Vingt ans après avoir été chassés du pouvoir, les talibans reprennent le contrôle du pays. À une vitesse fulgurante. Ils sont maintenant aux portes de Kaboul. Comment en sommes-nous arrivés là ?

« La bataille est bel et bien perdue »

Les talibans ont poursuivi leur fulgurante progression en Afghanistan, vendredi, et se trouvent maintenant aux portes de Kaboul. Devant les défaites à répétition de l’armée afghane qu’ils ont entraînée, de nombreux pays, dont le Canada et les États-Unis, s’apprêtent à évacuer leurs ressortissants en catastrophe.

« La bataille est bel et bien perdue », explique Marc Imbeault, professeur au Collège militaire royal de Saint-Jean, qui s’exprime en son nom. « Les talibans sont en train de conquérir presque la totalité du pays et il faut se dépêcher à rapatrier nos ressortissants avant qu’il ne soit trop tard. »

  • Un taliban monte la garde devant des soldats afghans faits prisonniers, vendredi, à Ghazni, au sud-ouest de Kaboul, la capitale.

    PHOTO GULABUDDIN AMIRI, ASSOCIATED PRESS

    Un taliban monte la garde devant des soldats afghans faits prisonniers, vendredi, à Ghazni, au sud-ouest de Kaboul, la capitale.

  • Des biens d’une famille qui a fui l’Afghanistan sont déchargés d’un camion et vendus sur place, vendredi, à Kaboul.

    PHOTO JIM HUYLEBROEK, NEW YORK TIMES

    Des biens d’une famille qui a fui l’Afghanistan sont déchargés d’un camion et vendus sur place, vendredi, à Kaboul.

  • Un policier afghan patrouille près de personnes qui se sont réfugiées à Kaboul.

    PHOTO WAKIL KOHSAR, AGENCE FRANCE-PRESSE

    Un policier afghan patrouille près de personnes qui se sont réfugiées à Kaboul.

  • Des femmes afghanes qui ont fui le nord du pays se sont rassemblées dans un parc de Kaboul pour recevoir de l’aide alimentaire.

    PHOTO WAKIL KOHSAR, AGENCE FRANCE-PRESSE

    Des femmes afghanes qui ont fui le nord du pays se sont rassemblées dans un parc de Kaboul pour recevoir de l’aide alimentaire.

  • Des familles qui ont quitté le nord de l'Afghanistan pour fuir les combats ont établi leur campement à Kaboul.

    PHOTO RAHMAT GUL, ASSOCIATED PRESS

    Des familles qui ont quitté le nord de l'Afghanistan pour fuir les combats ont établi leur campement à Kaboul.

  • Talibans montant vendredi la garde à Ghazni, ville tombée aux mains des insurgés

    PHOTO GULABUDDIN AMIRI, ASSOCIATED PRESS

    Talibans montant vendredi la garde à Ghazni, ville tombée aux mains des insurgés

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Vendredi, un premier contingent de militaires américains est arrivé à l’aéroport de Kaboul avec la mission de sécuriser les évacuations de ressortissants.

En une semaine, tout a basculé en Afghanistan. Le gouvernement afghan a perdu le contrôle de près de la moitié des capitales provinciales du pays, dont Kandahar, la deuxième ville du pays. Avec la prise vendredi de Pul-e ’Alam, située à 50 kilomètres au sud de Kaboul, le pire est à craindre pour la capitale. Les talibans se sont aussi emparés vendredi de Lashkar Gah, au sud, et de Tchaghtcharan, dans le centre du pays.

Dans la majorité des cas, ces villes ont capitulé en n’offrant presque aucune résistance. Bâtie à coup de milliards sur près de 20 ans, comment l’armée afghane a-t-elle pu s’effondrer aussi rapidement ?

La victoire des insurgés s’explique en partie par leur patience, répond Marc Imbeault.

Pendant que les Occidentaux étaient installés avec leur armée, les talibans ont pratiqué une certaine guérilla, mais ils n’ont pas tenté de renverser ou de vaincre les troupes occidentales.

Marc Imbeault, professeur au Collège militaire royal de Saint-Jean

Actuellement, seules les villes majeures de Mazâr-e Charîf, dans le nord, et Jalalabad, dans l’est, restent contrôlées par le gouvernement.

