Au moins 6500 travailleurs migrants ont perdu la vie au Qatar pendant qu’ils participaient à la construction des infrastructures de la Coupe du monde 2022 en chantier depuis 10 ans, a révélé mardi une enquête du quotidien britannique The Guardian.

Que révèle l’enquête ?

Que plus de 6500 travailleurs immigrés d’Inde, du Pakistan, du Népal, du Bangladesh et du Sri Lanka sont morts au Qatar, petit pays du golfe Persique, depuis que celui-ci a remporté l’organisation de la Coupe du monde, il y a 10 ans. « Cela fait une moyenne de 12 morts par semaine depuis décembre 2010 pour les seuls ressortissants de ces cinq pays », écrit le quotidien.

France-Isabelle Langlois, directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone, dit ne pas être surprise par ce triste bilan. « Il y a d’énormes problèmes avec les travailleurs migrants au Qatar, dit-elle. Ils sont 2 millions, et ils font fonctionner le pays, parce que les Qataris habituellement ne travaillent pas. Le travail se fait dans des conditions assez terribles. »

Quelles sont les causes des décès ?

Selon The Guardian, qui cite des données gouvernementales, la vaste majorité des morts, soit entre 69 et 80 %, sont attribuées à des causes naturelles, une catégorie qui ne requiert pas qu’une autopsie soit pratiquée. Or, il semblerait qu’une grande partie des travailleurs morts aient été victimes de coups de chaleur. Les moyennes de température au Qatar atteignent près de 40 degrés Celsius à l’ombre de mai à septembre inclusivement.

Aussi, des installations non conformes peuvent devenir des pièges mortels pour des travailleurs. Le quotidien relate par exemple le cas de Mohammad Shahid Miah, 29 ans, du Bangladesh, qui est mort par électrocution lorsque des eaux de crue infiltrées dans sa chambre sont entrées en contact avec un câble électrique exposé.

Depuis 2010, le Qatar vit une vague sans précédent de projets majeurs de construction, incluant sept nouveaux stades de soccer, un nouvel aéroport, des routes, des systèmes de transports publics, des hôtels et une nouvelle ville, qui accueillera les plus grands joueurs de soccer du monde pour la finale de la Coupe du monde l’an prochain. Plus de 1 million de visiteurs sont attendus pour la série de matchs, qui se dérouleront durant un mois.

Le Qatar essaie-t-il de changer les choses ?

Des pressions internationales faites auprès du petit pays contrôlé par une monarchie ont porté leurs fruits quand, en 2017, de nouvelles lois qui encadrent les droits des travailleurs migrants ont été adoptées, note Mme Langlois. « Cela dit, dans les faits, des abus ont toujours lieu. Par exemple, un travailleur étranger ne peut quitter le Qatar sans l’accord de son employeur, et ne peut pas choisir d’aller travailler pour un autre employeur. En principe, une nouvelle loi a changé ce système, mais il n’y a pas de véritable application de ces nouvelles mesures, et il y a une forte objection de la part des employeurs. Beaucoup de travailleurs et de travailleuses domestiques ont aussi des retards dans le paiement de leur salaire. »

Comment réagit le gouvernement ?

Dans une déclaration, le gouvernement du Qatar affirme que le nombre de morts est proportionnel à la taille du bassin de la main-d’œuvre migrante au pays, et que les chiffres incluent les cols blancs morts naturellement après avoir vécu au Qatar pendant plusieurs années.

« Le taux de mortalité de ces communautés se situe dans la fourchette prévue pour la taille et la démographie de la population. Cependant, chaque vie perdue est une tragédie, et aucun effort n’est épargné pour essayer d’empêcher chaque mort dans notre pays », a déclaré le gouvernement qatari dans un communiqué.

Vivant des revenus tirés de l’extraction d’énergie fossile, le Qatar compte 2,6 millions d’habitants, dont à peine 313 000 citoyens qataris. Pour le reste, il s’agit d’expatriés.

La monarchie du Qatar est-elle sensible aux pressions étrangères quant au traitement des travailleurs migrants ?

Tous les gouvernements sont sensibles aux critiques et aux enquêtes diffusées dans la presse internationale, note Mme Langlois. « Le Qatar a ratifié deux traités de l’Organisation internationale du travail (OIT). Maintenant, il faut aller plus loin, il faut continuer à faire pression parce que, dans les faits, il y a de graves violations. C’est une première que la Coupe du monde ait lieu au Moyen-Orient, alors on a intérêt à ce que ça se passe bien. » Amnistie internationale et d’autres organisations font aussi pression auprès de la Fédération internationale de football association (FIFA) pour qu’elle exige du Qatar qu’il respecte ses engagements envers les travailleurs.

« L’objectif est de mobiliser des pays comme l’Argentine, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie, qui sont très actifs dans ce tournoi international. Ils doivent exiger que le changement au Qatar ne soit pas seulement un changement de façade. Brèche par brèche, on veut arriver à quelque chose. »