Bombardements, famine, choléra : à ces menaces s’ajoute maintenant le risque de la COVID-19 pour les Yéménites, dans un pays où les installations sanitaires sont déficientes.

« J’ai peur d’avoir l’infection, ça peut être la mort », répond à La Presse Khaled Ali, un comptable de 27 ans joint à Sanaa, la capitale. Impossible de travailler de chez lui, dit-il, l’internet n’étant pas assez puissant. « J’ai peur de devoir rester à la maison, sans travail, sans avenir, ajoute le jeune homme. Il n’y a pas beaucoup d’espoir vers lequel se tourner. » 

De nombreuses organisations internationales ont sonné l’alarme sur les risques de la COVID-19 dans les pays où sévissent des conflits armés. Malgré l’annonce d’un cessez-le-feu unilatéral de 15 jours par la coalition dirigée par l’Arabie saoudite, les combats continuent au Yémen. 

Un premier cas du nouveau coronavirus a été confirmé il y a un peu plus d’une semaine. Peu de tests sont disponibles, mais comme ailleurs, les Yéménites sont conscients que ça ne pourrait être que la pointe de l’iceberg. 

Inquiétudes 

Les Québécois Catherine Arseneau, 26 ans, et Jean-Nicolas Paquet-Rouleau, 37 ans, se trouvent sur place depuis plusieurs mois, respectivement pour Oxfam et pour le Comité international de la Croix-Rouge. Ils s’inquiètent d’un nouveau drame en préparation dans un pays qui connaît peu de répit depuis quelques années. 

« Du point de vue de la santé, il y a peut-être 50 % du système qui fonctionne, note Catherine Arseneau, rédactrice de projets installée à Aden depuis octobre dernier. Il n’y a pas beaucoup de médicaments ni de médecins. Le Yémen n’est pas prêt pour la pandémie. » 

PHOTO FOURNIE PAR OXFAM-QUÉBEC

Catherine Arseneau

Les hôpitaux ont été pris pour cibles lors de frappes aériennes. L’Arabie saoudite qui, depuis 2015, mène la coalition dans les combats pour le gouvernement yéménite en place contre les rebelles houthis, soutenus par l’Iran, a fait face à de nombreuses critiques internationales pour ses raids. Les combattants houthis ont aussi été accusés par divers organismes de prendre d’assaut les hôpitaux et d’y poster des tireurs, exposant les civils aux représailles. 

Les autorités ont commencé à préparer le terrain, appelant les Yéménites à rester confinés. Une mesure difficile à suivre pour tous ceux qui n’ont pas le luxe de travailler à distance, de se priver de revenus ou de faire des provisions, alors que des millions de Yéménites sont au bord de la famine. 

Ce n’est pas réaliste. Beaucoup de gens achètent de la nourriture avec ce qu’ils ont réussi à gagner la journée même.

Catherine Arseneau

Environ 24 millions de Yéménites, soit 80 % de la population, dépendent d’une forme d’aide ou de protection, selon l’ONU. Le Yémen est le pays le plus pauvre de la péninsule arabique. 

Se laver les mains compulsivement ? Également un défi dans un pays où l’accès aux installations sanitaires reste difficile. 

Oxfam a accéléré sa construction d’installations d’eau et de toilettes en prévision de l’épidémie et distribue des coupons de nourriture. Différentes ONG sont sur place pour tenter d’aider les habitants du Yémen avec les besoins en santé, en nourriture, en infrastructures. 

Défis 

L’un des grands défis reste aussi la logistique, témoigne de son côté Jean-Nicolas Paquet-Rouleau, coordonnateur terrain pour le Comité international de la Croix-Rouge. « La première chose, c’est de trouver du matériel, explique-t-il. Ensuite, il faut pouvoir l’emmener. » Ce qui implique de noliser un avion et d’obtenir la permission de le faire atterrir au Yémen. Il y a aussi la question du personnel bloqué aux frontières. 

PHOTO FOURNIE PAR JEAN-NICOLAS PAQUET-ROULEAU

Jean-Nicolas Paquet-Rouleau

Et malgré la menace de la COVID-19, la vie continue. « Malgré le risque de l’épidémie, on continue à répondre aux besoins, aux milliers de prisonniers, à la dialyse, aux gens qui ont besoin d’une chirurgie », illustre celui qui a travaillé deux ans en Syrie. 

« Il y a beaucoup de souffrance ici », dit-il, ajoutant que les Yéménites font souvent preuve d’un certain fatalisme devant cette série d’épreuves. 

La saison des pluies approche également et avec elle, le risque de choléra. « On pourrait avoir deux épidémies en même temps, dans un pays qui n’a presque pas de système de santé », craint Mme Arseneau. 

Le mince espoir reste qu’un cessez-le-feu se concrétise, apportant un peu de répit au moins sur ce front. 

« La situation ici est vraiment mauvaise », dit en soupirant Khaled Ali. Le jeune homme rêve d’une vie tranquille, où il pourrait continuer à étudier le commerce international.