(Beyrouth) Homme le plus fortuné du Liban, Najib Mikati, désigné lundi pour former un gouvernement de sauvetage dans un pays en plein effondrement, fait partie d’une classe politique inamovible depuis plusieurs décennies, accusée par la rue d’être corrompue et d’avoir laissé couler le pays.

Grand et chauve, l’homme d’affaires sunnite de 65 ans est originaire de Tripoli, l’une des villes les plus pauvres du Liban, dont la population estime souvent être oubliée par l’État.  

Engagé en politique depuis plus de deux décennies, ce parlementaire a occupé le poste de premier ministre à deux reprises.

PHOTO MOHAMED AZAKIR, REUTERS

Lundi, les consultations entre le président Michel Aoun et les divers blocs parlementaires devraient aboutir à la désignation d’un remplaçant à Saad Hariri (photo), ancien premier ministre désigné qui a jeté l’éponge le 15 juillet, après neuf mois d’un bras de fer avec le chef de l’État, sur la forme du gouvernement.

Dans un Liban multiconfessionnel, régi par un laborieux système de partage du pouvoir entre communautés religieuses, il reste un des chefs de file de la communauté sunnite. Le magazine Forbes estime sa fortune à 2,7 milliards de dollars.

Pour une partie de l’opinion publique, M. Mikati — dont le frère Taha est également milliardaire — est l’incarnation de ce système politique libanais gangréné par le clientélisme, l’affairisme, la corruption et les conflits d’intérêts.

Il a été nommé une première fois chef de gouvernement pendant trois mois dans la foulée de l’assassinat de l’ex-premier ministre Rafic Hariri en 2005.  

En 2011, il a dirigé une équipe ministérielle dominée par le Hezbollah chiite et ses alliés jusqu’à sa démission en mars 2013, sur fond de profondes divergences internes exacerbées par le conflit en Syrie voisine.

Auparavant, il avait occupé le portefeuille des Travaux publics entre 1998 et 2004, qu’il avait réussi à moderniser.

Ami personnel du président syrien Bachar al-Assad, il a souvent été accusé de proximité avec le Hezbollah, une étiquette dont il a toujours cherché à s’affranchir.

Télécoms et immobilier

Marié et père de trois enfants, l’homme d’affaires est à la tête d’un petit empire international, avec des investissements dans les télécoms, mais aussi dans l’immobilier, notamment à Londres, New York et Monaco.

Son groupe M1, une société de portefeuille familiale qu’il a cofondée, est un des principaux actionnaires de l’opérateur sud-africain de télécommunications MTN, propriétaire de la marque de prêt-à-porter haut de gamme « Façonnable », et investisseur dans le transport, le gaz et le pétrole.

En juillet, M1 a repris un des plus gros opérateurs téléphoniques de Birmanie, les détracteurs dénonçant alors des proximités avec la junte birmane.

Najib et son frère Taha s’étaient lancés dans le monde des affaires dans les années 1980 en vendant des téléphones satellites pendant la guerre civile au Liban (1975-1990), indique Forbes.

Ils ont ensuite étendu leurs activités au continent africain avec la construction de tours de téléphonie mobile, notamment au Ghana, au Libéria et au Bénin.

Diplômé en gestion des entreprises de l’Université américaine de Beyrouth (AUB), M. Mikati a étudié à l’institut d’administration des affaires Insead à Fontainebleau, près de Paris, puis à l’université de Harvard aux États-Unis.

En octobre 2019, alors qu’un mouvement de contestation inédit réclamait le départ de l’ensemble de la classe dirigeante, la colère des manifestants à Tripoli s’est aussi dirigée contre M. Mikati.

Ses portraits dans la ville ont alors été arrachés et des manifestants ont tenté d’attaquer sa résidence.

Plusieurs enquêtes étaient alors en cours pour des faits de corruption : M. Mikati faisait partie des responsables visés par des soupçons d’« enrichissement illicite ».

Mais depuis, les enquêtes piétinent et la contestation populaire s’est essoufflée.