Avec le retrait des troupes américaines et alliées, qui doit se terminer d’ici le 11 septembre, les talibans sont résolus à reconquérir les villes les unes après les autres. « Ils ont le vent dans les voiles », ajoute le professeur.

Un coup dur

La rapidité du retrait des troupes américaines a été un coup dur pour l’armée afghane, constate de son côté Weeda Mehran, professeure au département de science politique de l’Université d’Exeter, au Royaume-Uni. « Les Américains et les alliés ont envoyé le message que quoi qu’il arrive, ils plieraient bagage et partiraient », fait-elle valoir.

Reconquérir un territoire contrôlé est mille fois plus ardu que le défendre, estime cette dernière. Surtout dans les zones urbaines, où les combats tuent de nombreux civils. Cette montée des talibans s’est faite avec l’aide des autres groupes terroristes de la région, originaires du Pakistan et de l’Ouzbékistan, ajoute Mme Mehran.

Du côté des forces afghanes, en plus des défaites qui se succèdent, les salaires peu élevés sont source de démotivation.

Le plus probable est que les soldats vont de plus en plus se démobiliser.

Marc Imbeault, professeur au Collège militaire royal de Saint-Jean

Les raisons de l’échec des forces afghanes sont profondes, selon M. Imbeault. « L’armée n’est pas non plus vraiment convaincue du bien-fondé de sa cause », soutient-il. « On ne peut pas imposer de l’extérieur à un pays un changement culturel, politique, social profond sans que ça vienne de lui-même. »

Évacuations précipitées

D’ici la fin du week-end, 3000 soldats américains seront déployés en Afghanistan pour organiser l’évacuation des ressortissants du pays. Le Pentagone a précisé vendredi être en mesure d’évacuer par voie aérienne « des milliers de personnes par jour », tout en déclarant que Kaboul ne faisait pas face à une « menace imminente ».

L’ordre de détruire des documents délicats a été donné vendredi par l’ambassade des États-Unis à Kaboul à son personnel, selon une note de service obtenue par l’AFP. « Merci d’inclure les articles portant le logo de l’ambassade ou du Département, les drapeaux américains et les autres articles qui pourraient être utilisés à des fins de propagande », y précise-t-on.

Londres a aussi annoncé jeudi le déploiement de 600 militaires pour aider ses ressortissants à fuir. Le premier ministre britannique Boris Johnson a indiqué, après une réunion de crise, que son pays comptait faire pression « par la voie diplomatique et politique », mais excluait en l’état l’hypothèse d’une « solution militaire ».

Le Canada compte également déployer ses forces spéciales sous peu afin d’aider le personnel de son ambassade à fuir les lieux avant sa fermeture.

Le retour en force des talibans laisse la population afghane avec mille questions en suspens, se désole Weeda Mehran. « L’Afghanistan a été abandonné, lance- t-elle. C’est une si grande déception. Les Occidentaux savaient que les talibans n’avaient pas changé, mais en décidant de partir, ils ont lancé le message aux Afghans qu’ils ne voulaient plus s’en mêler. »

Avec l’Agence France-Presse

Ottawa veut faire venir 20 000 réfugiés afghans

Le gouvernement fédéral a annoncé vendredi de nouveaux efforts pour faire venir 20 000 réfugiés afghans au pays, au moment où les talibans s’apprêtent à reprendre le pouvoir après 20 ans de guerre. Les groupes prioritaires comprennent des femmes, des défenseurs des droits de la personne, des journalistes, ainsi que les familles d’interprètes déjà réinstallés au Canada. C’est ce qu’a annoncé le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Marco Mendicino, en conférence de presse, accompagné du ministre de la Défense nationale, Harjit Sajjan, du ministre des Affaires étrangères, Marc Garneau, et de la ministre des Femmes et de l’Égalité des genres, Maryam Monsef.

La Presse Canadienne

Retour à la case départ

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Des talibans célèbrent vendredi la prise de Kandahar, deuxième ville du pays

Après 20 ans de présence militaire, les États-Unis et l’OTAN ont entamé leur retrait définitif d'Afghanistan, laissant le champ libre aux talibans. Pour de nombreux observateurs, la reprise de contrôle du territoire par le groupe islamiste était prévisible, mais la rapidité de son avancée étonne. La fulgurance des victoires talibanes sur l’armée afghane illustre l’« échec lamentable » des Occidentaux dans le pays.

