(Jérusalem) Depuis des années, Israël et l’Iran s’affrontent directement ou indirectement au Liban, en Syrie et dans la bande de Gaza. Mais ces derniers mois, cette rivalité s’est transposée en mer avec l’émergence d’une mystérieuse série de sabotages et d’attaques.

Guerre contre le Hezbollah libanais allié de Téhéran, opération musclée contre les islamistes du Hamas proches de la République islamique à Gaza, suivis par des centaines de frappes israéliennes sur des éléments « pro-Iraniens » en Syrie voisine : par leurs « supplétifs » ou leurs armées, l’Iran et Israël se combattent de longue date au Moyen-Orient.

Cette guerre s’est aussi traduite dans les domaines de l’espionnage et la cybersécurité, avec en 2018 une opération du Mossad (les services secrets extérieurs israéliens) ayant permis à Israël de mettre la main sur 55 000 pages des archives nucléaires iraniennes dont des pans ont été présentés à des chercheurs de l’université Harvard aux États-Unis.

Dans la foulée, l’Iran a accusé Israël d’avoir mené des cyberattaques contre des installations stratégiques, les États-Unis ont assassiné le général iranien Qassem Soleimani en Irak, l’État hébreu a été la cible d’une attaque informatique visant son système de distribution d’eau, avant qu’un éminent physicien nucléaire iranien, Mohsen Fakhrizadehn, soit abattu fin 2020 dans une opération imputée au Mossad sur le sol iranien.

« Liés à la question nucléaire »

« Nous sommes dans une réaction en chaîne d’évènements […]. Certains peuvent dire que ça commence avec les archives que le Mossad a ramenées en Israël, d’autres avec l’assassinat de Soleimani […]. Mais ces évènements sont liés à la question nucléaire, à la tentative de l’Iran de s’installer en Syrie et à la volonté d’Israël de l’en empêcher », dit l’analyste Sima Shine.

Et, nouveau phénomène, « nous avons vu ces dernières semaines la guerre maritime Iran-Israël sortir de l’ombre après être restée secrète pendant deux ans », ajoute la directrice du programme Iran à l’Institut de recherche sur la sécurité (INSS) de Tel-Aviv, dans une discussion en ligne avec des reporters.

En 2019, l’Iran avait évoqué des attaques contre trois de ses navires-citernes en mer Rouge, alors qu’Israël cherche à freiner les transferts présumés d’armes de l’Iran vers ses alliés, mais aussi à limiter la capacité de Téhéran à contourner les sanctions américaines pour vendre son pétrole.

Mais, ce 25 février, les choses ont changé : un cargo israélien, le MV Helios Ray, a lui aussi été frappé en mer. Et les attaques se sont depuis multipliées : le navire iranien Shahr-e-Kord a été touché près de la Syrie, suivi du porte-conteneur israélien Lori en mer d’Arabie, du cargo iranien Saviz en mer Rouge et mardi de l’israélien Hyperion Ray près des côtes des Émirats, selon différentes sources.  

« Jusqu’à présent, le conflit maritime entre l’Iran et Israël est resté à faible intensité, dans une zone grise sous le seuil des hostilités déclarées […]. Mais le rythme des attaques s’accélère et devrait encore s’accélérer, voire s’étendre à une plus grande zone géographique et potentiellement à de nouvelles tactiques », comme par exemple des attaques par sous-marins ou des drones, a écrit mardi le chercheur Farzin Nadimi sur le site du Washington Institute for Near East Policy.

« Éviter une escalade »

Comme aucun des navires touchés n’a été sérieusement endommagé, ce dernier évoque des « efforts qui semblent calculés par chaque camp pour éviter une escalade », tout en mettant en garde contre un dérapage pouvant « compromettre le transport international ».

« Les deux camps ne veulent pas d’une escalade, mais les choses pourraient dégénérer, les Israéliens et les Iraniens sont au fait de cette possibilité et tentent de l’éviter », dit à l’AFP Menahem Merhavy, spécialiste de l’Iran à l’université hébraïque de Jérusalem.  

« L’Iran ne peut rien faire de majeur, car le pays est dévasté par la COVID-19, mais aussi en raison des négociations avec l’Occident. La dernière chose que l’Iran souhaite est d’entrer en collision avec quiconque, afin d’avoir les mains les plus propres possibles à la table » des négociations avec l’administration Biden pour sauver l’accord sur le nucléaire iranien de 2015 que les États-Unis, sous Trump, avaient quitté.

Mais l’État hébreu, hostile à un retour à cet accord, « joue avec le feu » dans cette guerre maritime larvée comme avec l’attaque présumée dimanche contre la centrale nucléaire iranienne de Natanz, souligne M. Merhavy. « Le plus grand risque côté israélien est (de compromettre) sa relation avec les États-Unis », ajoute-t-il.