Les militaires américains ont presque tous quitté l’Afghanistan. La situation demeure très tendue au pays, avec une avancée rapide des talibans dans certaines zones. Près de 20 ans après le début de l’opération américaine, la société afghane retournera-t-elle aux conditions d’avant 2001 ? Explications.

L’avancée

Les talibans, groupe islamiste au pouvoir en Afghanistan de 1996 à 2001, semblent gagner du terrain. Mercredi, le ministère de la Défense de l’Afghanistan a rapporté une première offensive majeure dans une capitale provinciale, à Qala-i-Naw.

Les talibans se sont targués de contrôler 85 % du territoire, un chiffre non confirmé et rejeté par les experts interviewés. « C’est de la propagande pour rallier l’opinion de leur côté, réagit au téléphone Sher Jan Ahmadzai, directeur du Centre pour les études afghanes de l’Université du Nebraska à Omaha. Les données ne soutiennent pas leurs allégations. »

Leur avancée est tout de même rapide, ajoute-t-il.

« Une chose notable est la vitesse à laquelle les forces de sécurité afghanes se sont écroulées [à certains endroits], remarque Vanda Felbab-Brown, analyste (senior fellow) à la Brookings Institution, à Washington. Je pensais qu’elles tiendraient au moins des mois ou des années. On voit qu’elles cèdent rapidement devant les talibans. »

Les causes

« Quand on regarde les facteurs qui ont favorisé l’arrivée des talibans au pouvoir en 1996, ce sont à peu près les mêmes qu’en ce moment, explique au téléphone Jean-François Caron, professeur de sciences politiques à l’Université Nazarbayev, au Kazakhstan. La corruption chronique au sein du gouvernement afghan, l’instabilité politique… »

L’État est « défaillant », ajoute le professeur québécois, la population vit dans une extrême pauvreté et la crise de la COVID-19 n’a rien fait pour améliorer la situation. « Comme en 1996, les talibans offrent la promesse d’un gouvernement stable », résume-t-il.

Le groupe n’a pas été éradiqué par l’arrivée des troupes internationales à la fin de 2001 et dominait certaines zones bien avant le départ des troupes américaines. L’accord prévoyant le retrait des troupes étrangères a d’ailleurs été signé avec les talibans afghans, qui n’ont jamais été inscrits sur la liste des groupes terroristes des États-Unis.

Ça semble presque une question de temps avant qu’ils ne prennent le contrôle complet, soutenu par le gouvernement pakistanais, qui a ses propres intérêts à créer le chaos en Afghanistan.

Aurel Braun, professeur de relations internationales et sciences politiques à l’Université de Toronto en entrevue téléphonique avec La Presse

Mme Felbab-Brown, qui s’est elle-même rendue en Afghanistan dans le passé, estime que les forces étrangères se sont « bercées d’illusions sur les gains et les progrès accomplis réellement » ces 20 dernières années.

Les risques

On tend à oublier qui sont les talibans, note M. Braun. « C’est un des groupes meurtriers les plus fanatiques du monde », souligne-t-il.

À leur arrivée au pouvoir, les talibans avaient imposé la loi islamique de façon rigoureuse, infligeant des punitions corporelles sévères. Les écoles pour filles avaient été fermées, et les femmes, qui n’avaient plus le droit de travailler, devaient se couvrir d’une burqa.

Pour les femmes dans les régions urbaines, la perspective de voir les talibans arriver au pouvoir est terrible, une perte immense pour la façon dont elles ont vécu dans les dernières années, sur les plans économique, social, politique et, bien sûr, sur le plan de l’éducation.

Vanda Felbab-Brown, analyste à la Brookings Institution, à Washington

Toutefois, il ne faut pas oublier que bien des femmes avaient des droits sur papier seulement, restant prisonnières des traditions, ajoute-t-elle.

« Celles qui avaient des proches masculins plus ouverts pouvaient étudier ou travailler avec leur permission », illustre-t-elle.

L’Organisation mondiale de la santé s’est aussi inquiétée de la progression rapide des talibans au pays, en pleine crise de COVID-19. L’Afghanistan connaît une troisième vague du virus et environ 4 % de sa population seulement est vaccinée, selon l’AFP.

La région

Un millier de soldats afghans auraient fui vers le Tadjikistan voisin, craignant la brutalité des talibans. La Russie a affirmé vendredi que les talibans contrôlaient la majeure partie de la frontière afghane avec ce voisin.

Il y a un risque de voir une instabilité gagner le reste de la région, craint M. Caron. « Les pays d’Asie centrale ont aussi été assez affectés par le conflit en Syrie parce qu’il y a plusieurs milliers de combattants d’Asie centrale qui sont allés combattre aux côtés [du groupe] État islamique, donc ça reste un vivier assez propice à l’émergence d’une mouvance islamiste », juge-t-il. Il ne serait pas surpris que Kaboul tombe aux mains des talibans « avant Noël », ajoute-t-il.

M. Ahmadzai croit que l’État afghan peut résister aux insurgés, mais rappelle que la situation pourrait changer selon le soutien – ou pas – de la communauté internationale.

En avril dernier, le secrétaire d’État américain Antony Blinken avait indiqué l’intention de son pays de continuer à fournir une assistance financière et civile, selon le New York Times.

Avec l’Agence France-Presse

En chiffres

38 : nombre de pays membres de l’OTAN engagés dans le conflit en décembre 2001

20 ans : durée de la mission militaire américaine

90 % : en date du 6 juillet, l’armée américaine estimait avoir retiré plus de 90 % de ses troupes

38 000 : civils afghans tués en 2009-2020

2300 : soldats américains morts depuis 2001

Sources : Agence France-Presse, BBC