La condamnation en Allemagne d’un ex-agent des services de renseignement syriens ayant joué un rôle dans la torture d’une trentaine de dissidents pourrait entraîner à terme des difficultés juridiques pour Bachar al-Assad et les membres haut placés du régime responsables de la vague de répression lancée en réaction au Printemps arabe.

Patrick Kroker, avocat allemand spécialisé dans le droit international, souligne que la décision rendue en milieu de semaine par la Haute Cour régionale de Coblence vient confirmer, preuves à l’appui, que des « crimes contre l’humanité » ont été perpétrés par l’État syrien et qu’elle pourrait faciliter la tenue d’autres procès du même genre de par le monde.

Le tribunal, dit-il, a détaillé dans sa décision toute la mécanique répressive mise en place par le régime sur une période de plusieurs décennies et, plus particulièrement, « l’attaque à grande échelle » menée contre la population syrienne en réaction au soulèvement de 2011.

Des dizaines de milliers d’opposants ont été détenus arbitrairement et torturés, et des milliers ont été tués, selon les organisations de défense des droits de la personne, dont Amnistie internationale.

PHOTO THOMAS LOHNES, AGENCE FRANCE-PRESSE

L’avocat Patrick Kroker avec l’un des plaignants, Wassim Mukdad, mercredi, à Coblence

L’agent condamné n’est qu’un petit rouage d’une machine beaucoup plus grande. Pour véritablement changer la donne, il faut ensuite s’en prendre aux hauts responsables.

Patrick Kroker, avocat allemand spécialisé dans le droit international

En soutien à des victimes, le Centre européen pour les droits constitutionnels et humains (ECCHR), auquel M. Kroker est rattaché, a participé au cours des dernières années à l’élaboration de nombreuses plaintes dénonçant le recours à la torture par le régime syrien.

Des dizaines de témoignages incriminants ont été recueillis et relayés aux autorités du pays dans l’espoir que le procureur général fédéral ouvre des procédures contre de présumés tortionnaires en utilisant le principe de compétence universelle.

Il permet à la justice allemande de mettre en accusation des ressortissants étrangers pour des sévices survenus hors de ses frontières s’il apparaît évident que le pays où les actes se sont produits n’entend pas sanctionner les responsables. C’est le cas notamment pour la Syrie, où Bachar al-Assad demeure bien en selle après des années de guerre civile.

Des milliers de photos, des dizaines de témoignages

Les démarches de l’ECCHR avaient mené en 2019 à la mise en accusation d’Anwar Raslan, qui dirigeait en Syrie une prison où plus de 4000 personnes auraient été torturées en 2011 et en 2012. Il avait été reconnu par hasard en Allemagne par l’une de ses victimes alléguées après avoir fait défection. Son procès suit son cours.

Un autre ex-membre des services de renseignement, Eyad el-Gharib, arrivé en Allemagne en 2018 comme réfugié, a aussi été mis en accusation pour avoir appréhendé une trentaine de protestataires en Syrie qui ont subséquemment été torturés.

Le tribunal allemand a conclu mercredi qu’il s’était rendu coupable d’avoir facilité des crimes contre l’humanité et l’a condamné à une peine d’emprisonnement de quatre années et demie qui tenait compte des regrets exprimés envers les victimes et de la collaboration offerte dans la procédure visant Anwar Raslan.

M. Kroker note que le procès d’Eyad el-Gharib a permis notamment de déposer pour la première fois en preuve des milliers de photos sorties de Syrie par un ex-agent du régime connu sous le pseudonyme de Cesar qui montraient les dépouilles de protestataires morts en détention.

Tous ces documents et des dizaines de témoignages ont été considérés par le haut tribunal, relève l’avocat, qui dit espérer que la décision allemande poussera de nombreux autres pays à invoquer le principe de compétence universelle pour traîner en justice d’autres hauts responsables syriens.

Le représentant de l’ECCHR note que Bachar al-Assad bénéficie pour l’heure, comme chef d’État, d’une immunité contre de telles procédures. La situation changerait cependant s’il perdait le pouvoir, soutient M. Kroker, qui s’attend à ce que le dictateur ne puisse à terme se déplacer à l’étranger sans crainte d’être appréhendé par un pays réagissant à une plainte de crime contre l’humanité.

L’un des plaignants syriens dans la cause contre Anwar Raslan, Wassim Mukdad, a souligné que la condamnation d’Eyab el-Gharib représentait « un premier pas » important sur la « longue route » à parcourir pour obtenir justice.