Huit partis hétéroclites ont réussi à former une coalition en Israël, à moins d’une heure de l’échéance donnée. Mais les jeux ne sont pas faits : d’ici la confirmation au Parlement par un vote dans au plus une dizaine de jours, les opposants à cette fragile alliance tenteront de la faire tomber. Les électeurs pourraient alors se retrouver aux urnes pour la cinquième fois en deux ans.

« Ce n’est pas une entente scellée », résume Uriel Abulof, professeur agrégé de sciences politiques à l’Université de Tel-Aviv.

Le premier ministre sortant Benyamin Nétanyahou, qui fait face à la justice pour corruption, a récolté le plus de voix en mars, mais n’a pas réussi à former un gouvernement. Treize partis se divisent les sièges au Parlement, rendant toujours improbable l’obtention d’une majorité des voix lors des élections.

Le chef de la formation politique arrivée au deuxième rang, Yaïr Lapid, a formé une coalition de 61 élus – soit la stricte majorité des 120 sièges du Parlement, la Knesset. Le vote de chaque député deviendra alors d’autant plus important lors du vote pour confirmer le gouvernement. Et les opposants à la « coalition du changement » le savent.

« Nétanyahou et ses ministres loyaux tentent de mettre de la pression sur les membres du parti de [Naftali] Bennett, membres de la Knesset, de les faire changer de côté et voter contre le gouvernement », note Gayil Talshir, politologue de l’Université hébraïque de Jérusalem.

Si nous n’avons pas le vote de confiance, nous n’allons pas avoir de gouvernement.

Gayil Talshir, politologue de l’Université hébraïque de Jérusalem

Un élu du parti de Naftali Bennett – celui qui doit devenir premier ministre durant la première moitié du mandat – a déjà exprimé son malaise face à la coalition. Des militants ont tenté de faire pression sur lui en manifestant devant son domicile pour qu’il vote contre l’alliance, a souligné Mme Talshir.

Société « profondément divisée »

La société israélienne est « profondément divisée », dit Dahlia Scheindlin, analyste politique affiliée à la Century Foundation. Et les 13 partis à la Knesset représentent cette fragmentation des idéologies et des identités.

Les politiciens de la coalition doivent composer avec les sensibilités de leurs bases respectives, dans une alliance entre huit partis positionnés tant à droite qu’à gauche et au centre, formés par exemple de partisans de la création d’un État palestinien et d’opposants à cette possibilité, de musulmans islamistes et de Juifs nationalistes, dans un regroupement hétéroclite où chacun négocie son adhésion selon ses gains possibles.

« La seule raison qui explique la formation d’une telle coalition est qu’on voit une division entre deux camps : les pro-Bibi et les anti-Bibi, analyse M. Abulof, reprenant le surnom populaire de Benyamin Nétanyahou. Si ce n’était Bibi, ce serait inimaginable d’avoir une telle coalition. »

La présence d’un parti islamiste au sein d’une coalition est d’ailleurs une première au pays : jamais une formation d’Arabes israéliens – les Palestiniens de l’État d’Israël formant 20 % de la population – n’avait été incluse dans une coalition de gouvernement.

« Depuis des années, Nétanyahou essayait de délégitimer les citoyens arabes d’Israël, ajoute M. Abulof, actuellement professeur invité à l’Université Cornell, dans l’État de New York. Mais ce qui est remarquable, c’est qu’avant cette ronde d’élections, il a tendu la main à une faction d’Arabes israéliens, craignant de ne pas avoir la majorité. »

Il a en quelque sorte rendu légitime de faire participer les politiciens arabes israéliens. Et maintenant, il y a un effet boomerang contre Nétanyahou.

Uriel Abulof, professeur agrégé de sciences politiques à l’Université de Tel-Aviv

Il espère que cette nouvelle alliance avec les quatre députés créera un nouveau pont entre Israéliens juifs et arabes, après des violences entre les deux communautés dans les dernières semaines.

Abstention stratégique

Le rôle que pourrait jouer un autre parti arabe est cependant moins bien accepté par des membres de la coalition situés à droite. Lors du vote pour confirmer le gouvernement, une majorité des voix est requise. Une stratégie possible si des élus quittent les rangs et votent contre la coalition est de demander aux membres de la formation Liste arabe unie, par exemple, de s’abstenir de voter.

« Il y a une très grande résistance venant des partenaires de la droite dans la coalition contre même une abstention de la Liste arabe unie, note Mme Talshir. Traditionnellement, la droite dépeint ce parti comme une formation qui soutient les Palestiniens et elle le délégitime. »

Le président du Parlement doit appeler au vote à la Knesset sur la coalition. Comme il est membre du parti de Nétanyahou, les observateurs s’attendent à ce qu’il aille au bout du délai permis, dans environ 10 jours.

Si la coalition est confirmée et forme le gouvernement, elle ne sera pas au bout de ses peines.

« Le défi majeur, c’est garder le pouvoir avec une telle diversité de partis et d’opinions, souligne Liron Lavi, chercheuse associée au Y & S Nazarian Center for Israel Studies de l’Université de Californie à Los Angeles. D’un autre côté, il y a plusieurs dossiers à traiter après l’épidémie de COVID-19 et les crises économiques que cela a entraînées. »

D’autres sujets seront plus difficilement traitables, croient les analystes, par exemple la relance du processus de paix avec les Palestiniens.

« Ce qui sera d’intérêt si ce gouvernement est formé et s’il dure au moins un petit bout, c’est que ça rappellera aux gens en Israël et aux politiciens ce qu’est un gouvernement de coalition. Que c’est partager le pouvoir et faire beaucoup de compromis », ajoute Mme Lavi.

Principaux protagonistes

Benyamin Nétanyahou

PHOTO SEBASTIAN SCHEINER, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Benyamin Nétanyahou

L’homme de 71 ans détient le record du plus long règne comme premier ministre d’Israël, soit 15 ans, dont 12 en continu. Son parcours politique est cependant entaché, alors qu’il est traduit en justice pour corruption, fraude et abus de confiance. À la tête du Likoud, un parti de droite, il a remporté le quart des voix aux dernières élections, ce qui donne 30 sièges à la formation politique.

Naftali Bennett

PHOTO RONEN ZVULUN, ASSOCIATED PRESS

Naftali Bennett

Millionnaire de 49 ans, il est décrit comme un tenant de la droite radicale et du mouvement nationaliste religieux, soutenant la colonisation juive. L’ancien protégé de Nétanyahou deviendrait premier ministre pour la première moitié d’un mandat de la coalition. « Sans Bennett, il n’y aurait pas de coalition », résume l’analyste Dahlia Scheindlin, précisant que la balance nécessaire serait alors retombée dans les mains de deux partis arabes israéliens. Son parti, Yamina, a obtenu 7 sièges à la Knesset, avec 6 % des votes.

Yaïr Lapid

PHOTO ODED BALILTY, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Yaïr Lapid

Le chef de l’opposition de 57 ans est souvent décrit comme un centriste de la politique israélienne. Il a acquis sa notoriété comme journaliste télé vedette avant de passer à la politique en 2012. Si le gouvernement de coalition proposé est mis en place et perdure, il assurera le rôle de premier ministre pour la seconde moitié du mandat. Son parti, Yesh Atid, a récolté près de 14 % des voix, soit 17 sièges.

Avec l’Agence France-Presse