Au cours des derniers jours, les talibans ont promptement pris le contrôle de plusieurs zones stratégiques décisives en Afghanistan, dont Kandahar, deuxième ville du pays. Seul Kaboul et une poignée de provinces sont épargnés pour le moment, mais le gouvernement afghan pourrait s’effondrer d’ici 30 à 90 jours, selon les prévisions de responsables militaires américains, rapportées par le New York Times.

Un tel dénouement, certes impressionnant, n’était pas tout à fait imprévisible, estime Andrew Watkins, analyste principal de l’Afghanistan pour l’International Crisis Group, une organisation non gouvernementale qui travaille à la prévention des conflits. Il rappelle que l’une des récentes capitales provinciales tombées aux mains des talibans, Farah, commençait déjà à être encerclée... il y a cinq ans.

Ce qui est clair, c’est que ces 20 années n’ont pas été fructueuses pour aider à établir un gouvernement et une armée durables.

Andrew Watkins, analyste à l’International Crisis Group

En février 2020, un accord de paix a été signé à Doha entre les États-Unis, l’OTAN et les talibans afghans. Les Occidentaux s’engageaient à retirer leurs troupes au printemps 2021, en échange de la promesse des talibans de lutter contre l’influence d’Al-Qaïda ou d’autres groupes terroristes.

  • Des talibans au volant d'un véhicule de l'armée afghane à Kandahar, leur fief reconquis

    PHOTO AGENCE FRANCE-PRESSE

    Des talibans au volant d'un véhicule de l'armée afghane à Kandahar, leur fief reconquis

  • Talibans dans les rues d'Herat, troisième ville du pays, à la suite du retrait des forces gouvernementales, jeudi, après des semaines de siège

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    Talibans dans les rues d'Herat, troisième ville du pays, à la suite du retrait des forces gouvernementales, jeudi, après des semaines de siège

  • Talibans dans les rues d'Herat, troisième ville du pays, à la suite du retrait des forces gouvernementales, jeudi, après des semaines de siège

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    Talibans dans les rues d'Herat, troisième ville du pays, à la suite du retrait des forces gouvernementales, jeudi, après des semaines de siège

  • Talibans dans les rues d'Herat, troisième ville du pays, à la suite du retrait des forces gouvernementales, jeudi, après des semaines de siège

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    Talibans dans les rues d'Herat, troisième ville du pays, à la suite du retrait des forces gouvernementales, jeudi, après des semaines de siège

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Après que les États-Unis ont annoncé le retrait final de leurs troupes au plus tard le 11 septembre 2021, les insurgés ont lancé des offensives contre les forces afghanes ; ils sont accusés d’avoir commis de nombreuses exactions pendant leur avancée.

Des conflits multiples et complexes

Les conflits armés ne datent pas d’hier sur le sol afghan. La guerre civile règne depuis le renversement de la monarchie parlementaire, en 1973. Six ans plus tard, les Soviétiques ont envahi le pays dans un climat de forte instabilité politique, sur fond de guerre froide.

Après l’effondrement du régime communiste, les talibans se sont imposés comme force politique dominante de 1996 à 2001. Issus principalement de l’ethnie pashtoune, ils forment un mouvement fondamentaliste islamique très restrictif, anti-occidental et anticorruption.

Le mouvement s’est essoufflé lorsque les États-Unis ont envahi l’Afghanistan, quelque temps après les attentats du 11 septembre 2001, pour anéantir la base d’Al-Qaïda où se cachait Oussama ben Laden.

Si l’idée était de détruire le terrorisme international, oui, [les États-Unis] ont infligé des dommages considérables. Mais concernant la construction de la démocratie – ce qui n’a jamais été l’objectif de base –, alors c’est un échec total. La force politique dominante en 2001 est toujours dominante en 2021.

Frédéric Mérand, directeur du Centre d’études et de recherches internationales (CERIUM)

Tentative de reconstruction de l’État, négociation avec les talibans, inclusion des partenaires régionaux… Toutes les stratégies ont été déployées, selon Frédéric Mérand, qui a constaté des efforts pour reconstruire le pays lorsqu’il s’y est rendu en 2011. Or, rien n’a réellement fonctionné.