Liban : effondrement économique et impasse politique depuis 2019

Le Liban, où l’ex-premier ministre Najib Mikati a été désigné lundi pour former un nouveau gouvernement, est en proie depuis octobre 2019 à une crise économique, sociale et financière inédite, aggravée par une impasse politique.

Contestation

Le 17 octobre 2019, le gouvernement annonce une taxe sur les appels effectués via WhatsApp. La colère des Libanais explose dans un pays miné par les crises à répétition.

« Le peuple réclame la chute du régime », ont scandé les manifestants en brûlant des pneus et bloquant des routes.

Le gouvernement renonce vite à la taxe, mais des milliers de personnes continuent à manifester.

La mobilisation culmine avec, certains jours, des centaines de milliers de manifestants réclamant le départ de la classe dirigeante, quasi inchangée depuis des décennies et accusée de corruption et d’incompétence.

En novembre 2019, les banques ont imposé des restrictions draconiennes sur les retraits par les épargnants ou les transferts vers l’étranger. Des mesures inédites toujours en cours.

Défaut de paiement

Le 7 mars 2020, le Liban, qui croule sous une dette de 92 milliards de dollars (170 % du PIB), fait défaut pour la première fois de son histoire sur une première tranche de sa dette d’un montant de 1,2 milliard de dollars. Le 23, il annonce qu’il ne paiera pas l’ensemble de ses bons du Trésor émis en dollars avant d’annoncer un défaut sur toute sa dette.

Le 30 avril, le gouvernement annonce un plan de relance et demande une aide du Fonds monétaire international. Mais les négociations avec le FMI déraillent rapidement.

Gigantesque déflagration au port

Le 4 août, une explosion détruit le port de Beyrouth et dévaste des quartiers entiers de la capitale.

La déflagration a été déclenchée par un incendie dans un entrepôt abritant des tonnes de nitrate d’ammonium stockées sans précaution. La tragédie fait plus de 200 morts et 6500 blessés et relance la contestation qui s’était essoufflée avec la pandémie du coronavirus.

Encore l’impasse

Le 10 août, le premier ministre Hassan Diab annonce la démission de son gouvernement, après le départ de ses membres sous la pression de la rue. Il avait été nommé en janvier en réponse au soulèvement ayant poussé vers la sortie son prédécesseur Saad Hariri.

Le 31, le Liban se dote d’un nouveau premier ministre, Moustapha Adib, quelques heures avant l’arrivée du président français Emmanuel Macron à Beyrouth, qui annonce le lendemain avoir obtenu l’engagement des dirigeants libanais à favoriser la formation d’un gouvernement censé mener des réformes et ainsi débloquer l’aide internationale.

Mais fin septembre, Moustapha Adib jette l’éponge.

Le 22 octobre, Saad Hariri, déjà trois fois premier ministre, est à nouveau désigné à ce poste.

Une des pires crises depuis 1850

Le 1er février 2021, les autorités annoncent une augmentation du prix du pain d’environ 20 %.

Le 1er juin, la Banque mondiale affirme que l’effondrement économique du Liban risque d’être classé parmi les pires crises financières du monde depuis le milieu du XIXe siècle.

Le 26, des manifestants à Tripoli (nord) et Saïda (sud) tentent de prendre d’assaut des institutions publiques pour dénoncer la dépréciation record de la monnaie nationale.

Le 29, les prix des carburants augmentent de plus de 30 % après une levée partielle des subventions, tandis que des pénuries provoquent depuis des semaines d’interminables files d’attente devant les stations-service.

Le 9 juillet, deux grandes centrales électriques sont à l’arrêt pour cause de pénurie de carburant.

Hariri part, Mikati revient

Le 15 juillet, Saad Hariri renonce à former un gouvernement, après des mois de marchandages entre les dirigeants libanais.

Le 26, Najib Mikati, qui a déjà présidé deux cabinets en 2005 et 2011, est chargé de former un nouveau gouvernement.