Malgré les promesses répétées du gouvernement qatari, les travailleurs migrants, qui constituent l’essentiel de la population active du pays, continuent d’être régulièrement victimes d’abus de leurs employeurs sans que ces derniers aient à craindre des représailles, dénonce Human Rights Watch (HRW).

Leur situation a reçu beaucoup d’attention internationale au cours des dernières années en raison des travaux liés à la tenue de la Coupe du monde de soccer en 2022, mais les changements en profondeur se font toujours attendre, déplore l’organisation de défense des droits de la personne dans un nouveau rapport paru en début de semaine.

« Il y a eu des petites modifications à la pièce, mais ce n’est pas assez. Il faut procéder beaucoup plus rapidement », souligne à La Presse une recherchiste de HRW, Maham Javaid, qui a mené des entrevues avec des dizaines de travailleurs migrants.

« Il est vraiment difficile d’en trouver un qui n’a pas été victime d’une forme ou d’une autre d’abus », relève Mme Javaid, qui reproche au gouvernement d’exagérer la portée de chacune des mesures introduites au fil des ans pour tenter de redorer son image à l’étranger.

Le régime du pays moyen-oriental a notamment fait grand cas de sa volonté d’en finir avec le système de kafala, qui lie le visa obtenu par les travailleurs recrutés à l’étranger à un employeur précis et limite du même coup leur capacité à chercher un autre emploi lorsque les choses tournent mal.

Le Qatar a répété à plusieurs reprises que le système [de kafala] allait être aboli, mais ce n’est toujours pas le cas.

Maham Javaid, recherchiste chez HRW

Certaines modifications ont réduit sa portée, mais les employeurs continuent de garder la main haute sur le processus d’attribution des visas et leur renouvellement, leur permettant « de se soustraire à toute forme d’imputabilité pour des abus des droits humains », indique le rapport.

À l’heure actuelle, le Qatar emploie près de deux millions de travailleurs migrants, qui forment 95 % de la population active.

HRW a recueilli les témoignages de près d’une centaine d’entre eux, qui travaillent aussi bien sur la préparation des infrastructures requises pour la tenue de la Coupe du monde que dans le secteur des services ou du transport.

La vaste majorité ont déclaré à l’organisation qu’ils avaient déjà vu le paiement de leur salaire retardé ou carrément bloqué, souvent sans justification. La rémunération horaire était souvent largement inférieure à celle qui avait été promise par contrat.

Plusieurs répondants ont dû payer des frais à une firme de recrutement dans leur pays d’origine et s’endetter à ce sujet, bien que la loi qatari interdise en théorie de telles pratiques.

Le rapport cite notamment le cas d’un ingénieur d’origine népalaise de 34 ans qui est venu s’installer au Qatar en 2018. Son employeur a cessé de le payer en février 2019, et la situation a perduré pendant des mois, le forçant à contracter de nouveaux emprunts pour pouvoir aider sa famille restée derrière.

« Je pense parfois que le suicide est ma seule option », a-t-il déclaré à la fin de l’année dernière. Son dossier était toujours irrésolu en mai 2020.

Un autre homme de 36 ans, originaire du Ghana, a indiqué qu’il avait été recruté pour travailler comme agent de sécurité en 2018, mais qu’il ne s’était vu offrir un poste que trois mois après son arrivée au pays, le laissant sans revenus. Il a ensuite connu maintes périodes de plusieurs mois sans travail.

« Comment est-ce que je peux survivre ? Retourner au pays les mains vides n’est pas une option », a-t-il déclaré.

Dans une réponse au rapport de HRW, le gouvernement qatari accuse l’organisation d’avoir « intentionnellement » trompé le public en présentant une image déformée de la situation.

« La quasi-totalité des individus qui viennent au Qatar pour travailler ne subissent aucune forme d’abus salarial », assure-t-on.

Les dirigeants du pays font notamment valoir qu’un système de surveillance des salaires a été mis en place et que des commissions ont été créées pour gérer les litiges et favoriser le paiement des sommes dues.

La FIFA fait valoir, de son côté, qu’elle est très sensible à la protection des droits de la personne et travaille étroitement avec le Qatar pour corriger les problèmes existants.

Maham Javaid note que les mécanismes mis en place pour permettre aux travailleurs lésés de réclamer des salaires impayés sont déficients et coûteux, et ne tiennent pas compte des risques de sanction.

La plupart des travailleurs ayant été interviewés ont exigé de le faire sous couvert d’anonymat pour éviter d’être pénalisés ou de se voir interdire l’accès au pays, s’ils décidaient de revenir plus tard.

« Encore ce matin, j’avais devant moi à l’écran une femme qui tente depuis 10 mois de récupérer le salaire qui lui est dû. […] La même réalité se répète cas après cas après cas, quoi qu’en disent les autorités », relève la recherchiste de HRW.