« La présence et les dépenses occidentales ont été bénéfiques dans un certain nombre de domaines comme l’émancipation des femmes, mais la structure socioéconomique globale reste inchangée », affirme pour sa part Zubair Iqbal, chercheur au Middle East Institute.

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Soldats afghans sur la route d'Herat, troisième ville du pays tombée jeudi aux mains des talibans

Shanthie Mariet D’Souza, professeure à l’École Kautilya de politique publique, en Inde, estime que la réémergence des talibans est prévisible depuis 2005, lorsque l’administration Bush a déplacé son attention et ses ressources vers la guerre en Irak. Selon elle, la communauté internationale aurait dû renforcer la crédibilité du gouvernement afghan et agir contre le Pakistan voisin, qui soutient et finance les talibans.

« La communauté internationale aurait dû se concentrer sur la création d'institutions clés et le renforcement des secteurs sécuritaire, politique et économique […] plutôt que de faire les choses de manière indépendante avec peu ou pas d'implication du gouvernement afghan », analyse Mme D’Souza.

La responsabilité de l’Occident

La question qui se pose désormais est celle de la responsabilité morale de l’Occident, qui laisse une population et un gouvernement seuls face aux talibans. Depuis le 6 juillet, les troupes de l’OTAN et des États-Unis ont quitté la base aérienne de Bagram, un important complexe militaire qui grouillait de soldats internationaux depuis deux décennies.

  • À Kaboul, distribution de nourriture, vendredi, à des gens qui ont dû fuir les combats dans le nord du pays

    PHOTO WAKIL KOHSAR, AGENCE FRANCE-PRESSE

    À Kaboul, distribution de nourriture, vendredi, à des gens qui ont dû fuir les combats dans le nord du pays

  • Le Pakistan a dû rouvrir un point de contrôle frontalier, à Chaman, pressé par l'afflux récent de personnes déplacées par la guerre.

    PHOTO AGENCE FRANCE-PRESSE

    Le Pakistan a dû rouvrir un point de contrôle frontalier, à Chaman, pressé par l'afflux récent de personnes déplacées par la guerre.

  • Foule traversant le point de contrôle de Chaman, vendredi

    PHOTO JAFAR KHAN, ASSOCIATED PRESS

    Foule traversant le point de contrôle de Chaman, vendredi

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« De nombreux conseillers techniques et militaires étrangers ont quitté le territoire, laissant l’armée afghane dépourvue d’une expertise avancée, souligne Sami Aoun. Ces points n’ont pas été suffisamment discutés durant les accords de Doha. »

Craignant de se retrouver dans une situation similaire à celle du Viêtnam, c’est-à-dire dans une spirale de guerres civiles pluriethniques ou confessionnelles, les États-Unis se comportent en « shérif hésitant », d’après M. Aoun.

Pour les Américains, les talibans veulent réislamiser la culture afghane, mais n’ont pas d’ambition de frapper au-delà des frontières, à l’inverse d’Al-Qaïda ou de DAECH [le groupe État islamique]. C’est pourquoi ils ne représenteraient pas une menace prioritaire.

Sami Aoun, professeur associé à l’Université de Sherbrooke

Or, les talibans sont toujours dans une logique de puissance et de domination. « On revient à la case départ, mais en plus, les talibans ont tissé des liens avec d’autres ethnies pour faire face à l’occupant occidental », affirme-t-il.

Le succès fulgurant des talibans est aussi lié à leur richesse. D’après Hanif Soufizada, politologue à l’Université du Nebraska à Omaha, les insurgés comptent notamment sur l’argent de la drogue – principalement l’opium –, l'exploitation minière, l’extorsion et d’importants des dons de la part des gouvernements de l'Arabie saoudite, du Pakistan, de l’Iran et de la Russie.

PHOTO GULABUDDIN AMIRI, ASSOCIATED PRESS

Soldats afghans faits prisonniers par les talibans dans la ville de Ghazni, vendredi

En mars 2020, le mouvement aurait ainsi engrangé 1,6 milliard de dollars, selon le fils du mollah Mohammad Omar. Un rapport commandé par le Conseil de sécurité de l’ONU évoque une somme de 400 millions, en 2011 et 2012. « La réalité se situe probablement entre les deux », commente Jean-François Caron, professeur de science politique à l’Université Nazarbayev, au Kazakhstan.

