(Kaboul) Exécutions, arbitraire, peur constante… dix-neuf ans après le début de l’intervention américaine ayant conduit à la chute des talibans, nombre d’Afghans craignent le retour à la tête du pays des insurgés, qui mènent des pourparlers de paix à Doha avec le gouvernement de Kaboul.

Katayoun Ahmadi, 26 ans, se souvient des « mains et des doigts coupés par les talibans » gisant en pleine rue, châtiment qu’ils réservaient aux crimes mineurs selon leur interprétation radicale de la charia.  

Des « ongles de pied arrachés » d’un voisin parce qu’il avait travaillé pour le gouvernement communiste dans les années 1980. De sa poupée que sa mère lui demandait de « cacher au sous-sol » quand les talibans fouillaient leur maison, de peur qu’ils ne la découvrent, car tous les objets ayant forme humaine étaient interdits.

« Je ne pense pas qu’ils aient changé », soupire cette employée d’ambassade, qui compare les cinq années de pouvoir des talibans, entre 1996 et 2001, à un long « cauchemar ». « J’ai peur pour mon futur et le futur de ma fille », confie-t-elle.

Le 7 octobre 2001, les premières frappes aériennes américaines contre les talibans, accusés d’avoir hébergé Al-Qaïda, le groupe djihadiste auteur des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, ont provoqué une débâcle des « étudiants en religion » en Afghanistan.

Ceux-ci ont fui sans réellement combattre la coalition internationale menée par Washington. Qu’ils n’ont ensuite cessé d’assaillir, jusqu’à pousser l’administration du président américain Donald Trump à négocier avec eux en février un accord de retrait des troupes étrangères en échange de vagues contreparties.

Depuis un mois, les talibans ont entamé avec le gouvernement de Kaboul des pourparlers de paix poussifs au Qatar, sur lesquels ils ont la haute main, eux qui contrôlent désormais la moitié de l’Afghanistan.

La population afghane s’effraie à l’idée de revivre les exécutions de femmes supposément adultères, les écoles fermées aux filles, quand leurs droits et libertés ont été réaffirmés depuis 2001, notamment dans les principales villes du pays.

« Fouets et bâtons »

« Tous les progrès que nous avons faits ces 19 dernières années n’existaient pas pendant l’ère talibane », rappelle Farzad Farnood, chercheur de 35 ans à l’Institut afghan des études stratégiques et époux de Mme Ahmadi.  

Lui a vu son père emprisonné pendant cinq ans sous leur règne. Il les a vus, « fouets et bâtons à la main », prendre le contrôle de Cheberghan, la capitale de la province de Jawzjan, dont il est originaire.  

Il se souvient des exécutions auxquelles, jeune adolescent, il était forcé d’assister. Il se remémore ces enfants dont ils avaient peint le visage en noir parce qu’ils jouaient aux cartes, alors interdites.

« Les talibans sont immuables », se désespère-t-il.  

« Nous n’avons aucun problème avec l’éducation pour les filles ou les femmes qui travaillent, mais elles doivent porter un hijab », répond Zia-ul-Rahman, un ex-taliban qui a combattu les troupes étrangères et afghanes pendant quatre ans.

Les rebelles souhaitent « la mise en place d’un système islamique », a-t-il ajouté, répétant l’argumentaire officiel du mouvement, quand la constitution du pays donne déjà la priorité à l’islam.

La guerre en Afghanistan a coûté plus de 1000 milliards de dollars aux États-Unis et la vie à quelque 2400 militaires américains. Mais la victoire n’a jamais été proche sur le terrain.

Mardi, les insurgés, dans un communiqué, ont dénoncé « la brutale invasion » de leur pays il y a 19 ans par les États-Unis, qui avaient « rejeté avec arrogance » leur appel à une résolution diplomatique du problème.  

« L’Amérique, ses alliés et la coalition auraient évité l’infamie, les crimes de guerre, et d’importantes pertes humaines et matérielles », ont-ils encore commenté, ajoutant vouloir désormais un gouvernement afghan « inclusif, indépendant, souverain et islamique ».

Mais à Doha, les talibans et le gouvernement peinent déjà à se mettre d’accord sur un code de conduite préalable à l’établissement d’un agenda de négociations. Celles-ci pourraient durer des années.

Selon Jawed Rahmani, un agent de sécurité de 38 ans basé à Kaboul, le désengagement américain conduira inévitablement au retour au pouvoir des talibans. « Il ne s’agit pas de pourparlers de paix, mais d’un accord pour donner le prochain gouvernement aux talibans », déplore-t-il.