(Ryad) Le président américain élu Joe Biden a promis durant sa campagne de faire de l’Arabie saoudite un « paria » en raison de ses violations des droits humains. Mais Riyad dispose de suffisamment de leviers pour éviter une crise ouverte avec Washington, estiment des experts.

La défaite de Donald Trump expose le prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane, à un questionnement de l’allié américain sur l’aspect autoritaire de sa politique et l’intervention controversée de Riyad dans la guerre au Yémen, selon ces spécialistes.

Sous l’administration Trump, il n’a pas été inquiété quand sa responsabilité a été évoquée dans l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, un scandale planétaire, ou encore dans la détention d’opposants au régime.

Durant la campagne électorale américaine, Joe Biden a lui accusé Donald Trump, dont le gendre Jared Kushner a tissé des liens personnels avec le prince héritier, d’avoir accordé à Riyad un « chèque en blanc ».

Plus concrètement, il a promis de demander des comptes pour l’assassinat de Khashoggi dans le consulat saoudien à Istanbul en 2018 et de cesser les ventes d’armes à l’Arabie en raison de la guerre au Yémen, où Riyad intervient militairement à la tête d’une coalition depuis 2015.

Joe Biden est même allé jusqu’à menacer de faire de l’Arabie saoudite un État « paria ».

Pourtant, des analystes estiment peu probable une remise en cause des vieilles relations entre les deux pays en matière de « lutte contre le terrorisme » et de stabilité du marché pétrolier.

Bien que les États-Unis aient réduit leur dépendance au pétrole saoudien, le royaume reste en outre un client clé pour l’industrie militaire américaine.

Et les experts voient Joe Biden travailler avec Riyad sur des questions comme la lutte contre l’influence régionale de l’Iran ou la résurgence du groupe État islamique (EI).

« Une administration Biden adoptera sans doute une ligne plus dure en matière de droits humains, mais il est peu probable qu’elle abandonne complètement le partenariat saoudo-américain », déclare à l’AFP David Rundell, ancien diplomate américain qui a servi à Riyad et auteur du livre « Vision or Mirage, Saudi Arabia at the Crossroads ».

Politique ou rhétorique ?

Riyad semble se méfier de la promesse de Joe Biden de revenir à l’accord sur le nucléaire iranien de 2015, dénoncé unilatéralement par Donald Trump en mai 2018.

Le président élu chercherait à ce propos à obtenir un consensus parmi les États de la région, dont l’Arabie saoudite.

« Personne ne s’attend à ce que M. Biden se rende à Riyad pour y exécuter une danse du sabre (comme l’avait fait M. Trump, NDLR), mais il a besoin de l’Arabie saoudite pour obtenir l’adhésion de la région à un nouvel accord avec l’Iran, à la lutte antiterroriste, à la stabilité du marché pétrolier et aux relations israélo-palestiniennes », résume l’analyste saoudien Ali Shihabi.

M. Biden a exprimé son soutien aux accords de normalisation entre Israël et des pays arabes, y compris avec Bahreïn, qui ne l’a probablement pas fait sans le feu vert de Riyad.

Le prince Mohammed pourrait même utiliser la possible normalisation avec Israël comme outil de négociation.

« Beaucoup à Riyad pensent qu’un accord de normalisation avec Israël mettrait le prince Mohammed dans une bien meilleure position avec l’administration Biden », affirme à l’AFP Cinzia Bianco, analyste de l’European Council on Foreign Relations.

« Tout dépend de l’hostilité politique et non rhétorique de l’administration Biden à l’égard de l’Arabie saoudite », dit-elle.

Des proches de détenus saoudiens placent tout de même des espoirs en Joe Biden, à l’image de Walid Al-Hathloul, le frère de la militante Loujain Al-Hathloul, détenue depuis plus de deux ans et en grève de la faim depuis le 26 octobre.

« Nous espérons que (Biden) fera des violations des droits humains en Arabie saoudite une priorité. Il est temps pour les États-Unis de rétablir l’ordre international et de tenir (le prince Mohammed) responsable » de ses actes, a-t-il déclaré à l’AFP.