Un avenir incertain

« Une consolidation du pouvoir en Afghanistan par les talibans pourrait conduire non seulement à un renforcement d’Al-Qaïda et [du groupe] État islamique, mais aussi à une large instabilité régionale », estime pour sa part Marvin G. Weinbaum, directeur des études sur l’Afghanistan et le Pakistan au Middle East Institute, à Washington.

Pour Zubair Iqbal, il est possible que le gouvernement afghan devienne si faible que les talibans pourraient entrer dans Kaboul sans tirer un seul coup de feu. « Il est très difficile d’imaginer une situation où le gouvernement sera en mesure de monter une résistance efficace sans un soutien extérieur », dit-il.

La poursuite des conflits armés, sans possibilité de compromis politique, entraînera à nouveau le pays dans une guerre civile prolongée, craint M. Iqbal.

4,6 millions

Nombre d’Afghans vivant à l’extérieur de leur pays, selon les données du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). La vaste majorité, environ 90 %, ont trouvé refuge au Pakistan et en Iran, deux pays voisins.

Une terre de conflits

1973

Le roi Zaher Chan est renversé par son beau-frère Mohammed Daoud Khan et l’Afghanistan passe d’un régime de monarchie parlementaire à celui de république.

1979

Intervention militaire de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) dans un climat d’instabilité politique et de guerre civile.

1996

Prise du pouvoir par les talibans.

2001

Alors que les talibans refusent de livrer Oussama ben Laden, chef du groupe terroriste Al-Qaïda et responsable des attentats du 11 septembre 2001, des avions américains et britanniques bombardent l’Afghanistan.

2001-2005

Effondrement du régime des talibans face à la coalition militaire internationale – dont le Canada fait partie – menée par les États-Unis. Les talibans ne disparaissent pas : ils se réfugient au Pakistan, pays voisin.

2004

Formation d’un gouvernement mené par Hamid Karzaï et soutenu par les États-Unis. Les résultats de ces élections sont contestés.

2014

Élection du président actuel, Ashraf Ghani.

2018-2019

Série d’attentats terroristes en Afghanistan.

Février 2020

Accord de Doha entre les États-Unis, ses alliés et les talibans afghans.

8 mai 2021

Attentat à la bombe dans une école de Kaboul.

Été 2021

Retour en force des talibans.

Source : Perspective monde – Université de Sherbrooke

Les conséquences humaines d’un conflit qui s'éternise

PHOTO WAKIL KOHSAR, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des familles qui ont fui les combats dans le nord de l'Afghanistan ont établi leur campement à Kaboul, la capitale.

La guerre en Afghanistan a entraîné de graves séquelles, tant physiques que psychologiques, dans la population et chez les militaires déployés sur le terrain. La Presse a recueilli les témoignages d’un ancien soldat canadien, d’une femme afghane réfugiée au Canada et d’une journaliste chevronnée.

Grande impuissance

Plus de 40 000 membres des Forces armées canadiennes ont été déployés en Afghanistan pour appuyer les États-Unis de 2001 à 2014. Cette décision a coûté la vie à 158 Canadiens sur le terrain et a entraîné bien des séquelles psychologiques chez les soldats.

En 2007, Martin Forgues s’est porté volontaire pour être déployé dans le pays, à l’âge de 26 ans. Il y est resté sept mois, dans un contexte de combats intenses face aux talibans qui tentaient de reprendre leur place. « Quelques jours après mon arrivée sur le sol afghan, des tirs de mortier sont tombés sur notre camp, se souvient-il. On avait une épée de Damoclès au-dessus de la tête en permanence. »

Frappé par la misère et la corruption qui régnaient là-bas, Martin Forgues a rapidement été pris d’un sentiment d’impuissance.

PHOTO MARTIN LEBLANC, ARCHIVES LA PRESSE

Martin Forgues, vétéran des Forces armées canadiennes, journaliste et auteur

Je suis revenu avec une blessure morale. Ça a été très difficile quand j’ai compris qu’on n’était pas vraiment là pour aider les gens.

Martin Forgues, ancien combattant des Forces armées canadiennes

Comme de très nombreux anciens combattants, il a reçu un diagnostic de syndrome de stress post-traumatique. « C’est un énorme gâchis », constate-t-il après la récente prise de Kandahar par les talibans. L’armée canadienne avait été déployée dans cette ville de 2005 à 2011.

