreux quartiers de Kaboul, tandis que trois de leurs hauts responsables ont affirmé à l’AFP que les insurgés s’étaient également emparés du palais présidentiel, après la fuite hors d’Afghanistan du chef de l’État.

Des dizaines de combattants talibans ont pris le palais présidentiel à Kaboul, clamant leur victoire sur le gouvernement afghan, selon des images télévisées.

« Notre pays a été libéré et les moudjahidine sont victorieux en Afghanistan », a déclaré du palais un insurgé à la chaîne de télévision Al Jazeera. Les combattants se sont emparés du bâtiment après la fuite à l’étranger du président Ashraf Ghani, qui a reconnu que les talibans avaient « gagné ».

Un haut responsable a indiqué à l’AFP qu’une réunion sur la sécurité dans la capitale afghane s’y déroulait actuellement.

Le mouvement islamiste radical s’apprête à revenir au pouvoir, 20 ans après en avoir été chassé par une coalition menée par les États-Unis en raison de son refus de livrer le chef d’Al-Qaïda, Oussama ben Laden, dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001.  

« L’Émirat islamique ordonne à toutes ses forces d’attendre aux portes de Kaboul », a d’abord annoncé sur Twitter Zabihullah Mujahid, un porte-parole des talibans.

Puis il a précisé qu’elles étaient autorisées à pénétrer dans les zones de la capitale abandonnées par l’armée afghane, pour y maintenir l’ordre. Les talibans ont aussi promis qu’ils ne chercheraient à se venger de personne, y compris des militaires ou fonctionnaires ayant servi pour l’actuel gouvernement.

Appelant les Afghans à « ne pas s’inquiéter », le ministre de l’Intérieur, Abdul Sattar Mirzakwal a assuré qu’un « transfert pacifique du pouvoir » vers un gouvernement de transition allait avoir lieu.

PHOTO STRINGER, REUTERS

Un soldat afghan à Kaboul

Un porte-parole des insurgés, Suhail Shaheen, a confirmé à la BBC qu’ils escomptaient un transfert pacifique du pouvoir « dans les prochains jours ». « Nous voulons un gouvernement inclusif […] ce qui veut dire que tous les Afghans en feront partie », a-t-il assuré.

En à peine 10 jours, les talibans, qui avaient lancé leur offensive en mai à la faveur du début du retrait final des troupes américaines et étrangères, ont pris le contrôle de quasiment tout le pays.

La déroute est totale pour les forces de sécurité afghanes, pourtant financées pendant 20 ans à coups de centaines de milliards de dollars par les États-Unis, et pour le gouvernement du président Ghani, dont la démission paraît inéluctable.

PHOTO AGENCE FRANCE-PRESSE

Des talibans à bord d’une camionnette dans les rues de Jalalabad

Le chef de l’État a demandé aux forces de sécurité de garantir la « sécurité de tous les citoyens ». « C’est notre responsabilité et nous le ferons de la meilleure manière possible. Quiconque pense à créer le chaos ou à piller sera traité avec force », a-t-il déclaré dans un message vidéo.

Les talibans avaient peu auparavant pris le contrôle de deux prisons proches de la capitale, libérant des milliers de prisonniers, et les autorités craignaient que des criminels n’en viennent à troubler l’ordre public.

Panique à Kaboul

Face à l’effondrement de l’armée afghane, le président américain, Joe Biden, a porté à 5000 soldats le déploiement militaire à l’aéroport de Kaboul pour évacuer les diplomates américains et des civils afghans ayant coopéré avec les États-Unis qui craignent pour leur vie.

Le Pentagone évalue à quelque 30 000 le nombre de personnes à évacuer au total. Comme la veille, les hélicoptères américains ont continué dimanche leurs rotations incessantes entre l’ambassade des États-Unis, un gigantesque complexe situé dans la « zone verte » ultra-fortifiée, au centre de la capitale, et l’aéroport, désormais la seule voie de sortie du pays.