M. Forgues est retourné en Afghanistan en 2013, où il n’a pas constaté de changement social significatif. « Peut-être à Kaboul, mais certainement pas à Kandahar, le fief historique des talibans, où les droits des femmes ne sont même pas un enjeu, rapporte-t-il. Les gens essaient simplement de survivre. »

Devenu journaliste et auteur de plusieurs ouvrages, dont L’afghanicide : cette guerre qu’on ne voulait pas gagner, l’écriture est pour Martin Forgues une forme de thérapie. Il avait d’ailleurs prédit les évènements qui ont lieu actuellement, dans l’un de ses livres.

Il prépare actuellement un documentaire sur les conséquences des attentats de 2001 et prévoit de retourner en Afghanistan, où il a gardé de nombreux contacts, le mois prochain. « Cet évènement-là a changé la marche de l’Histoire, lance-t-il. Ça a été le berceau de la guerre contre le terrorisme, partout sur la planète. »

« Ils ont causé beaucoup de souffrances »

CAPTURE D’ÉCRAN

Jamila Sadath, réfugiée afghane établie au Québec

Jamila Sadath est réfugiée au Canada depuis 2007. Elle a réussi à fuir l’Afghanistan avec ses trois enfants et son mari, mais elle est encore marquée par un épisode de violence dans sa propre maison, où sa famille a été battue par des talibans. « Ils nous ont frappés pour nous punir, car nous avions créé une école pour les filles », témoigne la femme âgée de 62 ans.

Mme Sadath revient d’un voyage de trois mois dans son pays natal, où elle a rendu visite à une partie de sa famille. « On a très peur du retour des talibans, ils sont cruels et ont causé beaucoup de peine et de souffrances à notre peuple », raconte-t-elle.

Lorsqu’elle était sur place, l’un de ses proches, un journaliste, a été décapité par les insurgés. Elle raconte aussi que sa nièce a été menacée par son mari taliban – qui ne vit actuellement pas avec elle – de vendre leurs filles lorsqu’il serait de retour.

Difficiles à vérifier, ces anecdotes font toutefois écho aux crimes et exactions dont sont accusés les talibans depuis leur offensive contre les forces afghanes.

Selon Mme Sadath, nombre de combattants sont des jeunes qui ont été embrigadés hors de l’Afghanistan, notamment au Pakistan, et sont complètement déconnectés des réalités du pays. « On sait que les talibans ont été soutenus par des pouvoirs politiques étrangers », ajoute-t-elle.

La femme rappelle aussi que le mouvement a grandement instrumentalisé la religion musulmane, alors que le véritable islam prône plutôt la paix.

Le 28 août, elle participera à une manifestation avec le Centre pour femmes afghanes de Montréal, devant le parlement d’Ottawa, pour protester contre la guerre. L’évènement aura lieu simultanément dans 17 villes en Europe et en Amérique du nord.

« Il n’y a rien de pire qui pourrait arriver aux femmes afghanes »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

La journaliste Michèle Ouimet

Connue pour sa grande audace, Michèle Ouimet s’est rendue à plusieurs reprises en Afghanistan au cours de sa remarquable carrière. « Quand j’y suis allée en 1996, le pays était détruit, épuisé. Il y avait des écoles souterraines et les filles n’avaient pas le droit d’étudier ou de travailler. Tout était interdit, raconte le journaliste à la retraite de La Presse. La présence américaine a quand même permis certains progrès. »

Si elle n’est pas surprise par le retour des talibans, Mme Ouimet estime que le départ précipité des forces étrangères est un échec. « En même temps, les Afghans n’ont jamais accepté les envahisseurs, que ce soit les Britanniques, les Russes ou les Américains », rappelle-t-elle.

La journaliste s’inquiète du recul des droits de la personne. « Les talibans veulent rétablir un régime islamique pur et dur. Il n’y a rien de pire qui pourrait arriver aux femmes afghanes et même aux hommes », croit-elle.

Selon Mme Ouimet, rien ne garantit que les talibans soient capables d’empêcher d’autres groupes terroristes de fomenter des attaques terroristes depuis le sol afghan.

Si elle était en début de carrière, la journaliste retournerait sans hésiter sur le terrain aujourd’hui. « Ça se prépare, mais c’est fondamental d’aller sur place pour comprendre la complexité de la situation », conclut-elle.