PHOTO RAHMAT GUL, ASSOCIATED PRESS

Un hélicoptère U.S. Chinook survolant Kaboul

L’ambassade des États-Unis a ordonné à son personnel de détruire les documents sensibles et symboles américains qui pourraient être utilisés par les talibans « à des fins de propagande ».

Londres a parallèlement annoncé le redéploiement de 600 militaires pour aider les ressortissants britanniques à partir. Plusieurs pays occidentaux vont réduire au strict minimum leur présence, voire fermer provisoirement leur ambassade.  

PHOTO LEADING HAND BEN SHREAD, AGENCE FRANCE-PRESSE

Londres a parallèlement annoncé le redéploiement de 600 militaires pour aider les ressortissants britanniques à partir.

Mais la Russie a indiqué dimanche ne pas prévoir d’évacuer son ambassade et œuvrer à la tenue d’une réunion urgente du Conseil de sécurité de l’ONU.

Le président américain a menacé les talibans d’une réponse « rapide et forte » en cas d’attaque qui mettrait en danger des ressortissants américains lors de l’opération d’évacuation.  

Mais il a aussi défendu sa décision de mettre fin à 20 ans de guerre, la plus longue qu’ait connue l’Amérique, malgré les critiques de l’opposition républicaine.

« Une année ou cinq années de plus de présence militaire américaine n’auraient fait aucune différence, quand l’armée afghane ne peut ou ne veut pas défendre son propre pays », a-t-il déclaré.

Au fil de la journée, la panique s’est emparée de la capitale. Les magasins ont fermé, des embouteillages monstres sont apparus, des policiers ont été vus troquant leur uniforme pour des vêtements civils.  

Une énorme cohue était visible auprès de la plupart des banques, les gens cherchant à retirer leur argent tant qu’il était encore temps. Les rues étaient aussi remplies de véhicules chargés à ras bord tentant de quitter la ville, ou de se réfugier dans un quartier que les gens estiment plus sûr.

PHOTO STRINGER, REUTERS

Des passagers se dirigent vers le terminus des départs de l’aéroport Hamid Karzai de Kaboul, le 15 août.

Les « valeurs islamiques »

Dans le quartier de Taimani, au centre de la capitale, la peur, l’incertitude et l’incompréhension pouvaient se lire sur le visage des gens.

« Nous apprécions le retour des talibans en Afghanistan, mais nous espérons que leur arrivée mènera à la paix et non à un bain de sang. Je me rappelle, quand j’étais enfant, très jeune, les atrocités commises par les talibans », a déclaré Tariq Nezami, un commerçant de 30 ans.

Des signes étaient perceptibles que les gens étaient déjà résignés à changer de vie. Le panneau publicitaire d’un salon de beauté montrant une mariée glamour était ainsi badigeonné par un ouvrier dimanche dans un quartier de Kaboul.

Beaucoup d’Afghans, surtout dans la capitale, et les femmes en particulier, habitués à la liberté qu’ils ont connue ces 20 dernières années, craignent un retour au pouvoir des talibans.

Lorsqu’ils dirigeaient le pays, entre 1996 et 2001, ces derniers avaient imposé leur version ultra-rigoriste de la loi islamique.

Les femmes avaient interdiction de sortir sans un chaperon masculin et de travailler, et les filles d’aller à l’école. Les femmes accusées de crimes comme l’adultère étaient fouettées et lapidées.  

Les voleurs avaient les mains coupées, les meurtriers étaient exécutés en public et les homosexuels tués.

Les talibans, qui veillent à afficher aujourd’hui une image plus modérée, ont maintes fois promis que s’ils revenaient au pouvoir, ils respecteraient les droits de la personne, en particulier ceux des femmes, en accord avec les « valeurs islamiques ».  

Mais dans les zones nouvellement conquises, ils ont déjà été accusés de nombreuses atrocités : meurtres de civils, décapitations, enlèvements d’adolescentes pour les marier de force, notamment.